Le documentariste Lee Hyuk-rae à travers la figure de Bong Joon-ho revient sur une période faste de la cinéphilie coréenne. Yellow Door, disponible sur Netflix, est le nom du club de cinéphile où s’est cristallisée la passion du cinéaste coréen, mais également de ses amis qui ont joué un rôle dans le développement d’une certaine idée du cinéma mais aussi accompagné la construction de l’industrie coréenne durant les années 90.
Looking for Paradise est le nom du court-métrage que Bong Joon-ho avait réalisé durant la période du ciné-club Yellow Door dont il était l’un des membres les plus fervents. Comme il est dit explicitement dès les premières minutes du documentaire, de rendre compte de comment ce court-métrage est advenu est une histoire à la Rashomon. Entre souvenirs, archives, photos, et une discussion par webcams interposées, les différents membres du club vont donner leur version de ce que représentait une telle démarche à l’époque. La fin d’une lutte politique (celle des évènements qui ont commencé en 1987 jusqu’au début des 90 où la Corée du Sud est passée d’un régime autoritaire à un régime libérale à l’occidentale) et le début d’une nouvelle ferveur pour les arts, la culture, donc pour le pays qui devait désormais se faire une place sur la scène internationale comme une puissance et donc, en avoir l’image. Le dispositif s’avère assez classique pour un tel documentaire, avec des jeux de miroirs, des compositions surcadrées ou des saynètes voire des vignettes pour reconstituer certains éléments cruciaux de la vie du club comme l’achat d’un magnétoscope qui permettait de rembobiner, donc d’analyser les œuvres. C’est surtout dans ce que l’on peut tirer du flot de paroles que le documentaire nous informe réellement sur la situation coréenne d’il y a 30 ans. On y apprend qu’il y avait différents pôles de cinéphiles à Séoul, ou que des figures locales ont œuvré à diffuser des œuvres invisibles en parlant de ces dernières dans des ouvrages. L’industrie cinématographique coréenne, à travers les noms que nous connaissons, s’est donc d’abord construite sur des images invisibles mais aussi sur une sorte de fièvre pour les arts qui se substituait à l’engagement politique de la jeunesse de l’époque qui considérait avoir fait sa part.
Le paradis que ces jeunes recherchaient et qu’ils parviennent à nous transmettre aujourd’hui par la parole, c’était surtout une réunion, une communion autour d’un feu qui leur donnait autant accès à une réalité lointaine du monde dans le temps ou l’espace, mais qui leur permettait aussi d’y échapper. Le cinéma devenait pour eux une affaire sérieuse, une histoire d’amitié, et pour le cas de quelques-uns, un sacerdoce dont Bong Joon-ho reste l’un des plus brillants étendards. L’entrain des discussions que capte Lee Hyuk-rae montre même que cette flamme est restée intacte pour certains membres et a totalement disparu pour d’autres. C’est probablement l’odyssée d’une génération qui nous est contée en filigrane entre deux réminiscences sur Le Parrain ou sur A bout de souffle. Car justement, les images de ces œuvres, les discussions autour de ces œuvres sont indissociables de la vie des membres du club. Bong Joon-ho rappelle même que lorsqu’il a été invité pour récompenser Coppola au Festival Lumière à Lyon, il n’a pu s’empêcher de rappeler qu’ils avaient analysé Le Parrain avec des dessins pour comprendre le cinéma. Les œuvres contiennent des morceaux de vie. C’est là ou le documentaire est le plus pertinent. Quand il parvient à rassembler les morceaux pour nous rappeler que le cinéma est une odyssée, on vogue à travers les œuvres dans la tempête des images. C’est aussi une histoire de piraterie qui, depuis un demi-siècle, est désormais une clé de l’expérience de cinéphile voire d’apprentissage du cinéma dans les régions qui n’ont pas des structures ou des lieux qui permettent de visionner des œuvres. La piraterie, la recherche et la technologie sont les autres grands amis que se remémorent les membres du club. Trouver un film pouvait s’avérer aussi passionnant que de le regarder, et en discuter nous faisait déjà penser aux prochains, ou préparait un autre visionnage. Dans l’océan de lumière des écrans, il y aurait toujours des îles à découvrir. La quête même pour celui qui a créé sa propre île comme Bong Joon-ho n’est jamais finie. Ainsi, l’œuvre est beaucoup plus touchante dans le partage et le témoignage des conditions matérielles de l’existence d’un groupe cinéphile, d’un ciné-club, que lorsqu’elle devient une hagiographie de son membre le plus éminent. Si le cinéma est désormais une affaire d’auteur, c’était et ça reste, d’un coté comme de l’autre de l’écran, une histoire d’équipe voire d’équipage.
Kephren Montoute
Yellow Door : Laboratoire underground du cinéma coréen de Lee Hyuk-rae. Corée. 2023. Disponible sur Netflix