Call Me Chihiro nous plonge dans les chroniques de la solitude d’une jeune femme. Entre les déboires des gens qui rythment son quotidien et ses errances sentimentales, Imaizumi Rikaya dresse le portrait d’une singularité par une banale joliesse.
Chihiro s’organise comme un ballet de personnages qui gravitent autour d’une femme, vendeuse de bento, et ancienne travailleuse du sexe. Les différentes saynètes qui structurent la première moitié de l’œuvre et qui nous font découvrir la galerie de personnages/problèmes du quotidien de la petite ville n’est pas sans charme. La mise en scène de Imaizumi embrasse les visions attendues d’un Japon rural. Parc, ruelle, quai… Tous les espaces qu’investissent les cinéastes qui veulent forcer le trait de l’esthétique de l’éphémère propre au Japon sont présents comme des marqueurs d’une zone tellement confortable (même pour un public occidental) qu’elle en devient dévitalisée. Néanmoins, les relations et les nœuds narratifs qui sont au cœur des relations entre les personnages secondaires sont exprimés par des élégantes litotes ou des petites métaphores. On pense à la scène de coucher du petit garçon qui vit avec sa mère, elle rentre et prend possession de la couette, sans faire attention au bien-être du garçon endormi. Leur relation est ainsi établie par cette simple idée. Si Call Me Chihiro fait preuve d’une telle clarté et d’une telle fluidité, c’est parce que, comme son personnage principal, l’œuvre refuse de montrer le conflit (ou du moins de l’accepter en tant que tel) et donc le cinéaste de le mettre en scène.
Tout n’est pas rose dans la petite ville, mais pourtant l’œuvre ne donne jamais l’impression de faillir à rejouer la même note en boucle, celle de la douceur et de la bienveillance. Ainsi quand l’œuvre bascule avec le retour du passé de Chihiro dans sa seconde partie, les personnages entourant la jeune femme semblent obéir à des mécaniques qui les dépassent, comme si les problèmes à l’aune du sourire de Arimura Kasumi n’étaient pas si importants. Le tout est englobé dans cette joliesse qui semble de plus en plus systématique au fur et à mesure que l’œuvre avance vers son dénouement qui pourrait arriver à n’importe quel moment. Si le fait que les enjeux soient flottants aurait pu être une des grandes réussites de l’œuvre, elle échoue à incarner quelque chose qui mettrait en évidence ce flottement. Pour rêver, il faut déjà connaître la sensation d’être réveillé. L’œuvre ne nous offre qu’une sorte de somnolence polie qui serait l’observation juste d’un esprit solitaire. Dans un plan au début, Chihiro se tient debout près d’une rivière ; l’entrée d’une lycéenne fascinée par elle dans le plan permet de constater que Chihiro se tient dans la lumière. Elle est le soleil autour duquel les âmes errantes vont trouver du confort. Si l’œuvre ne réussit pas à faire ressentir la chaleur dans son système de joliesse systématique, on peut saluer le visage de Arimura Kasumi. Si quelque chose rayonne, c’est bien le sourire de l’actrice, son regard évasif, qui semble même échapper parfois à la petite logique réconfortante du cinéaste et nous laisse entrapercevoir le voile de ce que serait la solitude réelle : un regard perdu dans les ténèbres du temps et des apparences. En tout cas, c’est ce qui reste dans le nôtre, une fois que la machine arrête de produire sa chaleur artificielle ; après tout, nous sommes sur Netflix.
Kephren Montoute
Call Me Chihiro de Imaizumi Rikiya. Japon. 2023. Disponible sur Netflix.