À l’occasion de la sortie de son prochain film I Wish le 11 avril 2012 et de la rétrospective qui lui est dédiée au FICA de Vesoul, retour sur un cinéaste qui, depuis plus de quinze ans, filme la déchirure de la séparation et l’espoir des retrouvailles. Par Fabien Alloin.
Chez Kore-eda Hirokazu, tout commence par une disparition. Quand une mère abandonne ses enfants, quand une famille pleure la perte du fils aîné ou quand une jeune femme se voit forcer de vivre avec le souvenir de la mort de son mari, le cinéaste filme ce qu’il reste. Ses films sont aspirés par l’espace vide creusé en leur cœur et la seule chose qui semble pouvoir y naître ne peut qu’être issue de cette absence. Une fois la mère de Nobody Knows (2004) disparue, ses quatre enfants doivent combler ce manque à leur manière. Ils le font avec le souvenir maternel resté entre les murs de leur appartement car il faut bien manger, trouver de l’argent, continuer d’exister. De même, dans Still Walking (2008), la mort accidentelle du premier des deux fils n’arrête pas la famille de vivre mais il en subsiste pourtant la trace dans chaque mot que s’échangent ou n’osent se dire ceux qui sont restés. Que l’on en parle ou que l’on n’en parle pas, l’être manquant hante les films de Kore-eda Hirokazu et chaque corps, à l’intérieur du cadre, avance au rythme du souvenir de celui qui est parti. La mélodie timide qui se joue dans ce cinéma, mélange de mélancolie et d’espoir fébrile, cette mélodie qui emmène tous les personnages avec elle, vient de ce qu’on leur a arraché.
Dès son premier film, Maborosi (1995), le cinéaste enlève rapidement à son héroïne Yumiko (Esumi Makiko) ce qu’elle a de plus cher au monde : sa famille – son mari meurt et tous les signes indiquent qu’il s’agit d’un suicide. Pourtant Kore-eda Hirokazu ne va pas détruire Yumiko, comme il ne détruira pas plus tard les enfants de Nobody Knows. La jeune femme se souviendra toujours de son amour perdu, jusqu’à être obsédée par lui, mais trouvera un nouveau mari et verra son fils grandir. Il n’est jamais question de cruauté dans ce cinéma mais plutôt de compassion. Nobody Knows serait insupportable s’il se contentait seulement de filmer des enfants se détruisant en l’absence de leur mère. L’histoire de ces quatre gosses livrés à eux-mêmes fonctionne car Kore-eda Hirokazu n’en reste pas spectateur et investit viscéralement son récit. Documentariste avant d’être cinéaste, il filme au plus près de ses personnages mais sans quasiment un seul gros plan. Proche d’eux, il reste pourtant à distance comme s’il se savait, bien que redevable de ce qu’il leur a ôté au départ, incapable de les sauver complètement. Toujours en retrait mais pourtant toujours aux cotés de Yumiko, Maborosi bouleverse ainsi quand il advient que tout l’amour du cinéaste pour la jeune femme ne suffira pas à l’aider. Comme les enfants de Nobody Knows ou le fils délaissé de Still Walking, au final Kore-eda Hirokazu abandonne à nouveau Yumiko. Mais comme à eux, il lui laisse un peu d’espoir.
La lumière prend différentes formes chez Kore-eda Hirokazu. Elle peut être une famille reconstruite, l’ultime regard d’un enfant entouré de son frère et de sa sœur ou bien comme ce que verra Yumiko, une lueur sur la mer : une illusion. Qu’importe sa forme, le plus important est que cette lumière, cet espoir, existe. Dans ce qui reste aujourd’hui son film le plus étonnant, After Life (1998), l’espoir est un souvenir, celui qu’on emmène avec nous après la mort. Les personnages filmés par Kore-eda Hirokazu viennent de casser leur pipe et on demande à ces « nouveaux morts » débarqués dans les limbes de choisir le plus beau souvenir de leur vie. Ce souvenir, une équipe de tournage improvisée en fera un film que la personne décédée regardera avant de disparaître. Ce point de départ peut laisser perplexe, et pourtant derrière lui se cache sans doute le film le plus sensible de son auteur. Cette fois-ci, l’être manquant – le fils ou le mari décédé – se trouve personnage principal. Cette fois-ci, Kore-eda Hirokazu passe de l’autre côté. Beaucoup de mélancolie habite After life mais il y souffle surtout un espoir insensé qui continuera de balayer tous les films qui suivront. L’inventivité et le cœur avec lesquels les souvenirs des morts sont mis en images, bricolés à la manière du Be Kind Rewind (2008) de Michel Gondry, rendent plus léger tout ce qui les entourent et semblent même pouvoir aider « ceux qui restent » – on pense encore à la triste Yumiko de Maborosi. Car les films de Kore-eda Hirokazu, plus encore que de se répondre, invitent les personnages à se soutenir entre eux, à se serrer les coudes. Rien ne différencie les enfants sans père ni mère de Nobody Knows de ceux de Still Walking ou des souvenirs d’enfance d’After Life si ce n’est un coup du sort, un « pas de bol » de gosse.
