MUBI – Notre petite sœur de Kore-eda Hirokazu

Posté le 23 août 2024 par

Parmi l’ensemble de films de Kore-eda Hirokazu qui arrivent sur MUBI, on retrouve Notre petite sœur, son magnifique film de 2015 se déroulant dans la ville balnéaire de Kamakura, dressant le portrait de quatre sœurs, pour une œuvre toujours centrée sur la famille.

Entre Kore-eda Hirokazu et le Festival de Cannes, c’est une histoire qui dure. Deux ans après le bouleversant Tel père, tel fils, le réalisateur japonais est revenu en compétition avec son adaptation du manga Kamakura Diary, écrit et dessiné par Yoshida Akimi. Accueilli fraichement par un public en mal de sensations fortes, Notre petite Sœur s’inscrit pourtant dans le prolongement logique d’une œuvre qui ne cesse d’évoluer, de se mouvoir selon les obsessions de son auteur.

Il faut dire que la rencontre entre Yoshida Akimi et Kore-eda Hirokazu semble être une évidence tant leurs univers se rejoignent sur bien des points. Au centre de cette histoire, la prise en charge par les trois sœurs Kohda de leur jeune demi-sœur Suzu, née d’une mère différente, au sein de leur vieille bâtisse à Kamakura, dans laquelle elles ont toujours vécu. Leur père, parti 15 ans plus tôt, abandonnant femme et enfants, vient de mourir. Entre temps, il s’est remarié une première fois avec la mère de Suzu, puis une deuxième fois lorsque celle-ci est décédée. La mère de Sachi, Yoshino et Chika, ébranlée par le départ de son mari, est également partie vers d’autres cieux, laissant ses trois filles livrées à elles-même. Si le point de départ rappelle le sombre et désenchanté Nobody Knows, Kore-eda Hirokazu s’éloigne rapidement du chemin tout tracé vers le mélodrame pour nous plonger dans une chronique familiale douce et délicate, dans la veine positive de ses derniers films.

Comme à son habitude, il s’attelle à faire ressurgir les liens naturels entre les différents personnages. Après l’enterrement du père, Suzu s’installe à Kamakura et apprend à connaitre ses sœurs. Elle retrouve en Sachi une seconde mère, un rôle que l’ainée de la famille, autoritaire et sage, a déjà eu pour ses deux sœurs cadettes. Avec elle, Yoshino l’exubérante et Chika l’espiègle, Suzu installe une complicité qui servira de terreau à leur épanouissement personnel. Les sœurs Kohda voient en Suzu un peu du patriarche qu’elles n’ont jamais vraiment connu. Ensemble, elles parviennent à oublier les vieilles rancunes familiales et empruntent leur propre chemin vers la rédemption et l’acceptation de soi, ce qui occasionne les scènes les plus fortes du film.

Mais le manga de Yoshida Akimi et son adaptation ne se concentrent pas uniquement sur cette agréable « sororité ». Malgré les bons moments passés ensemble dans cette maison qui rassemble tant de souvenirs et de témoignages du passé, nos quatre sœurs ont leur caractère et leur sensibilité propre, et chacune doit s’accomplir individuellement pour aller de l’avant. On rencontre alors d’autres personnages satellites qui viennent se greffer au récit le temps de quelques historiettes : Sachi, ses collègues infirmières et son amant chirurgien, Yoshino et son jeune étudiant amoureux qui ne semble pas tout à fait net, Chika et son patron du magasin de sport, Suzu et ses nouveaux camarades collégiens… Kore-eda Hirokazu  nous promène ainsi dans une ville pleine de vie et d’aventures, au fil du temps qui passe et des saisons qui défilent, au rythme des cueillettes de prunes et des matchs de football.

Il serait facile de reprocher au réalisateur japonais de ne pas vouloir dépasser le stade de la chronique préfabriquée et sans grands enjeux dramaturgiques, mais contrairement aux apparences, Notre petite Sœur n’entre jamais dans un schéma narratif prédéfini. Tout en restant fidèle à l’esprit du manga, Kore-eda Hirokazu amène sa subtilité et sa liberté de ton. Il préfère, par exemple, élaguer certaines histoires ou fusionner certains personnages pour ne pas trop s’appesantir sur la question du suicide, ou celle du handicap, très présentes dans l’œuvre originale, même si le thème de la mort reste très ancré dans le récit. Ces choix assumés permettent au réalisateur d’approfondir son exploration de la cellule familiale sans pour autant nous faire ressentir une sensation de lourdeur ou d’éparpillement. Aux séquences de communions légères et pleines d’humour se substituent malgré tout quelques moments d’émotion plus intenses, que les notes de piano de la célèbre compositrice Yoko Kanno viennent envelopper avec douceur.

Entouré de ses quatre grandes actrices qu’il filme avec un naturel saisissant, l’un des héritiers du cinéma d’Ozu démontre encore une fois tout son talent pour nous absorber dans le quotidien d’une famille pas comme les autres. Un peu de cinéma tendre, généreux et positif, ça fait du bien de temps en temps, et même si son film dure plus de deux heures, on serait bien resté quelques heures de plus avec ces sœurs magnifiques.

Nicolas Lemerle.

Notre petite sœur de Kore-eda Hirokazu. Japon. 2015. Disponible sur MUBI.