Alors que le roi des monstres Godzilla fête cette année ses 70 ans de règne sur le monde des Kaiju-eiga, l’éditeur Roboto films propose dans un superbe coffret la série des trois films Gamera de l’ère Heisei, réalisés par Kaneko Shusuke. C’est l’occasion de (re)découvrir une autre icône incontournable du film de monstre japonais, tout aussi populaire que Godzilla, à travers une saga passionnante avec ses propres codes et enjeux.
En 1954, le public japonais découvre un film de Honda Ishiro qui narre les mésaventures des hommes au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en prise avec un monstre géant antédiluvien réveillé par les bombes atomiques, un lézard géant qui va tout détruire sur son passage jusqu’à Tokyo en usant de son souffle atomique. La légende Godzilla était née. Pierre fondatrice du kaiju-eiga (film de monstres géants), symbole également de la peur du nucléaire, cette superproduction sera la première d’une très longue série de films de qualité variable au sein desquels le Roi des monstres affrontera toute une palanquée d’adversaires, monstres titanesques en tous genres, extraterrestres et même King Kong. Mais quand bien même la qualité ne sera pas toujours au rendez-vous, le succès public est incontestable et remplit les caisses de la Toho, société de production de laquelle est issue la saga Godzilla. Aussi, il ne faudra pas attendre longtemps, pour que le studio concurrent, la Daiei, se décide à lancer sa propre créature sur le marché, et son nom sera Gamera. Dans la première série de films tournés pendant l’ère Showa (1926-1989), Gamera est montré comme une tortue géante préhistorique réveillée par des tirs atomiques. Un point la différencie cependant de Godzilla : il n’est pas un monstre avide de destruction, mais semble se ranger dans le camp des humains, jouissant d’un statut de protecteur, ce qui lui attire la sympathie du jeune public. Huit films lui seront consacrés durant l’ère Showa, huit productions là encore de qualité plus ou moins discutable et parfois produits pour des raisons bassement mercantiles, comme l’explique Fabien Mauro dans le livret fourni avec le coffret de Roboto films, mais qui vont poser les bases d’un univers que la deuxième saga de l’ère Heisei va utiliser à bon escient, pour un résultat tout simplement prodigieux.
C’est en 1995 que Gamera va renaître de ses cendres, ou plutôt sortir de son sommeil au fond du Pacifique. Le metteur en scène Kaneko Shusuke et le scénariste Ito Kazunori vont drastiquement dépoussiérer le mythe tout en respectant les fondamentaux. Le script va conserver le statut de protecteur de Gamera et son lien si particulier avec la jeunesse (symbolisée dans cette saga par la jeune Asagi, liée psychiquement au monstre via une gemme), et surtout modifier les origines du monstre. Gamera est désormais une entité créée par un peuple de l’Atlantide pour protéger le monde d’autres créatures, elles aussi créées par la civilisation engloutie. À la production, les deux hommes vont s’entourer d’une pléthore de jeunes talents à tous les postes, des effets spéciaux en passant par les costumes sans oublier un compositeur de renom, et réaliser Gamera, Guardian of the Universe en 1995.
La réussite est totale. D’entrée de jeu, le film met un point d’honneur à utiliser au minimum les images de synthèse, celles-ci ne sont appelées que pour certains effets complexes comme le décollage de Gamera (tortue rétro-propulsée, il faut le noter), et tous les autres effets spéciaux sont mis en scène à l’ancienne, et de qualité irréprochable. Le scénario fait revenir les ennemis jurés de Gamera de l’ère Showa, les Gyaos, croisement monstrueux de ptérodactyles et de dragons avides de viande, et les fait s’affronter à Tokyo, dans des combats dignes de la grande époque du kaiju-eiga. Le ton est résolument sérieux, le film est spectaculaire, le divertissement est total, généreux et maîtrisé. La saga Heisei pose ses figures imposées pour les suites, comme la jeune Asagi, avec également une jeune scientifique que personne ne veut écouter, et bien sûr Gamera en protecteur des hommes, bien que ceux-ci peinent à le considérer comme un allié.