C’est ce qui rend I Wish si précieux – surtout après le très laborieux Air Doll (2009). Les abandonnés, les mal-aimés et les délaissés, l’histoire d’enfant qui se met en place dans ce dernier film les venge tous. Jamais le manque initial – un divorce qui voit deux frères être séparés – n’a paru si facile à combler ou si naturel à accepter. Pour la première fois, Kore-eda Hirokazu semble donner le choix à ses personnages. Pour la première fois, il donnera aux deux gamins qu’il filme l’occasion de grandir. Yumiko, son enfant et tous les autres en sourient.
Fabien Alloin.
Hommage à Kore-eda Hirokazu : l’intégrale, en sa présence au FICA de Vesoul du 14 au 21 février 2012.
I Wish, en salles le 11/04/2012.
Chez Kore-eda Hirokazu tout commence par une disparition. Quand une mère abandonne ses enfants, quand une famille pleure la perte du fils ainé ou qu’une jeune femme se voit forcée de vivre avec le souvenir de la mort de son mari, le cinéaste filme ce qu’il reste. Ses films sont aspirés par l’espace vide creusé en leur cœur et la seule chose qui semble pouvoir y naître ne peut qu’être issu de cette absence. Une fois la mère de Nobody Knows (2004) disparue, ses quatre enfants doivent combler ce manque à leur manière. Ils le font avec le souvenir maternel resté entre les murs de leur appartement car il faut bien manger, il faut bien trouver de l’argent, il faut bien continuer d’exister. De même, dans Still Walking (2008) la mort accidentelle du premier des deux fils n’arrête pas la famille de vivre mais il en subsiste pourtant la trace dans chaque mot que s’échangent ou n’osent se dire ceux qui sont restés. Que l’on en parle ou que l’on n’en parle pas, l’être manquant hante les films d’Kore-eda Hirokazu et chaque corps à l’intérieur du cadre avance au rythme du souvenir de celui qui est partit. La mélodie timide qu’y se joue dans ce cinéma, mélange de mélancolie et d’espoir fébrile, cette mélodie qui emmène tous les personnages avec elle, vient de ce qu’on leur a arraché.
Dès son premier film, Maborosi (1995), le cinéaste enlève rapidement à son héroïne, Yumiko (Esumi Makiko), ce qu’elle a de plus cher au monde : sa famille – son mari meurt et tous les signes indiquent qu’il s’agit d’un suicide. Pourtant Kore-eda Hirokazu ne va pas détruire Yumiko, comme il ne détruira pas plus tard les enfants de Nobody Knows. La jeune femme se souviendra toujours de son amour perdu, jusqu’à être obsédée par lui, mais trouvera un nouveau mari et verra son fils grandir. Il n’est jamais question de cruauté dans ce cinéma mais plutôt de compassion. Nobody Knows serait insupportable s’il se contentait seulement de filmer des enfants se détruisant en l’absence de leur mère. L’histoire de ces quatre gosses livrés à eux-mêmes fonctionne car Kore-eda Hirokazu n’en reste pas spectateur et investit viscéralement son récit. Documentariste avant d’être cinéaste, il filme au plus près de ses personnages mais sans quasiment aucun gros plan. Proche d’eux il reste pourtant à distance comme s’il se savait, bien que redevable de ce qu’il leur a ôté au départ, incapable de les sauver complètement. Toujours en retrait mais pourtant toujours aux cotés de Yumiko, Maborosi bouleverse ainsi quand il advient que tout l’amour du cinéaste pour la jeune femme ne suffira pas à l’aider. Comme les enfants de Nobody Knows ou le fils délaissé de Still Walking, au final Kore-eda Hirokazu abandonne à nouveau Yumiko. Mais comme à eux, il lui laisse un peu d’espoir.
