Devenu au fil des années un film culte du cinéma asiatique, rayon divertissement, The Storm Riders a désormais les honneurs d’une réédition en Blu-ray chez Spectrum Films. C’est l’occasion de revenir sur cet OVNI cinématographique, qui méritait bien une redécouverte, près de 25 ans après sa sortie en salles.
Les cinéphiles passionnés de cinéma asiatique et plus particulièrement de la catégorie nommé wu xia pian se souviennent d’avoir rencontré en 1998 un film tout fou et absolument délirant, le fameux The Storms Riders. Un film où se mêlent trahisons, meurtres, héros légendaires et moult rebondissements épiques, sans oublier de valeureux héros face au grand tyran, sur fond de légendes ancestrales. Un joyeux fourre-tout aux effets spéciaux disons, osés, à la mise en scène stylisée et qui offrait, force est de le reconnaitre, son quota d’action au spectateur venu chercher de l’aventure. Mais près d’un quart de siècle plus tard, que reste t-il de The Storm Riders ? A posteriori, nous avons affaire à un film qui emprunte les pires tics de mise en scène de la fin des années 90, avec des effets spéciaux que la HD actuelle achève de rendre obsolètes. Et il faut le reconnaître, pour apprécier pleinement le contenu et l’importance du métrage, et à sa juste valeur, il est nécessaire de replacer le film dans le contexte de l’époque.
Hong Kong, fin des années 90. Dans l’industrie du cinéma de divertissement, le wu xia pian n’a plus le vent en poupe. Les polars de John Woo ont redéfini à leur manière le cinéma d’action hongkongais, et Tsui Hark en 1995 a mis une claque monumentale avec son chef d’œuvre barbare The Blade, mais le box office n’a pas suivi. Plus personne ne semble s’intéresser aux aventures de courageux héros venus en découdre à l’épée et les stars du cinéma de Hong Kong, acteurs comme réalisateurs, s’en vont tenter leur chance à Hollywood. Pourtant, un producteur du nom de Manfred Wong décide de produire en 1998 avec la société B.O.B and Partners (fondée en partenariat avec Andrew Lau) et la légendaire Golden Harvest, une adaptation d’un manhua (bande dessinée chinoise) : The Storm Riders. Il s’agit d’un récit on ne peut plus classique mais à très haut potentiel cinématographique, selon les dires de ses producteurs, et susceptible de faire revenir en masse les spectateurs dans les salles obscures de Hong Kong. Pour cela, les grands moyens vont être déployés. Le casting inclura Aaron Kwok, Ekin Cheng, Shu Qi, Kristy Yang, l’incontournable Anthony « Ebola Syndrome » Wong et le légendaire Sonny Chiba dont la ressemblance physique avec le grand méchant de la bande dessinée serait assez troublante. Le film se tournera dans des décors somptueux (mais dans des conditions assez pénibles, au dire des comédiens) et pour les nombreux effets spéciaux numériques, la production fera appel à Centro Digital, alors le must en matière de CGI. Le film sort et c’est un succès. Mais c’est sur le long terme que sa renommée grandira, offrant au passage au film le statut de film culte.
Intéressons-nous pour commencer à l’histoire. La trame est plutôt classique et fait preuve d’une réelle volonté d’offrir un vrai film d’aventure à l’ancienne. Dans la Chine médiévale, un tyran, nommé Dominateur, se laisse persuader qu’une prophétie lui apportera malheur. Afin d’éviter tout désagrément, il recueille deux enfants qui sont sensés lui garantir force et invulnérabilité. Devenus adultes, les deux jeunes hommes, Vent et Nuage de leurs prénoms, vont commencer à se rebeller contre Dominateur. Le récit est finalement assez peu original, mais pourrait potentiellement être une bonne base pour un film populaire de divertissement. Et s’il y a bien une chose que l’on ne peut pas reprocher au film, c’est sa générosité et sa surabondance de rebondissements et d’action, sans oublier un scénario dense et parfois confus, à vouloir partir dans tous les sens. Tous les comédiens sont à fond, et Sonny Chiba en fait des caisses dans le rôle du perfide Dominateur, avec moult rires sardoniques et surjeu outré, tout en donnant l’impression de vivre sa meilleure vie dans un rôle de méchant. Il y a de l’amour aussi, des trahisons et même de l’émotion. A priori, tout devrait bien se passer. Mais là où cela se complique, c’est du côté de la mise en scène.
