Parmi les films en compétition de l’édition 2023 du festival Cinéma du Réel, nous retrouvons Onlookers de la cinéaste américaine Kimi Takesue. Dans cette succession de séquences de la vie quotidienne au Laos, le film interroge notre rapport au voyage à travers la présence de nombreux touristes.
Le film dure 70 minutes et se compose de vagues de plans fixes de longueur moyenne. De la ville à la campagne, nous voyons le quotidien des laotiens et leur vie commune avec les touristes de tous horizons. Des scènes de rue devant des boutiques, la procession de moines bouddhistes, le débarquement de touristes en barque, ou encore la visite de sites touristiques et des choix de cartes postales à envoyer, sont autant de saynètes qui rythment le film et plongent le spectateur dans un doux état de contemplation. Quelques mots en laotien, en mandarin, en français ou en anglais, des pancartes en coréen, en anglais et en laotien se mêlent les uns les autres pour devenir une image au sens le plus pur du terme, une photographie du Laos des années 2020.
Le travail de Kimi Takesue, évidemment, n’est pas aussi simple que l’épure des images ne pourrait le laisser supposer. Onlookers signifie « spectateurs » en anglais. Ce titre est intéressant et dénote déjà l’intention de la réalisatrice. On pourrait diviser les images du film en deux catégories : les plans « locaux » et les plans « touristes », relativement distincts et s’alternant avec une certaine constance. La tentation sur un tel sujet serait d’établir une critique du tourisme de masse venant perturber la beauté des lieux et la tranquillité des habitants. Onlookers montre au contraire comment la tranquillité demeure dans ces décors magnifiques et ne soumet aucun heurt à la caméra, comme s’ils n’existaient pas ou étaient trop marginaux pour représenter la réalité du contexte. Les spectateurs du titre sont alors ces touristes venus goûter à cette tranquillité, à cette beauté terrassante des lieux.
Le contact des voyageurs avec les Laotiens, en revanche, semble relativement pauvre, en témoigne le cloisonnement des plans : il n’existe pas de scènes d’échanges entre les locaux et les touristes, et il s’agit du propos politique du film. Être spectateur, c’est seulement regarder, sans prendre part à l’action à laquelle on assiste. Ce n’est donc pas nouer des liens ; telle pourrait être la justification du titre du film. Dès lors, Onlookers questionne le rapport des êtres humains de cultures différentes. Est-il possible de s’adonner aux voyages en se débarrassant de parler, de rencontrer ? Onlookers peut être analysé de la sorte. En évitant les atermoiements narratifs que la fiction et le documentaire peuvent offrir, en abandonnant toute bande originale (le mantra de Tsai Ming-liang…), en transformant les paroles des personnages/intervenants/figurants en brouhaha, Kimi Takesue va droit au but et accouche d’un travail non-narratif, dont l’efficacité, la sincérité et même le beauté plastique qui demeure, donnent à ses propres spectateurs de quoi nourrir une réflexion posée.
La portée intellectuelle d’Onlookers est certaine, et sans oublier les sensations que peuvent procurer l’art cinématographique (par l’image et les sons), le film se révèle tout à fait pertinent. La forme et le fond épousent l’intention de la cinéaste de manière pure et parfaite. 70 minutes d’une redoutable efficacité.
Maxime Bauer.
Onlookers de Kimi Takesue. Etats-Unis/Laos. 2023. Projeté au festival Cinéma du Réel 2023.