La parution des films de Hong Sang-soo en vidéo est toujours un petit miracle, du moins une anomalie salutaire dans le contexte actuel. Que son cinéma trouve le chemin des salles après être toujours, et heureusement, sélectionné parmi les plus grands festivals européens, c’est dans la logique de l’industrie culturelle en France. Que, dans un marché vidéo en souffrance, malgré les 10 600 entrées cinéma cumulées de De nos jours… et 9 060 entrées de Walk Up, les 2 films fassent l’objet d’une édition vidéo chez Capricci, c’est un heureux signe que la loi du marché ne décide pas de tout et que les œuvres de cinéma ont encore droit de citer en DVD.
Des 27 films réalisés par l’auteur, voici donc le 10ème tourné en noir et blanc (dont 5 produits sur les cinq dernières années). Que faut-il déduire de cette propension récente à éteindre les couleurs d’un cinéma pourtant traversé par le romanesque et le souci pittoresque de saisir les émotions sur le vif ? Walk Up apporte quelques pistes de réponse.
Le récit suit le cinéaste Byung-soo et sa fille Jeong-su alors qu’ils visitent un bâtiment appartenant à Mme Kim, partagent un repas et rencontrent d’autres personnes qui vivent dans le bâtiment. Le même événement se répète plusieurs fois dans différentes variantes. Byung-soo entame plus tard une relation avec une femme dans l’immeuble et emménage dans l’un des appartements.
À nouveau, le cinéaste fait le choix du noir et blanc. D’un noir et blanc fait de douceur et de nuances grises. De ses 63 ans, si l’artiste multiplie les œuvres sans couleur, c’est, au choix, au regard de ce film : par un excès d’affectation esthétique ; par mélancolie du cinéma passé ; par souci d’éteindre l’émerveillement visuel pour mieux signer les contours des silhouettes et faire des émotions du jour autant de chagrins larvés la nuit ?
Pour les fidèles de l’auteur, dans ce cinéma à l’économie, la meilleure porte d’entrée reste celle des acteurs, fétiches de ses films, présents pour l’occasion : Kwon Hye-hyo, Song Seon-mi, Park Mi-so… Autant de visages qui composent des motifs réguliers d’une œuvre obsédée par la cohérence, par-delà les césures. Comme les séquences sont répétées plusieurs fois, l’auteur tient à ressasser ses motifs, à ré-orchestrer sa troupe de comédiens. Il en va des films de l’auteur comme des soirées entre amis : certaines vibrent, d’autres sombrent et quelques-unes résistent par quelques saillies. En l’occurrence, Walk Up fait plutôt partie des 3èmes. Il séduit par quelques truculences inhabituelles, mais somme toute anecdotiques : le serveur d’un café, coréen, tient à se faire appeler Jules (où est Jim ?), les angles de caméra qui osent des contre-plongées quasi-zénithales, un air de guitare joué par Kwon Hae-hyo, dans une belle scène de lâcher-prise, sans sous-entendu lascif ni faux-semblant. Autant de légères incartades du cinéaste, voulues comme des audaces, mais qui rachètent mal une œuvre percluse par l’habitude.
Ici prédomine, pour les coutumiers de l’auteur, un sentiment monotone de répétitions. Le film reprend notamment cette partition musicale des dialogues jouées ad nauseam chez Hong Sang-soo. Reposant sur la mélodie des intonations typiquement sud-coréennes, composées d’envolées et de dernière syllabe traînée de façon plaintive pour exprimer une émotion contrite, résonne ici à nouveau le fameux leitmotiv hongien : un homme et une femme se disputent ; la femme émet alors une critique en laissant traîner la dernière syllabe, à quoi l’homme répond par un silence suivi d’un mot aussi rapide que pétri de gêne, dans une sorte de ping pong joué en mode mineur. Le tout pour rejouer l’imperturbable incommunicabilité des femmes et des hommes.
Les œuvres de Hong Sang-soo ont toujours été très verbeuses. Mais cette logorrhée a souvent accompagné un but, des enjeux, l’illustration d’une situation. Depuis plusieurs longs-métrages maintenant (Le Jour d’après, La femme qui s’est enfuie, etc.) et avec Walk Up peut-être plus que jamais, le récit se construit dans une succession de dialogues, de descriptions de vérités intérieures, dans un dénuement dramaturgique qui tend vers une pure ligne claire de la parole, témoignant que l’un des films cibles du cinéma de Hong reste Ma Nuit chez Maud de Rohmer.
Voilà les émotions qui résultent de ce film, tout entier habité par un profond sentiment de mélancolie et de solitude (de lassitude ?), évoquant par là Grass et Hotel by the River. Maintenant, que peut-il en être d’un spectateur qui n’aurait vu aucun long-métrage du cinéaste, qui découvrait par là le cinéma d’un des auteurs sud-coréens actuels les plus singuliers ? Probablement le même effet radical qui a saisi tous ceux qui l’ont découvert la première fois : un rejet puis un goût de reviens-y ou une fascination frontale. Certainement que Walk Up ne déroge pas à la règle.
BONUS
Dans le cadre du combo DVD de deux films de Hong Sang-soo, l’éditeur Capricci agrémente chacune des deux galettes d’un long moment d’échanges.
Dialogue autour des films par Charlotte Garson et Romain Lefebvre (42min) : sur le DVD de Walk Up, les critiques échangent autour de chacun des 2 films et du cinéma de Hong Sang-soo, devant une grande affiche du Jeanne Dielman d’Akerman (dont la présence rappelle combien le temps long cher au réalisateur coréen se situe dans la filiation de la cinéaste belge).
En prolégomènes de leur échange, il est rappelé la méthode du cinéaste qui écrit la scène le matin, la confie ensuite à ses acteurs pour qu’ils puissent la jouer l’après-midi sans la sur-intellectualiser.
Ils reviennent ensuite sur l’allègement progressif du cinéma de Hong qui, par souci de réduction économique, a fini par devenir son propre chef-opérateur et monteur et dont l’une des actrices principales, Kim Minhee a acquis la polyvalence de devenir aussi sa coproductrice, le tout constituant de film en film une famille raffinée et soudée.
Ce qui est intéressant en les écoutant échanger autour de De nos jours… et Walk Up, c’est la manière dont ils dissèquent la méthode, la topographie, le geste du cinéaste pour tâcher de cerner par les mots la singularité plastique et fondamentalement mutique de l’art de HSS.
En les regardant échanger, on peut ressentir le même plaisir qu’à l’écoute d’un podcast : ce sentiment d’être présent avec eux et de partager à un moment d’intelligence collective. Un sentiment finalement très proche de celui qu’on peut éprouver devant les films de HSS.
Flavien Poncet
Wall up de Hong Sang-soo. Corée du Sud. 2023. Disponible en DVD le 21/05/2024 chez Capricci.