Amateur d’intrigues de cour et d’hémoglobines vermeilles, Spectrum Films est de retour des greniers de la Shaw Brothers avec une nouvelle merveille : Secret Service of the Imperial Court de Tony Liu. L’occasion de découvrir un des derniers grands wu xia du mythique studio hongkongais, paru en 1984.
Ce long-métrage signé Tony Liu raconte l’histoire d’une Chine dont le souverain à la faiblesse morale, trop occupé par ses maîtresses, laisse la voie libre aux ambitions de l’eunuque impérial. La police secrète est chargée de ses basses œuvres, au grand désarroi de Chao Pu-Fun, l’un de ses membres les plus émérites.
Quel plaisir immense de découvrir un wu xia qui soigne autant son écriture. Le long-métrage nous attrape par ses intrigues de cour, sa maîtrise du suspense et sa bonne caractérisation des personnages, ce qui fait parfois cruellement défaut aux films de la Shaw Brothers. Sa narration est vraiment limpide et on ne se perd jamais dans son lot de virages et de péripéties, le rendant hautement immersif. Alors que de nombreux films du genre travaillent avec soin leurs acrobaties au détriment du propos, ici le récit est prioritaire. Il reprend à son compte, une énième fois, la thématique de la dualité entre la vertu et la perversion, ou plus simplement entre le Bien et la Mal. Les incarnations du Bien, notamment celles de la police secrète, de son chef et de son fils, sont tiraillées et mises à mal entre la fidélité aux ordres de la hiérarchie et le fait d’agir en bien. Il est parfois impossible de tenir le sens du devoir et du bien d’un même front. Ils sont amenés à s’opposer, et à donner un sens tragique au récit digne d’une grande pièce shakespearienne comme lorsque le chef de la garde doit choisir entre obéir à l’eunuque, son supérieur qu’il conspue, ou sauver la vie de son propre fils. Les protagonistes sont empêtrés dans des dilemmes moraux cornéliens face auxquels ils doivent trouver une solution, quitte à opter pour le sacrifice. En permanence, ils sont amenés à questionner la nature de leurs actes et de leurs conséquences au regard des grands concepts moraux qu’ils défendent : le sens du devoir, de la justice et du bien. Ces enjeux moraux qui travaillent le récit font que le cœur du film réside dans sa capacité à s’élever vers la tragédie romanesque. Dans Secret Service of the Imperial Court il y a un véritable élan qui tient du mythe et flirte avec les grandes épopées chevaleresques. Une épopée chevaleresque à hauteur d’intrigues de cour, principal lieu de l’action.
L’ensemble est servi par des combats de sabres épiques tels que la Shaw Brothers sait si bien le faire. Ces scènes d’action ont la particularité de réserver les pirouettes acrobatiques surhumaines pour le duel final, ce qui lui permet de se démarquer des autres affrontements qui parcourent le long-métrage de Tony Liu. Il est aussi important de mentionner que le film est particulièrement violent (décapitation, gerbes de sang, corps tranchés…) mais que cette violence n’est jamais gratuite. Au contraire, elle accompagne les pérégrinations éthiques des guerriers qui se posent la question de leur rapport à la pitié et à la violence. Comme le spécifie la femme d’un soldat : » Un homme aura beau essayer, il ne s’acquittera jamais de sa dette de sang ». Chaque action est donc pesée et les protagonistes doivent assumer le poids de leurs conséquences à chaque instant jusqu’au dénouement final. Les vertueux triompheront-ils du vice ? Et à quel prix ?
Aussi légendaire que ses héros, la Shaw Brothers aura su, jusque dans ses derniers jours, nous offrir de derniers beaux wu xia comme le démontre à chaque scène Secret Service of the Imperial Court. N’hésitez pas une seule seconde à vous le procurer dès que possible. D’autant plus que le coffret proposé par Spectrum Films est accompagné d’un second film The Lady Assassin, et de plusieurs bonus pour prolonger le plaisir cinéphile.
Bonus
Nous conseillons donc aux amateurs de la Shaw Brothers ce plaisir de cinéma que nous propose Spectrum. L’édition est accompagnée bien entendu d’une présentation d’Arnaud Lanuque, spécialiste du cinéma hongkongais qui vient expliquer la place qu’occupe ce film au sein des dernières productions de la Shaw Brothers. Il donne les clés de compréhension essentielles à qui veut connaître au mieux ce cinéma du genre. Ces bonus incluent également de nombreuses interviews de personnalités qui ont participé activement au film : Lau Wing menée par Frédéric Ambroisine, et Jason Pai Piao, de Lawrence Wong, de Lau Wing et Yeung Jing Jin. Des bonus qui permettent de prolonger le visionnage et la compréhension de son art de la chorégraphie. De quoi se prolonger dans les arcanes du cinéma de la Shaw Brothers.
Rohan Geslouin
Secret Service of the Imperial Court de Tony Liu. 1984. Hong-Kong. Disponible en coffret Blu-Ray chez Spectrum Films le 08/09/2022.
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