Cette semaine, nous pouvons découvrir en salles Des Feux dans la plaine, le premier film du réalisateur chinois Zhang Ji distribué par Memento.
Des Feux dans la plaine prend d’abord place en 1997, dans la ville de Fentun. Jiang Bufan, un policier, enquête sur des meurtres en série de conducteurs de taxis pendant que la colère et le ressentiment des chauffeurs montent. Il noue également un lien d’amitié et de protection envers Zhuang Shu, le fils d’un ouvrier qui parvient encore à s’en sortir financièrement à une époque où les usines ferment partout dans la région. Ce n’est pas le cas de Li Shoulian, un collègue du père de Shu, et de sa fille Li Fei qui eux subissent de plein fouet la crise économique et sociale qui ravage la ville. Li Fei ne songe qu’à quitter la ville et partir tenter sa chance dans le Sud du pays mais Zhuang Shu est amoureux d’elle et voudrait vivre à ses côtés.
Des Feux dans la plaine se déroule en deux temps, puisqu’à la moitié du film, un événement inattendu se produit et le film reprend son récit après une ellipse de 12 ans. Ce parti pris dynamise un scénario qui, jusque-là, s’inscrit dans un univers assez classique des récits chinois et hongkongais des années 90, entre son intrigue policière et le contexte social qu’il dépeint, notamment au travers de ses protagonistes. Nous suivons à la fois le passage de flambeau de l’enquête de Bufan à Shu et le récit dramatique de l’histoire d’amour qu’il vit avec Li Fei et tandis que le film rejoint ces deux actions centrales, il resserre peu à peu son cadre et les personnages qu’il implique au strict minimum. Pour chacune des deux parties du film, nous partons de manifestations de chauffeurs de taxi ou de séquences animées de bars et de boîtes de nuit pour arriver à des scènes exclusivement en intérieurs dépouillés ou dans des décors désertés, parfois même rendus purement abstraits par des effets de flou. Alors que Li Fei et Shu rêvent d’un avenir meilleur dans un Sud fantasmé, qui d’ailleurs reste très vague (Li Fei évoque à chaque fois plusieurs régions potentielles et aucune ville spécifique n’est nommée) impliquant une meilleure situation sociale et davantage d’opportunités, le film se vide progressivement de son animation et de ses personnages. Des Feux dans la plaine n’insiste pas sur son propos social dans les dialogues ; la partie la plus importante de ses intentions se manifeste dans la mise en scène et les choix de cadre, rendant le film à la fois plus subtil et plus efficace.
La photographie est d’ailleurs particulièrement soignée, ce qui fait sens avec la formation de chef opérateur de Zhang Ji avant de débuter la réalisation. Le polar se distingue, entre autres, dans ses séquences nocturnes avec des jeux de lumières qui mettent en valeur les détails et les couleurs tout en tirant des contrastes bruts d’ombres et de noirs profonds. Des Feux dans la plaine est si visuellement plaisant que ses interprètes en sont même presque trop embellis, manquant de tomber dans la pure image, notamment Liu Haoran, l’acteur de Zhuang Shu, qui, dans la seconde partie du film, devient parfois un acteur à contempler plutôt qu’un personnage à suivre. Toutefois, dans l’ensemble, le casting remplit son rôle de façon convaincante, en particulier Zhou Dongyu, interprète de Li Fei, qui reste juste, même lors de séquences plus mélodramatiques.
Même s’il se montre parfois un peu classique dans ses enjeux, surtout dans sa première partie, les subversions de certaines attentes et la minutie de la confection esthétique de Des Feux dans la plaine annoncent un début de carrière extrêmement prometteur et attisent la curiosité sur les futurs projets de Zhang Ji. Une telle maîtrise de la mise en scène dans un premier film est définitivement très encourageante.
Elie Gardel
Des Feux dans la plaine de Zhang Ji. Chine. 2021. En salles le 09/07/2025.