Les Trentes Glorieuses du cinéma chinois, livre écrit par la docteure en littérature comparée Jun Liu et paru chez Armand Colin, se veut une exploration du cinéma chinois contemporain, mis en perspective avec l’évolution de la société chinoise depuis les années 1980.
L’actualité du cinéma chinois est riche. Alors que de multiples festivités ont lieu en France où se développe un public à la fois français et chinois – le Festival Allers-Retours, la reprise du Festival de Pékin à Paris, diverses sorties exceptionnelles telles que Creation of the Gods, le dernier film de Tsui Hark, Legend of the Condor Heroes ou encore le phénomène du box-office Ne Zha 2 – les publications autour du cinéma chinois continuent à fleurir. En tout début d’année, nous vous parlions de Quelques ombres électriques de Jean Claude, un petit précis du cinéma sinophone qui dresse un panel de films immanquables pour les profanes.
Ce livre de l’universitaire Jun Liu choisit un angle tout à fait passionnant, celui d’analyser le cinéma du pays au moment où il est grandement monté en puissance, autant d’un point de vue artistique que technique ; c’est-à-dire à partir de la fin des années 70 et du début des années 80, à la jonction entre la Quatrième et la Cinquième génération des cinéastes chinois. Cette époque correspond également au début de la vague de réformes entreprises par Deng Xiaoping, qui met fin aux politiques de Mao et a pour but de moderniser la Chine, notamment d’un point de vue économique. Jun Liu développe autour de l’évolution du cinéma d’alors jusqu’à aujourd’hui, et en parallèle, de leur réception par le public, demandeur de divertissements et d’œuvres artistiques comme toute société.
Le réel problème du livre de Jun Liu, malgré son appartenance à une collection de livres universitaires, est sa quasi-absence de données qualitatives scientifiquement justifiées : le style de l’autrice nous invite à faire confiance à son expérience et sa connaissance personnelle du public et de la société chinoise. Si l’on accepte ce biais, les informations et analyses cinématographiques déroulées en parallèles de l’étude de segments du cinéma (le tournant de la Quatrième génération, la Cinquième, la Sixième, les films du nouvel an de Feng Xiaogang, l’impact de Jiang Wen) se révèlent nourrissantes pour quiconque est en recherche d’écrits autour de ces films rarissimes chez nous. Il s’agit en effet pour l’essentiel de l’analyse de films de patrimoines des années 70 et 80 qui, hors Zhang Yimou, n’ont eu quasiment existence en salles ou en vidéo en Europe ; ou bien de films plus contemporains qu’on pourrait qualifier de commerciaux, comme ceux de Feng Xiaogang avec son acteur fétiche Ge You. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de films que les chercheurs et le public chinois connaissent, mais que nous ne nous connaissons pas par manque d’accès. Sans doute ces films manquent-ils de deux éléments, que Jun Liu a bon ton de développer à la toute fin du livre pour décrire les différences d’attente entre le public chinois et occidental : des éléments orientalistes et un propos subversif. Au contraire, Jun Liu rappelle qu’une grande part du public chinois éprouve le besoin de se divertir et de s’émouvoir dans des mélodrames et des romances, de rire face à des comédies qui met dans le mille quand elles évoquent leur quotidien. Ce point de vue demeure assez peu exploré dans la littérature francophone autour du cinéma sinophone, et c’est la vertu principale des Trente Glorieuses.
Un chapitre demeure particulièrement passionnant : celui à propos des films du nouvel an de Feng Xiaogang avec Ge You. Pour évoquer ces comédies festives où les Chinois aiment à se rassembler, Jun Liu revient sur le style flegmatique de Ge You, qu’elle compare à celui de Woody Allen. L’autrice évoque les séries télé qui ont rendu célèbre son personnage, et son impact jusque dans l’Internet et le langage d’aujourd’hui, avec l’expression 葛優躺 pour qualifier sa posture paresseuse mais amusante sur un canapé, dans une série du début des années 90.
Si on aurait apprécié un style rédactionnel plus rigoureux, Les Trente Glorieuses du cinéma chinois a le mérite d’ouvrir une fenêtre sur un cinéma chinois trop méconnu, parallèle à un pendant festivalier certes formidable, mais plus connu et plus attendu.
Maxime Bauer.
Les Trente Glorieuses du cinéma chinois de Jun Liu. Paru en février 2025 chez Armand Colin.