BLACK MOVIE 2025 – The Missing de Carl Joseph Papa

Posté le 23 janvier 2025 par

Alors que The Missing, le troisième et dernier long-métrage du cinéaste d’animation philippin Carl Joseph Papa est passé par les circuits de Netflix dans la plupart des pays du globe, le public européen aura la chance de pouvoir (re)découvrir ce drame bouleversant en rotoscopie sur les grands écrans du Festival Black Movie de Genève.

Eric est dessinateur dans un petit studio d’animation et mène une vie normale. C’est un jeune homme très calme et sans histoires, qui se lie d’amitié avec son collègue Carlo. Eric a aussi une particularité : il n’a pas de bouche. Un jour, la mère d’Eric lui demande d’aller vérifier si son oncle, dont plus personne n’a de nouvelles, se porte bien. Carlo accompagne Eric pour le soutenir et constater avec lui le drame survenu. Sous le choc, Eric rêve que des extraterrestres l’enlèvent pour l’emmener très loin de la Terre… rêve qu’il a déjà fait en d’autres circonstances choquantes liées à son enfance.

Cela fait déjà plusieurs années que Carl Joseph Papa s’est fait un nom dans le cinéma d’animation philippin. La distribution internationale de son dernier film par Netflix a dévoilé au monde le talent de ce cinéaste singulier qui fait de la mémoire et de ses failles son terrain de jeu de prédilection. Pas la mémoire traumatique collective comme il se fait régulièrement dans le cinéma philippin, mais la mémoire intime, enfouie et rejaillissant du passé par sursauts. Il l’étudie d’abord avec l’histoire d’une vieille dame malade dans Manang Biring (2015), puis de manière on ne peut plus littérale au travers d’un couple dont le mari souffre d’Alzheimer dans Paglisan (2018), et enfin dans The Missing (2024), dernière pièce manquante du puzzle cérébral que Carl Joseph Papa fabrique au sein des prisons humaines que sont ses personnages.

Eric, protagoniste de notre histoire, a la particularité de ne pas avoir de bouche. Il est muet, bien sûr, mais c’est une façon symbolique et mémorable de se représenter son handicap. Seulement, le spectateur comprend assez vite qu’il pourrait bien ne pas l’être de naissance mais en conséquence d’un traumatisme si indicible que la seule solution trouvée par un petit garçon en manque de repères sur le monde a été d’emprisonner sa parole à tout jamais. À cette bouche cousue s’ajoute une soucoupe volante venue du ciel qui poursuit Eric et cherche à l’enlever vers une planète lointaine où un alien paré de tentacules engage un transfert de ses données vers le corps de notre personnage. Ces éléments fantastiques confinent définitivement le film de Carl Joseph Papa dans le registre du réalisme magique. Parfois même, de l’horreur, le cinéaste faisant des souvenirs quelque chose de plus terrifiant qu’un monstre. Le monstre attaque, mais les souvenirs hantent, évoluent, blessent au cœur et sont toujours là malgré les années, attendant le moment de faiblesse pour surgir d’une soucoupe volante.

Accompagné de son ami et collègue de travail Carlo, Eric, face à son envahisseur extraterrestre, se lance dans une aventure désespérée qui ressemble de plus en plus à un moyen fantasmé de fuir les démons de son enfance. Celle-ci refait surface de temps à autres au cours de scènes où la rotoscopie du présent disparaît pour laisser place au crayonné incertain et innocent des premières années de la vie. Par un simple basculement de style d’animation, le réalisateur en raconte bien plus que les mots qui pourraient sortir de la bouche d’Eric.

Dans sa candeur enfantine, The Missing convoque des émotions sincères et renferme une complexité telle que le langage ne suffit plus. Parmi les autres modalités d’expression disponibles, l’amour d’une mère et la confiance d’un ami accompagnent Eric dans sa quête silencieuse. Même au plus bas, même lors de violentes crises de paranoïa, le réconfort se trouve au détour d’un geste, d’un regard ou d’une caresse auxquels la rotoscopie rend le plus précieux des hommages. C’est en cela que The Missing raconte non seulement l’histoire d’Eric mais aussi celle des personnes qui l’entourent, sans qui plus rien n’a de sens et sans qui le courage est un mot comme un autre. Une vraie merveille que l’on se réjouit de trouver dans la sélection du Black Movie 2025.

Richard Guerry.

The Missing de Carl Joseph Papa. 2023. Philippines. Projeté au Festival Black Movie 2025.