Après avoir remporté le Soleil d’or et le Prix du Jury au Festival Kinotayo de 2021, Aristocrats de la réalisatrice Sode Yukiko est désormais disponible au format DVD/Blu-ray chez Arte Éditions. L’occasion pour nous de revenir sur ce film qui, loin d’un “vu et revu”, est aimable à souhait.
À presque 30 ans, Hanako est toujours célibataire, ce qui déplaît à sa famille, riche et traditionnelle. Quand elle croit avoir enfin trouvé l’homme de sa vie, elle réalise qu’il entretient déjà une relation ambiguë avec Miki, une hôtesse récemment installée à Tokyo pour ses études. Malgré le monde qui les sépare, les deux femmes vont devoir faire connaissance.
La marque de fabrique de ce long-métrage est sans aucun doute sa façon de traiter l’élégance. En effet, comme le laissaient présager le paon et le cygne de l’affiche, c’est bien un film que l’on peut qualifier, à tous ses étages, d’élégant. Cela se traduit dans un premier lieu par le travail sur les costumes de haute couture et les décors luxueux des beaux quartiers, servis par une image finement composée et épurée. Chaque plan du film respire la beauté et la grâce en leur sens le plus littéral. Pour habiter cet environnement, on y retrouve un ensemble de personnages raffinés où la maîtrise de soi et le respect des codes sont la clef de leur communication. L’élégance est donc reine dans ce film, et symbolise aussi une codification exacerbée du monde dans lequel évolue Hanako. Un ensemble de règles, qui comme le corset, peut vite devenir étouffant de par ses injonctions (ici, le mariage).
L’univers de la noblesse japonaise n’est ici pas fantasmé, bien que présenté comme une bulle en deçà des réalités du Japon. Il est un substrat culturel duquel Hanako va peu à peu s’émanciper jusqu’au dernier acte du film et son dénouement. Durant son parcours initiatique vers l’émancipation, cette jeune protagoniste introvertie aura avec elle deux catalyseurs féminins : sa sœur et Miki. Des relations avec les deux femmes en ressortiront de vrais liens de sororité qui lui permettront d’aller de l’avant et de prendre en main sa propre vie. Dans cette sororité se loge peut-être le cœur battant du film, car ce sont les relations entre femmes et leur solidarité qui poussent à l’émancipation de Hanako. D’autant plus que celle-ci fait fi des barrières de classes qui préexistent. Miki, jeune provinciale, n’a pas grandit dans le même milieu aisé que Hanako et pourtant une vraie solidarité féminine saura se nouer. Et plus encore, il n’est pas coutume de voir un film où la rencontre entre la femme mariée et « l’amante » n’est pas tant un enjeu dramatique ou de conflit, que le début d’une amitié qui permettra à Hanako de grandir, et de se permettre de considérer autre chose pour sa vie. La réalisatrice tend à nous montrer que l’aristocratie japonaise est en train de changer par ses nouvelles générations qui délacent leurs étroits corsets. Elle se permet d’investir de nouveaux horizons en dehors du cadre de la tradition. Les barrières de classe et de genre commenceraient-elles à s’effriter ? La route est encore longue mais la jeunesse japonaise prometteuse, semble nous dire Sode Yukiko.
Sans en dire plus, Aristocrats est un film infiniment délicat, raffiné et élégant que l’on vous recommande vivement. Un véritable parcours identitaire et sentimental jusqu’à ce que le cygne Hanako prenne enfin son envol.
BONUS
Grâce à un entretien avec la réalisatrice lors du Festival Kinotayo, disponible en bonus, on en apprend davantage sur les motivations de Sode à se pencher sur un milieu social dont elle ne vient pas elle-même. Ses choix de personnage ou de scénarios y sont explicités tout du long, et permettent donc d’éclairer un film plus fin et complexe qu’il n’en a l’air.
Rohan Geslouin
Aristocrats de Sode Yukiko. Japon. 2020. Disponible en DVD et Blu-Ray chez Arte Editions le 23/08/2022