Avec le recul, il faut reconnaître que le visionnage de The Storm Riders est quelque peu compliqué, et ce pour des raisons techniques. Commençons par le point le plus fâcheux de l’affaire : les effets spéciaux. Le film date de 1998. À titre indicatif, un an plus tard, sortira sur les écrans Matrix des sœurs Wachowski, un film aux effets spéciaux inoubliables et qui n’ont pas pris une ride. Malheureusement, du côté de Hong Kong, comparés à ce genre de blockbuster, les effets digitaux n’ont pas vraiment brillé par leur excellence. Parfois ça passait plutôt bien, comme dans Histoire de fantômes chinois qui supporte bien le poids des années, et parfois comme dans The Storm Riders. Si à l’époque, cela pouvait encore faire illusion, avec le recul, 25 ans plus tard, le produit est plus délicat à défendre. Pour donner une idée, le générique inaugural, sur fond de chanson chinoise, est une succession de plans tout en CGI, dont la qualité rappellera de mauvais souvenirs de cinématiques Playstation 1 en fin de vie. Les dix premières minutes confirmeront ce choix de mise en scène, avec des affrontements sur fond bleu absolument hideux et des décors tout en images de synthèse. L’incrustation des comédiens est à l’avenant, donnant parfois l’impression d’assister à une bande démo de jeu FMV avec en guest Sonny Chiba.
Par la suite, le long-métrage a recours à plusieurs reprises aux CGI, et si certains sont d’un rendu assez discutable (mention « peut mieux faire » au griffon de feu), de manière générale, le niveau remonte assez rapidement. Mais là où le film est plus mémorable, c’est dans la mise en scène d’Andrew Lau. Le futur co-réalisateur d’Infernal Affairs travaille dur à apporter rythme et flamboyance à son récit, et pour cela enchaîne quelques-uns des pires choix de mise en scène visuelle des années 90. Rien ne manque à l’appel : on y retrouve des scènes avec effets saccadés, une caméra qui virevolte dans tous les sens (mais n’est pas Tsui Hark qui veut), et le classique plan débullé combiné à un travelling avant. On ne peut pas reprocher au film de se reposer sur ses lauriers pour ce qui est de la volonté d’en mettre plein les yeux. Mais l’une des conséquences de ces envolées stylistiques est plus dommageable, les chorégraphies pourtant spectaculaires du film en deviennent parfois illisibles à force d’être filmées à grands coups d’effets clipesques. Parfois, le film arrive à se poser et à offrir des plans d’une beauté plastique à tomber, qui tranche avec la direction artistique de l’ensemble. Dès que Andrew Lau pose sa caméra, il arrive à mettre en scène de magnifiques séquences, celle du mariage, par exemple, qui permet au passage de remarquer le travail accompli sur les costumes. Certains décors naturels sont également superbement mis en scène, à l’instar du grand escalier du Palais de Dominateur, tout en perspective vertigineuse. On regrettera juste que le climax ait eu malheureusement recours au tout-CGI visuellement douloureux des débuts, avec un duel rempli d’idées folles, mais filmé avec une mise en scène qui n’arrive pas toujours à exploiter le cadre original du combat, en l’occurrence une salle remplie de sabres prêts à virevolter. Une des influences majeures pour Andrew Lau est d’ailleurs le jeu vidéo, et on ne peut que constater, en regardant les scènes d’action, que celles-ci sont clairement découpées et rythmées comme des affrontements de boss dans les jeux vidéo de combat. Comment ne pas penser à un stage de Tekken lors du premier affrontement entre Dominateur et un des personnages, les deux protagonistes se battant avec, dans le décor, un Bouddha géant, et sur fond de mélange de musique épique et de synthé ?
