BLACK MOVIE 2025 – P.P. Rider de Somai Shinji : les enfants, le yakuza et les malentendus

Posté le 21 janvier 2025 par

Dans le cadre de son hommage à Fuji Tatsuya en 5 films, le festival Black Movie a choisi de présenter cette année la récente restauration de P.P. Rider, réalisé en 1983 par Somai Shinji.

Lancés à la recherche de leur camarade enlevé par des yakuzas, trois lycéens affrontent les dangers de la ville.

Autant le dire tout de suite, les détails de l’intrigue ne sont pas le point fort du film, et ce pour une raison assez évidente. Kitty Films, bien qu’ayant produit des films comme Bleu Presque Transparent de Ryu Murakami ou La Rose de Versailles de Jacques Demy en 1979 et ayant battu tous les records avec Sailor Suit et Machine Gun en 82, est avant tout un studio lié à l’animation : en conséquence, le montage de 4h prévus par Somai Shinji a été réduit de moitié pour accommoder un double programme avec Urusei Yatsura: Only You, le premier long métrage de la série Lamu, qui se trouve être également le premier film de Oshii Mamoru. Mais, Somai décide de ne pas sacrifier les plans séquences qui font l’essence de son style mais plutôt des moments d’exposition, quitte à demander au spectateur d’accepter le caractère abrupte du déroulement de l’intrigue. Et pourtant celle-ci n’était déjà pas simple sans ces modifications : des kidnappings se superposent, se trompent de cible, des fusillades mêlent les enfants et les yakuza, la police essaie de participer à l’intrigue, les sauvetages se justifient par de mauvaises intentions. Parfois au sein d’une même scène, on passe du rire à l’inquiétude, du caractère incongru d’une situation à ses terribles conséquences concrètes, le tout interrompu par des panneaux qui redéfinissent l’intrigue de façon parfois faussement naïve.

Les personnages sont réussis, les trois jeunes acteurs sont très convaincants, notamment Nagase Masatoshi dans son premier rôle, vu depuis dans des films aussi différents que Electric Dragon 80 000 V ou Suicide Club. Kawai Michiko, revue depuis comme chanteuse, star de la télévision et actrice dans l’adaptation de Maison Ikkoku (Juliette, je t’aime! en français), est aussi très surprenante dans le rôle androgyne d’un personnage dont l’expression de genre est masculine (le prénom Bruce, le pronom « boku« , les vêtements) mais qui connaît les troubles de la puberté d’un corps féminin. Fuji Tatsuya, quant à lui, est très à son aise en yakuza has-been, en proie à ses addictions et à des crises de violence mais peu à peu attendri par les trois adolescents. Dans l’ensemble, tous les rôles, même ceux qu’on voit peu, sont incarnés de façon crédible et marquante. Le personnage de l’enseignante est en particulier très réussi, de le scène comique où les héros perturbent une réunion en poussant des cris bestiaux pour la recruter à ses dernières scènes, où, dévastée par la drogue et ses mésaventures, elle devient une sorte d’épave tragique.

L’autre grande force du film est dans ses plans séquences et on comprend pourquoi le réalisateur a refusé de les sacrifier. En effet, dès le début du film, un même plan permet de présenter les yakuza, les harceleurs, les protagonistes et de lancer l’action chaotique qui mène au point de départ de l’intrigue. A un autre moment, une cours poursuite joue à intégrer huit personnages dans un même plan, avec des accidents burlesques au milieu de la tension d’une fusillade sur les rondins de bois. A tout moment, le cadre sait aller chercher les personnages pour relancer la dynamique, dans une chorégraphie nécessairement implacable mais qui paraît paradoxalement complétement naturelle. Souvent drôle, le film reste toujours tendre dans son regard sur ses personnages même quand il les soumet à des situations terribles. Le parti pris de l’œuvre est de présenter le récit policier comme les vacances de ces enfants à Yokohama, et la musique souligne la dimension ludique de l’aventure. On remarque d’ailleurs la nullité globale des adultes dans ce monde violent aux règles absurdes, où finalement il ne reste que les enfants quand le générique commence.

En se jouant des clichés du film de yakuza et en construisant un trio attachant, le film se détache de son cahier des charges et permet de déjà commencer à apprécier ce qui fera la force de la suite de la carrière de Somai, dans la finesse de la représentation de se personnages et son art de la mise en scène en plan séquence. C’est un film destiné à la jeunesse, parfois étrange, parfois trop rapide, mais toujours attachant et parfois très impressionnant. Après le succès de son deuxième film, le réalisateur confirmait qu’il était un des réalisateurs sur lesquels il faudrait compter et, plus de 40 ans plus tard, son film est encore un plaisir à regarder.

Florent Dichy

P.P.Rider de Shinji Somai. Japon. 1983. Projeté au Black Movie 2025.