En guise de premier long-métrage pour accompagner la cérémonie d’ouverture de sa seconde édition, le Festival du Film Hongkongais de Paris a sélectionné The Sparring Partner de Ho Cheuk-tin, un film de procès diaboliquement palpitant sur l’histoire vraie d’un meurtre sordide.
Inspiré d’une vraie affaire criminelle choquante survenue en 2013, le film raconte l’histoire d’un jeune homme qui s’associe à son ami pour assassiner et démembrer ses parents. Puisqu’ils plaident non coupables du crime, les avocats s’affrontent tandis que neuf jurés tentent d’appréhender la vérité.
Dans le paysage cinématographique hongkongais, d’ordinaire aussi imaginatif dans la violence et les horreurs les plus macabres, il est plutôt rare de voir apparaître la pancarte « inspiré de faits réels » en début de film. Les faits réels en question sont les suivants : en 2013, Henry, âgé de 29 ans, assassine ses parents, les découpe en petits morceaux qu’il cuisine ensuite pour les stocker dans des tupperware au congélateur. Le tout avec l’aide de son ami Angus, âgé de 35 ans. Les deux se rendront aux forces de l’ordre, mais, curieusement, plaideront non coupable. Une affaire aussi sensationnaliste ayant suscité les émois de toute l’activité médiatique hongkongaise durant les nombreuses années de procès, se devait certainement d’être racontée, tôt ou tard, au cinéma.
De ce double meurtre très impressionnant, propice à une mise en scène des plus furieuses, Ho Cheuk-in en tirera pourtant un film de procès placide en toute circonstance, porté sur la psychologie du crime et l’étude méticuleuse, presque maniaque, de tout ce qui gravite autour de lui. La question n’est plus celle de la culpabilité ou de l’innocence, mais pourquoi ce parricide a eu lieu dans des circonstances aussi abjectes ? Pour ce faire, le réalisateur fait usage de tout ce que le dispositif cinématographique peut lui offrir et le transforme en redoutable mécanisme judiciaire.
Tout comme la nature même du cinéma, le personnage d’Henry, brillamment interprété par Yeung Wai-lun, est manipulateur. Indisposé aux émotions les plus fondamentales, en proie à un profond mal-être, rejeté par les siens et souffrant d’un complexe d’infériorité vis-à-vis d’un frère couronné de succès, c’est au travers d’un angle de caméra plongeant peu flatteur et de son regard que le crime est d’abord raconté. Un regard psychotique, d’une forme irrationnelle qu’adopte le métrage quand Henry se fantasme en Hitler ou acteur de film X. Un regard déconnecté de la réalité qui ferait passer un meurtre pour un acte moral. Angus, quant à lui, se dévoile en monstre si pathétique que l’essence de sa culpabilité se doit d’être remise en cause.
Pour une compréhension et une lisibilité accrues des faits qui sont reprochés aux criminels, le montage expose le chaos du bloc narratif sur plusieurs temporalités entremêlées : la rencontre entre Henry et Angus, la préméditation, la situation familiale, la recherche des victimes, le procès, la délibération, etc. En parallèle, Ho Cheuk-in multiplie les points de vue et les registres dramatiques pour semer le doute et faire du spectateur un personnage interactif à part entière, au sein d’un film où l’omniscience n’existe plus. Ce même spectateur qui s’improvise en membre du jury disposant d’un droit de jugement pour son verdict. The Sparring Partner, bien que stylisé à l’extrême, invite ainsi à l’expérience du procès dans sa forme la plus primitive, au point zéro de l’enquête où tout est encore à comprendre et à contester. Le résultat est complexe, parfois brouillon, mais brillant et satisfaisant à souhait.
Richard Guerry.
The Sparring Partner de Ho Cheuk-tin. 2022. Hong Kong. Projeté au Festival du Film Hongkongais de Paris 2023.