La lumière prend différentes formes chez Kore-eda Hirokazu. Elle peut être une famille reconstruite, l’ultime regard caméra d’un enfant entouré de son frère et de sa sœur ou bien comme ce que verra Yumiko, une lueur sur la mer ; une illusion. Qu’importe sa forme le plus important est que cette lumière, cet espoir, existe. Dans ce qui reste aujourd’hui son film le plus étonnant, After Life (1998), l’espoir est un souvenir, celui qu’on emmène avec nous après la mort. Les personnages filmés par Kore-eda Hirokazu viennent de casser leur pipe et on demande à ces « nouveaux mort » débarqués dans les limbes de choisir le plus beau souvenir de leur vie. Ce souvenir une équipe de tournage improvisée en fera un film que la personne décédée regardera avant de disparaître. Ce point de départ peut laisser perplexe et pourtant derrière lui se cache sans doute le film le plus sensible de son auteur. Cette fois-ci, l’être manquant – le fils ou le mari décédé – se trouve personnage principal. Cette fois-ci, Kore-eda Hirokazu passe de l’autre côté. Beaucoup de mélancolie habite After life mais il y souffle surtout un espoir insensé qui continuera de balayer tous les films qui suivront. L’inventivité et le cœur avec lesquels les souvenirs des morts sont mis en images, bricolés à la manière du Be Kind Rewind (2008) de Michel Gondry, rendent plus léger tout ce qui les entourent et semblent même pouvoir aider « ceux qui restent » – on pense encore à la triste Yumiko de Maborosi. Car les films d’Kore-eda Hirokazu plus encore que de se répondre invitent les personnages à se soutenir entre eux, à se serrer les coudes. Rien ne différencie les enfants sans père ni mère de Nobody Knows de ceux de Still Walking ou des souvenirs d’enfance d’ After Life si ce n’est un coup du sort, un « pas de bol » de gosse. C’est ce qui rend I Wish (sortie le 11 avril 2012) si précieux – surtout après le très laborieux Air Doll (2009). Les abandonnés, les mal aimés et les délaissés, l’histoire d’enfant qui se met en place dans ce dernier film les venge tous. Jamais le manque initial – un divorce qui voit deux frères être séparés – n’a paru si facile à combler ou si naturel à accepter. Pour la première fois Kore-eda Hirokazu semble donner le choix à ses personnages. Pour la première fois il donnera aux deux gamins qu’il filme l’occasion de grandir. Yumiko, son enfant et tous les autres en sourient.
Chez Kore-eda Hirokazu tout commence par une disparition. Quand une mère abandonne ses enfants, quand une famille pleure la perte du fils ainé ou qu’une jeune femme se voit forcée de vivre avec le souvenir de la mort de son mari, le cinéaste filme ce qu’il reste. Ses films sont aspirés par l’espace vide creusé en leur cœur et la seule chose qui semble pouvoir y naître ne peut qu’être issu de cette absence. Une fois la mère de Nobody Knows (2004) disparue, ses quatre enfants doivent combler ce manque à leur manière. Ils le font avec le souvenir maternel resté entre les murs de leur appartement car il faut bien manger, il faut bien trouver de l’argent, il faut bien continuer d’exister. De même, dans Still Walking (2008) la mort accidentelle du premier des deux fils n’arrête pas la famille de vivre mais il en subsiste pourtant la trace dans chaque mot que s’échangent ou n’osent se dire ceux qui sont restés. Que l’on en parle ou que l’on n’en parle pas, l’être manquant hante les films d’Kore-eda Hirokazu et chaque corps à l’intérieur du cadre avance au rythme du souvenir de celui qui est partit. La mélodie timide qu’y se joue dans ce cinéma, mélange de mélancolie et d’espoir fébrile, cette mélodie qui emmène tous les personnages avec elle, vient de ce qu’on leur a arraché.
