Kurosawa Kiyoshi revient avec Les Amants sacrifiés, disponible en DVD depuis le 19 avril en DVD et Blu-Ray chez Arte. Retour sur ce film d’espionnage questionnant la notion de loyauté et de couple, écrit par Hamaguchi Ryusuke et Lion d’argent du meilleur réalisateur au festival de Venise en 2020.
Les cinémas de Kurosawa et Hamaguchi ont un pouvoir de fascination intense. Quand l’un questionne notre rapport à l’image, à l’Histoire et ses fantômes, l’autre va disséquer par le dialogue et une quasi-théâtralité ce qui nous lie ou nous sépare.
Les Amants sacrifiés lient ces thèmes au sein d’une intrigue prenant place dans un Japon en crise pendant la Seconde Guerre mondiale. Un couple moderne charismatique et heureux voit sa couche de vernis voler en éclat lorsque le mari change de comportement après un voyage en Mandchourie.
De ce contexte historique trouble nait le doute, que Kurosawa et Hamaguchi saisissent dès les premiers instants sans jamais s’en débarrasser. Les Amants sacrifiés est un film sur le doute, sur le questionnement permanent des personnages autant que du spectateur.
Kurosawa sculpte l’ambiguïté du scénario en utilisant des caméra 8K. Il en résulte une étrangeté folle. Les détails sont exacerbés, les couleurs ressortent, les pavés des rues japonaises semblent si concrets. Le réalisme dans l’image que la haute résolution apporte pourrait jouer en la défaveur du film, mais la magie opère immédiatement ici. Cela pourrait sembler plus télévisuel, ou tromper l’œil et ne montrer que des acteurs en costume qui font semblant. Mais l’immersion, qu’on pourrait aussi voir chez Michael Mann par exemple, jette le trouble, interroge sur la notion de réel et de factice. Il s’en dégage même un malaise évident quand Kurosawa joue comme il sait le faire avec les régimes d’images, montrant des fantômes de l’Histoire japonaise sous forme d’images d’archives proprement terrifiantes. Avec la haute-définition, Kurosawa continue de filmer les vivants, les morts et ceux qui sont dans l’entre-deux. Ici, les milliers de vie sacrifiées au nom de l’expansion d’un pays avide de grandeur.
Hamaguchi, avec son scénario, vient habilement appuyer cette empreinte visuelle en proposant une étude de couple aussi précise qu’acerbe et lie les atermoiements de ces deux âmes avec les bouleversements irrémédiables que subissent le Japon. Le bonheur et la modernité du couple au début du film se heurtent aux idéaux de chacun. Par les dialogues feutrés et minutieux, les interrogatoires puissants ou les monologues désespérés, le scénario déroule petit à petit ses lumières. Le mariage se fissure parce que chacun défend sa vérité, et est mis en parallèle avec l’engagement politique de Yusaku, le mari espion. Le couple devient donc également un pays en guerre, ou la volonté presque sans borne de l’un se heurte au romantisme échevelé de l’autre.
La vision très pessimiste des relations maritales ne sonne jamais creuse ou forcée ; elle vient se heurter de plein fouet avec la mise en image très picturale de Kurosawa pour former un mélodrame fort, questionnant des problèmes très modernes dans un écrin très classique.
Les Amants sacrifiés est un grand film sur ce que l’on cache, dans sa mémoire ou sous le tapis. Un pays, un mari, ou une femme… Lorsque l’on soulève le tapis, on va forcément y découvrir de la saleté.
Bonus
Un livret de 20 pages avec des notes du réalisateur, une interview et des mises en contexte. Parfait complément du film.
Jeremy Coifman.
Les Amants sacrifiés de Kurosawa Kiyoshi. Japon. 2020. Disponible en Blu-ray et DVD chez Arte Éditions le 19/04/2022.