Il faut le reconnaître, si l’on fait abstraction de la facture technique de l’ensemble, on ne passe absolument pas un mauvais moment, loin de là. Il se dégage même du métrage une vraie volonté de proposer un grand film d’aventure, une tentative de réinvention du wu xia pian pour le public des années 90, avec oserait-on dire une sorte de candeur et de naïveté dans la trame et le jeu des comédiens. Qui plus est, même si le film affiche une esthétique aujourd’hui un peu désuète, sans doute trop symptomatique d’une production voulant moderniser sans retenue un genre tombé dans l’oubli, The Storm Riders a pavé la voie à tous les blockbusters dopés aux SFX qui ont suivi. Le statut de film culte n’est finalement pas si immérité.
Les Bonus
Présentation d’Arnaud Lanuque : dans cette vidéo, le spécialiste du cinéma asiatique Arnaud Lanuque revient, au travers de nombreuses anecdotes, sur la genèse et la production de The Storm Riders. On saura absolument tout des secrets du film, de son origine (une bande dessinée), en passant par son casting, jusqu’à sa sortie en salles qui s’est soldée par un succès mais pas aussi retentissant qu’espéré. Arnaud Lanuque n’oublie pas de faire un état des lieux du cinéma hongkongais de la fin des années 90, sa situation face aux blockbusters hollywoodiens, sans oublier de parler des effets spéciaux du film et de la société qui s’en est occupée. L’intervention est passionnante de bout en bout.
Rencontre avec Panos Kotzathanasis : un module vidéo plus orienté vers la présentation du film, à proprement parler, dans lequel le principal intervenant nous explique le rôle et la place des personnages. Un parfait complément au film.
Making-of : retour sur le tournage du film avec plusieurs entretiens des principaux protagonistes et membres de l’équipe. Si l’ensemble flirte parfois lourdement avec le promotionnel forcé, on découvre au travers de quelques échanges les conditions de tournage, ce que les acteurs se remémorent avec plus ou moins de bonheur. Aaron Kwok nous explique ainsi qu’il est difficile de tourner torse nu sous une fontaine à 2 degrés en pleine chaleur estivale sans tomber dans les vapes, et son comparse Ekin Cheng se rappelle du challenge que représente un tournage où les cascades se font presque toutes à l’aide de câbles particulièrement dangereux. Il est également fait mention de la difficulté de jouer face à des adversaires qui n’existent pas, CGI obligent…
Interviews : voici le plus gros morceau de l’interactivité à découvrir dans les bonus. Pendant près de 3h, la parole est donnée à divers intervenants ayant travaillé sur The Storm Riders. Au travers d’entretiens, tous reviennent évidemment sur le film, mais surtout évoquent leurs parcours respectifs. Aux côtés d’Andrew Lau, Ekin Cheng, Manfred Wong, la productrice Jessinta Liu et le compositeur Comfort Chan, c’est une passionnante exploration du cinéma du Hong Kong des années 80-90 qui est ici offerte au spectateur cinéphile amoureux du cinéma asiatique. Sans langue de bois et dans des entretiens riches en anecdotes et références, c’est un gros morceau de cinéphilie que nous offre Spectrum Films. Petit bémol : on regrettera juste que pour l’entretien avec Manfred Wong, le bas de l’image est encombré d’affiches de film, ce qui rend parfois difficile la lecture des sous-titres.
Romain Leclercq.
The Storm Riders d’Andrew Lau. Hong Kong. 1998. Disponible dans le combo Blu-ray The Storm Riders/A Man Called Hero chez Spectrum Films en février 2023.