Dès son premier film, Maborosi (1995), le cinéaste enlève rapidement à son héroïne, Yumiko (Esumi Makiko), ce qu’elle a de plus cher au monde : sa famille – son mari meurt et tous les signes indiquent qu’il s’agit d’un suicide. Pourtant Kore-eda Hirokazu ne va pas détruire Yumiko, comme il ne détruira pas plus tard les enfants de Nobody Knows. La jeune femme se souviendra toujours de son amour perdu, jusqu’à être obsédée par lui, mais trouvera un nouveau mari et verra son fils grandir. Il n’est jamais question de cruauté dans ce cinéma mais plutôt de compassion. Nobody Knows serait insupportable s’il se contentait seulement de filmer des enfants se détruisant en l’absence de leur mère. L’histoire de ces quatre gosses livrés à eux-mêmes fonctionne car Kore-eda Hirokazu n’en reste pas spectateur et investit viscéralement son récit. Documentariste avant d’être cinéaste, il filme au plus près de ses personnages mais sans quasiment aucun gros plan. Proche d’eux il reste pourtant à distance comme s’il se savait, bien que redevable de ce qu’il leur a ôté au départ, incapable de les sauver complètement. Toujours en retrait mais pourtant toujours aux cotés de Yumiko, Maborosi bouleverse ainsi quand il advient que tout l’amour du cinéaste pour la jeune femme ne suffira pas à l’aider. Comme les enfants de Nobody Knows ou le fils délaissé de Still Walking, au final Kore-eda Hirokazu abandonne à nouveau Yumiko. Mais comme à eux, il lui laisse un peu d’espoir.
La lumière prend différentes formes chez Kore-eda Hirokazu. Elle peut être une famille reconstruite, l’ultime regard caméra d’un enfant entouré de son frère et de sa sœur ou bien comme ce que verra Yumiko, une lueur sur la mer ; une illusion. Qu’importe sa forme le plus important est que cette lumière, cet espoir, existe. Dans ce qui reste aujourd’hui son film le plus étonnant, After Life (1998), l’espoir est un souvenir, celui qu’on emmène avec nous après la mort. Les personnages filmés par Kore-eda Hirokazu viennent de casser leur pipe et on demande à ces « nouveaux mort » débarqués dans les limbes de choisir le plus beau souvenir de leur vie. Ce souvenir une équipe de tournage improvisée en fera un film que la personne décédée regardera avant de disparaître. Ce point de départ peut laisser perplexe et pourtant derrière lui se cache sans doute le film le plus sensible de son auteur. Cette fois-ci, l’être manquant – le fils ou le mari décédé – se trouve personnage principal. Cette fois-ci, Kore-eda Hirokazu passe de l’autre côté. Beaucoup de mélancolie habite After life mais il y souffle surtout un espoir insensé qui continuera de balayer tous les films qui suivront. L’inventivité et le cœur avec lesquels les souvenirs des morts sont mis en images, bricolés à la manière du Be Kind Rewind (2008) de Michel Gondry, rendent plus léger tout ce qui les entourent et semblent même pouvoir aider « ceux qui restent » – on pense encore à la triste Yumiko de Maborosi. Car les films d’Kore-eda Hirokazu plus encore que de se répondre invitent les personnages à se soutenir entre eux, à se serrer les coudes. Rien ne différencie les enfants sans père ni mère de Nobody Knows de ceux de Still Walking ou des souvenirs d’enfance d’ After Life si ce n’est un coup du sort, un « pas de bol » de gosse. C’est ce qui rend I Wish (sortie le 11 avril 2012) si précieux – surtout après le très laborieux Air Doll (2009). Les abandonnés, les mal aimés et les délaissés, l’histoire d’enfant qui se met en place dans ce dernier film les venge tous. Jamais le manque initial – un divorce qui voit deux frères être séparés – n’a paru si facile à combler ou si naturel à accepter. Pour la première fois Kore-eda Hirokazu semble donner le choix à ses personnages. Pour la première fois il donnera aux deux gamins qu’il filme l’occasion de grandir. Yumiko, son enfant et tous les autres en sourient.