La série d’animation Neon Genesis Evangelion ne cesse de fasciner et d’inspirer les théoriciens et essayistes friands de pop culture japonaise depuis le milieu des années 90. Il semble alors logique que la fin du cycle des Rebuild, avec la sortie d’Evangelion : 3.0+1.0 Thrice Upon a Time pérennise cet engouement. La Saga Evangelion. L’Œuvre d’une vie de Viriginie Nebbia chez Third Editions vient donc s’ajouter à la construction de cette tour de Babel analytique internationale, en optant pour une approche plus auteuriste, puisqu’elle vise à mettre en lumière des éléments de la saga au prisme de la vie et des références de son créateur insaisissable, Anno Hideaki.
Travailler sur une œuvre aussi étudiée et populaire, voire incontournable, en assurant un tour d’horizon complet du contenu est impossible et l’auteur du livre l’annonce elle-même : il n’est pas question de prétendre clôturer les recherches avec l’essai ultime sur Evangelion. Néanmoins, face à une saga déjà sur-analysée si riche en métaphores, abstractions et références parfois obscures, il est très appréciable d’appréhender une approche terre à terre se basant sur des données concrètes et situées. À ce titre, le premier chapitre d’analyse traitant de l’enfance d’Anno jusqu’à la genèse du projet Evangelion, même s’il n’évite pas quelques écueils (prévisibles, vu l’angle d’approche) de romantisation de la vie de l’auteur, trouve tout son intérêt dans la précision du récit. L’auteur revient sur chacune des étapes qui ont mené Anno à s’intéresser au cinéma d’animation, mais également à le faire rencontrer ses futurs collaborateurs et surtout quelles étaient leurs influences communes, que nous retrouvons plus tard dans l’œuvre. Sur ce point, Virginie Nebbia démontre qu’elle maîtrise son sujet (en particulier en ce qui concerne la science-fiction populaire au Japon dans les années 70 et 80, le genre du tokusatsu et l’organisation des groupes de fans) et réussit à faire un tour d’horizon très clair et minutieux d’éléments qui apportent véritablement une densité à ses analyses ultérieures. L’essai est d’ailleurs toujours lisible et compréhensible, ce qui est très appréciable au vu de la rapidité avec laquelle les (nombreuses) informations sont délivrées.
Quant aux analyses en elles-mêmes, elles bénéficient de cet apport sourcé et rationnel, qu’il s’agisse des parallèles faits avec les œuvres précédentes des animateurs d’Evangelion ainsi que de leurs influences, ou bien du contexte industriel des studios producteurs de la saga : Gainax dans un premier temps, puis khana ensuite. Tout en basant le livre sur la tentative de dresser un portrait d’Anno, Nebbia n’oublie pas la dimension collective de l’œuvre et traite également des contraintes inhérentes à une série d’animation au budget trop léger pour ses ambitions et à une équipe forcée de rendre des comptes à des investisseurs financiers.
Evangelion a souvent été analysé au travers d’un prisme esthétique ou psychanalytique, ce qui fait sens au vu du contenu de l’œuvre, mais ces angles ne sont ici qu’effleurés pour permettre d’étendre le champ des interprétations possibles tout en évitant d’innombrables répétitions déjà présentes dans la théorie sur la saga. De même, Nebbia ne s’appesantit pas énormément sur une étude anthropologique du Japon de l’époque, et se contente de recontextualiser brièvement les épisodes historiques majeurs survenus avant et pendant la production. Dès lors, même avec une pluralité d’angles d’approche, nous évitons de nous perdre dans ce puits sans fond tentaculaire que peut être Evangelion (et les multiples interprétations de l’œuvre qui donnent encore du grain à moudre aux fans à l’heure actuelle) tout en apprenant des informations réellement concrètes et très intéressantes pour qui voudrait apporter une dimension supplémentaire à l’œuvre.
Ce défi de traiter non seulement de la série anime, mais également du manga et des films Rebuild et d’en proposer de nouvelles analyses semble parfaitement relevé. À l’image de ce que Nebbia décrit de l’animation proposée par les techniciens de Gainax à ses débuts, La saga Evangelion. L’œuvre d’une vie semble, elle aussi, avoir été façonnée « par les fans et pour les fans ». En effet, les amateurs des aventures des pilotes adolescents de la NERV devraient trouver leur bonheur (et même quelques surprises) dans cette œuvre rigoureuse, qui donne non seulement envie de revoir la saga pour en saisir les nombreuses références listées, mais également de découvrir les films, livres et anime en question qui ont enrichi l’œuvre.
Elie Gardel.
La Saga Evangelion. L’Œuvre d’une vie de Virginie Nebbia. Paru en septembre 2023 chez Third Editions.