MCJP – Lost Paradise de Morita Yoshimitsu

Posté le 1 juin 2023 par

La Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP) consacre une rétrospective au réalisateur Morita Yoshimitsu, l’occasion de découvrir une œuvre riche, passionnante, subversive et encore injustement méconnue hors du Japon. On évoque Lost Paradise, mélodrame flamboyant et comptant parmi les chefs d’œuvre du cinéma japonais des années 90.

Dans un Japon en voie de changements économique et social, Shoishiro réalise que sa dévotion pour l’entreprise qui l’emploie n’a servi à rien. Il rencontre Rinko, qui subit un mariage forcé. Ils tombent amoureux et retrouvent dans cette relation un enthousiasme depuis longtemps perdu. Mais leur entourage voit la chose d’un mauvais œil…

Morita Yoshimitsu signe un mélodrame bouleversant avec ce Lost Paradise qui explore des thèmes déjà abordés dans sa filmographie, tels que les amours impossibles de Soreraka (1985) ou le carcan oppressant de la pression sociale et de la cellule familiale dans The Family Game (1983). Dans ces deux films s’exprimait une critique virulente de la société japonaise dont les codes assignant les individus à un rôle, une voie toute tracée, les paralysaient et les conduisaient à leur perte. Après la comédie noire de The Family Game et le drame historique de Sorerak,il trouve un nouveau mode d’expression pour exprimer ces questionnements. Il adapte là un roman de Watanabe Junichi qui fut un best-seller au Japon en 1997 et qui connut en plus du film de Morita une transposition en série. Watanabe était spécialisé pour ses romans traitant souvent de l’adultère chez les adultes d’âge mûr. Morita y trouve là un écrin idéal puisque cet âge mûr des personnages de Watanabe correspond aussi à l’ultime moment de résignation ou à l’inverse au fol et désespéré espoir de trouver la flamme.

L’histoire dans son point de départ paraît assez simple. Shoichiro (Yakusho Koji) est un cinquantenaire rangé marié et père, qui va tomber amoureux de Rinko (Kuroki Hitomi), une jeune femme engoncée dans un mariage arrangé. Tous deux ont suivi les règles sociales implicites : détenir un métier solide, fonder un foyer, sans y trouver bonheur ou accomplissement. On comprend que Shoichiro est sur une voie de garage dans son travail d’éditeur qu’il effectue sans passion, et que le métier de professeur de calligraphie de Rinko n’est qu’un prétexte pour échapper quelques heures à son sinistre foyer et au contact de son époux distant. Morita Yoshimitsu filme tous les lieux sans lien avec cette passion amoureuse comme des environnement de passage, dont les protagonistes sont justement les marionnettes de ce système, les salarymen affairés que côtoie Shoichiro au bureau, sa femme en silhouette dévouée qu’il se contente de retrouver ou quitter sans ne plus rien partager avec elle. La photo de Hakase Hiroshi capture parfaitement la neutralité de ces lieux où contraints, les personnages sont physiquement présents mais totalement absents intérieurement, toutes les pensées étant obnubilées par les retrouvailles prochaines avec l’autre.

Le contraste s’avère saisissant entre les êtres éteints durant ces moments où ils doivent jouer leur rôle, est l’incroyable fièvre des scènes d’amour. C’est particulièrement frappant chez la silencieuse et effacée Rinko qui laisse se dévoiler son âme et déchaîner son corps dans les intenses et nombreuses scène de sexe. Kuroki Hitomi et Yakusho Koji font preuve d’un abandon assez stupéfiant qui traduit bien à quel point ce sont là les moments où les personnages sont vivants, incarnés, en tant que couple. La grisaille des environnements urbains s’estompe dans ces instants pour laisser voir des paysages majestueux dans lesquels le couple s’échappe. C’est finalement un état auquel aspirent tous les protagonistes sans l’atteindre, faute d’avoir fait la bonne rencontre, ou d’avoir déjà renoncé au bonheur. Morita l’exprime lors de scènes presque triviales comme lorsque durant un dîner entre collègues, ces hommes mûrs imaginent rieurs ce qu’ils feraient s’ils avaient une aventure avec une femme plus jeune, dans quel hôtel ils l’emmèneraient. Une vraie attente se niche sous cette désinvolture, tout comme chez cette amie divorcée de Rinko semblant chercher un parti chez un bel étranger après avoir été mariée à un Français.

Concrètement, aucun obstacle ne semble empêcher Rinko et Shoichiro de quitter leur situation malheureuse pour vivre ensemble. Mais Morita diffuse en creux un climat anxiogène et culpabilisant où tout appelle à éloigner le couple. La dépendance matérielle encore forte de la femme japonaise envers son époux, le poids des conventions et surtout une hypocrisie qui rend, une fois connue, la liaison des personnages répréhensibles envers leur famille pour Rinko (sa mère, ancienne femme quittée, qui voit dans sa fille une réminiscence de son mari absent) ou ajoute à la disgrâce en milieu professionnel pour Shoichiro. L’échappée belle ne peut se faire que dans ces étreintes à la dérobée, mais la pression du conformisme s’avère insupportable sur la durée.

Tout au long du film court le thème de l’amour passionnel et morbide, les personnages ayant des discussions sur les amours funestes comme celle de Abe Sada ou d’autres couples littéraires de suicidés. Peut-être est-ce là le seul moyen de s’aimer sans contrainte, le film basculant dans sa dernière partie dans une épure encore plus marquée où le monde extérieur n’existe plus, la « petite mort » de l’orgasme devenant celle concrète de la dévotion amoureuse ultime. Tout en se montrant très feutré, Morita atteint une intensité dramatique et un romantisme désespéré marquant qui rappelle justement la retenue en plus la dualité Eros/Thanatos qu’on trouve dans La Véritable histoire d’Abe Sada de Tanaka Noboru (1975) ou L’Empire des sens de Oshima Nagisa mais dans un cadre contemporain – et supposé plus libre. Un des très grands films japonais des années 90.

Justin Kwedi.

Lost Paradise de Morita Yoshimitsu. Japon. 1997. Projeté à la Maison de la Culture du Japon à Paris