BLACK MOVIE 2025 – Mistress Dispeller d’Elizabeth Lo

Posté le 20 janvier 2025 par

Le documentaire chinois Mistress Dispeller d’Elizabeth Lo a été diffusé au Black Movie 2025 dans leur programmation autour des « Joies du mariage ». L’ironie ne nous échappera pas puisque l’investigation à laquelle nous sommes invités à assister documente un récit d’adultère.

Nous suivons en effet la mission de Wang, dont le métier est de faire « disparaître » les maîtresses, comprendre par là les dissuader de poursuivre la relation avec l’époux infidèle. Incarnant une sorte de coach de vie/psychologue/conseillère conjugale, elle s’immisce dans la vie privée de ses clientes de sorte à influencer d’abord le mari puis ultimement l’amante de celui-ci en dispensant ses conseils et commentaires sur la situation. Cette base au documentaire a déjà ça de surprenant qu’il s’agit d’un principe que nous avons déjà pu voir dans des émissions de prétendues « télé-réalité » type Tellement Vrai pour citer un exemple français, toutes plus ou moins truquées ou manipulées. Ici, on nous assure sur un carton introductif que rien n’a été modifié ou rejoué et que toutes les actions des différents protagonistes sont filmées telles quelles sont advenues. Elizabeth Lo aurait dissimulé des caméras qu’elle laissait tourner des heures pour parvenir à ce résultat étrangement frontal vu le sujet. En effet, nous assistons à des conversations qui pourraient paraître absurdes, comme lorsque le mari avoue franchement son infidélité à Wang – qui a prétendu être une amie du cousin de sa femme pour pénétrer dans leur domicile familial – dès leur première rencontre. Wang incite à une frontalité qu’elle ne se refuse d’ailleurs pas elle-même en assumant face caméra de manipuler ouvertement les maris et leurs maîtresses pour obtenir gain de cause.

La neutralité visée du regard de la caméra sur un sujet si émotionnellement chargé pour les personnes filmées apporte un lot de considérations et de sentiments contradictoires au spectateur que le film ne parvient pas forcément tous à approfondir mais qui prennent ainsi un nouvel intérêt sur le sujet. Wang a beau adopter un discours parfois terrifiant de cynisme pour ponctuer ses actes et apparaître avec tout le détachement qu’implique son rapport « professionnel » à la situation, sa posture d’interlocutrice privilégiée auprès des membres du triangle amoureux permet à chacun d’exprimer son ressenti et son mal-être. Il devient très vite compliqué de savoir où se situer et avec qui compatir puisque personne n’est intimement satisfait de cette situation. C’est ce sur quoi repose tout le modus operandi de Wang qui peut ensuite vanter les mérites à la maîtresse de se caser avec un homme qui lui sera entièrement disponible et au mari de retourner vers sa femme pour que leur relation s’améliore. Dès lors, le fait même que les missions de Wang aboutissent et que son métier représente un marché en plein essor questionne également sur cette rationalisation quasi mercantile des affects. On peut ainsi, envers et contre l’amour, opposer une fidélité lorsqu’elle est vendue sous couvert de développement personnel.

Difficile toutefois de savoir où se situe Elizabeth Lo vis-à-vis du rôle de Wang et c’est peut-être là que le bât blesse dans Mistress Dispeller qui, en laissant le questionnement au spectateur, peut également sembler légitimer ses actes, surtout en achevant le documentaire sur la réconciliation du mari infidèle et de sa femme. Questionne aussi ce choix d’inserts fréquents esthétisants notamment sur des décors qui, couplés avec une image assez lisse, apportent une impression de fiction à l’ensemble d’un film qui annonce pourtant sa volonté de documenter la réalité dès son introduction. De même, ces images entrent parfois en conflit avec celles, bien plus intéressantes, des longs plans-séquence de discussion qui font le cœur du film. On peut à la rigueur reconnaître à cet embellissement au montage un ajout supplémentaire de distanciation et donc davantage de possibilité de s’ouvrir aux problématiques du mari et de la maîtresse mais le film aurait pu se contenter d’une frontalité cinématographique à l’image de sa tête d’affiche.

Elizabeth Lo propose donc un documentaire étonnant qui a le mérite de questionner non seulement l’adultère mais également les attentes relationnelles, le mariage et la place de l’individu dans une relation. S’il y livre peu de réponses, il n’empêche que les interrogations soulevées valent le détour.

Elie Gardel.

Mistress Dispeller d’Elizabeth Lo. Chine/Etats-Unis. 2024. Projeté au Black Movie 2025