Après le succès de Gamera, une suite voit le jour en 1996, intitulée Attack of Legion, toujours réalisée par Kaneko Shusuke. Une suite qui se voudra à la hauteur de son prédécesseur mais qui va réussir l’exploit de le surpasser à tous les niveaux. Dans cet épisode, le Japon doit faire face à une invasion de créatures extraterrestre arrivées sur Terre via une météorite qui s’est écrasée à Hokkaido, dans le nord du Japon. Seul rempart contre ces monstres : Gamera. Mais une autre menace beaucoup plus grande plane sur le pays. Attack of Legion est certainement ce que le genre kaiju-eiga aura su produire de mieux en matière de divertissement et de mise en scène. Le script ne perd pas de temps et pose d’emblée les enjeux du récit, avec un Gamera embrassant plus que jamais son statut de gardien et de protecteur, et une humanité au bord de l’extinction. Le ton est ici résolument plus adulte et sombre, avec un scénario et une mise en scène qui osent montrer frontalement la mort et les horreurs de la guerre à travers des images que l’on ne pensait pas voir dans un film de divertissement (les morts très graphiques d’un agent de métro et d’agents militaires sont à ce titres surprenantes de brutalité). Le scénario se montre même nihiliste et sombre à un degré assez surprenant : une ville japonaise est littéralement rayée de la carte, et la mise en scène filme avec froideur et sans fard les conséquences d’utilisation d’armes de guerre à la puissance incontrôlable. Côté grand spectacle, le résultat est généreux et le réalisateur tend à rendre le plus crédible et spectaculaire possible son film, en filmant au maximum ses combats de monstres dans les mêmes environnements que ceux où évoluent les comédiens. En résultent des scènes dantesques, à l’image d’un combat sur un tarmac où Gamera et un monstre géant s’affrontent, entourés du ballet des hélicoptères de l’armée qui tentent tant bien que mal d’évacuer les civils. Le tout s’achève dans un déluge pyrotechnique, bouquet final qui vient clôturer le meilleur épisode de la saga.
Après cet épisode, on se demande si le troisième volet, Revenge of Iris, arriverait à réitérer l’exploit. Et bien sans pour autant arriver au niveau d’excellence de son prédécesseur, l’épisode final se montre tout aussi passionnant, entraînant la saga sur un terrain plus mature et réflexif, avec des héros humains bien plus sur le devant de la scène, dans un scénario qui fait de la vengeance son thème principal. Le film commence d’ailleurs avec un flashback du premier volet au cours duquel nous découvrons Ayana, jeune fille qui voit sa famille mourir sous les pattes de Gamera lors d’un combat face aux Gyaos. Devenue adolescente, Ayana n’éprouve que de la haine pour la Tortue, et fait la connaissance d’Iris, une créature qu’elle va apprivoiser, alors qu’aux quatre coins du globe, des nuées de Gyaos débarquent. Gamera revient aussi, ce qui va provoquer la colère d’Ayana, qui ne se doute pas qu’Iris a d’autres plans en tête. Le volet final de la saga va totalement mettre de côté l’aspect divertissant et spectaculaire des deux premiers épisodes pour proposer un spectacle d’une noirceur étonnante. La scène inaugurale donne d’emblée le ton avec un affrontement à Shibuya où la ville est complètement rasée et les tokyoïtes engloutis par des déluges de feu. Le Gamera du flashback n’est plus la tortue aux yeux globuleux mais un hideux monstre incontrôlable. Le metteur en scène va clore avec son scénariste son arc narratif en ramenant Gamera à sa nature initiale, à savoir un monstre géant uniquement guidé par son objectif premier, protéger la galaxie et détruire ce qui la menace, sans considération pour les humains ; son lien avec l’adolescente, et par extension les hommes, n’existant plus. Sa mise en scène se fait moins spectaculaire que pour Legion, plus intimiste car plus centrée sur les humains de son scénario. Cependant, le dernier acte apocalyptique ravit le fan de kaiju-eiga avec sa vision d’horreur de Kyoto transformé en brasier géant et son climax dans la gare Shinkansen où les deux titans s’affrontent une dernière fois pour le salut de l’humanité.
Partie d’une simple tentative de surfer sur le succès du film de monstre géant, la Saga Gamera a su trouver au final avec la trilogie Heisei une identité propre et se créer une véritable mythologie qui rend honneur de la plus belle des manière au kaiju-eiga, entre pur divertissement et sous-texte plus sérieux. Indispensable pour tout amoureux du film de monstre.
BONUS
Le plus gros de l’interactivité est répartie en trois partie de deux heures sur les disques présents dans le coffret. Six heures d’entretien avec ceux qui ont contribué à faire de la trilogie Heisei de Gamera une saga incontournable. Près de 95 intervenants sont interrogés, via souvent les mêmes questions, mais la diversité de leur champ d’activité rend l’ensemble vraiment passionnant. Scripts, scénaristes, responsables des SFX, cascadeurs, tous reviennent avec passion, émotion et bonne humeur sur leur passage dans la saga Gamera. On remarquera que le carton qui clôt chaque entretien comprend une section ‘poste actuel’, où l’on découvre que certains d’entre eux sont devenus des références dans leur secteur d’activité.
Les bandes-annonces des autres sorties Roboto sont également présentes sur les disques.
En complément des trois films, l’éditeur a eu la bonne idée de joindre un petit livret dans lequel l’incontournable Fabien Mauro présente en détail la genèse de la saga Gamera, de ses début en 1965 jusqu’à la série animée de 2023. Un parfait complément au film, débordant d’anecdotes et d’informations.
Romain Leclercq.
Gamera, la trilogie Heisei : Guardian of the Universe, Attack of Legion, Revenge of Iris. Japon. 1995, 1996, 1999. Disponible chez Roboto Films en coffret Blu-ray en septembre 2024.