EastAsiaVIDEO - Voiture de luxe de Wang Chao

Posté le 7 septembre 2024 par Richard Guerry

Lauréat du prix Un Certain regard au Festival de Cannes 2006, Voiture de luxe de Wang Chao est une manifestation concrète d’une certaine aspérité du cinéma sinophone des années 2000, un cinéma qui regarde tout autant la société que l’individu dans son intimité. À redécouvrir en DVD et Blu-Ray le 11 septembre 2024 chez les éditions L.C.J.

Un instituteur, Li Qi Ming, proche de la retraite, part à Wuhan, à la recherche de son fils dont il n’a plus de nouvelles. Sa femme gravement malade aimerait revoir leur fils avant de mourir. Il est accueilli par sa fille, Yanhong, qui travaille la nuit comme hôtesse dans une boîte de karaoké. Elle lui présente un policier qui va l’aider dans ses recherches et avec lequel il va se lier d’amitié.

À replacer dans son encadrement chronologique, Voiture de luxe (2006) est déjà le dernier volet d’une trilogie sur la Chine initiée par Wang Chao, ancien critique et assistant réalisateur de Chen Kaige. Après L’Orphelin d’Anyang (2001) et Jour et nuit (2004), il ne fait plus aucun doute que le réalisateur, originaire de Nankin et lui-même issu du milieu ouvrier, s’engouffre dans un cinéma social aux atours accusatoires.

À la croisée des dérives familiales peintes par Wang Xiaoshuai et des discours juvéniles du Hou Hsiao-hsien des années 1990, Voiture de luxe jette son regard sur la place des individus dans une société qui ne se comprend plus elle-même. L’être et son environnement sont placés au même niveau d’étude afin qu’ils se reflètent mutuellement. Le décalage entre le père et sa fille fait miroir à des fractures plus grandes encore, entre la ville et la campagne où celui-ci fut envoyé de force du temps du Grand Bond en avant, entre l’ancienne et la nouvelle génération, et toutes ces petites choses du quotidien qui témoignent d’une rupture. Fidèle à sa profession, l’instituteur n’est pas plus moralisateur qu’il est étranger à la vie que mène désormais sa fille. Ni par choix ni par principe, celle-ci détourne les yeux de sa condition dans des scènes d’ascenseur répétées où la séance de remaquillage prend symboliquement des allures de changement de masque.

Le film tout entier, jusque dans son rythme et son montage, insiste sur les déplacements continus des personnages en train, en vélo ou en voiture dans un rite de passage qui se réverbère sur le mouvement perpétuel de la ville de Wuhan. Le vieil instituteur n’est en effet plus en capacité de comprendre ce monde urbain, il n’est que de passage dans cette ville où l’anonymat renvoie à l’absence de son fils et le désordre à sa propre parentalité. La honte de l’un se confronte au poids du silence de l’autre dans un réalisme assourdissant que seuls les grands maîtres du cinéma sinophone parviennent à décliner et surtout à contenir. Un exemple de plus de la richesse inépuisable des années 2000 chinoises.