Pour les amateurs de thrillers/polars coréens qui n’auraient pas eu la chance de le découvrir sur grand écran au FFCP ou au Festival Reims Polar edition 2022, le film Midnight Silence, réalisé par Kwon Oh-seung, est désormais disponible en DVD et Blu-ray chez The Jokers. Une bonne occasion de se plonger dans une chasse sans répit dans les rues de Séoul.
Dans Midnight Silence, nous faisons la connaissance de Kyung-mi, jeune femme sourde-muette. Alors que la demoiselle a prévu une soirée avec sa mère, également sourde-muette, elle est témoin d’une tentative de meurtre. Elle parvient à s’échapper, mais le tueur n’a pas du tout l’intention de laisser filer ce témoin gênant. S’ensuit une course poursuite durant laquelle les nerfs de l’héroïne et ceux du spectateur vont être mis à rude épreuve.
Il faut le reconnaître : si le pitch peut paraître plutôt classique et flirter dangereusement avec le réchauffé (on pensera au thriller Témoin muet (1995) qui a fait les beaux jours des vidéo-clubs), il faut reconnaître que le script de Midnight Silence n’y va pas par quatre chemins et file droit à l’essentiel en nous présentant en 15 minutes montre en main tous ses personnages, l’héroïne et sa mère, le flic et le tueur, interprété ici par Wi Ha-joon, que le grand public a pu découvrir dans la série phénomène Squid Game, et qui lui prête ici son visage inquiétant. On s’attache assez rapidement à la jeune femme en apparence fragile mais qui va se découvrir un instinct de survie face au danger, à sa mère qui ne comprend pas toujours ce qu’il se passe, et au policier un peu bourru mais protecteur. Face à eux se dresse un malade mental prêt à massacrer tout ce qu’il l’empêchera d’atteindre son but : tuer la jeune femme. Bref, c’est simple et surtout efficace.
Car autant le préciser : le script ne va littéralement laisser aucun moment de répit à ses malheureuses héroïnes, qui vont devoir se montrer combatives pour survivre à une interminable suite de galères et d’obstacles. C’est simple, par instant, le film donne l’impression de se dérouler en temps réel, tant il s’apparente parfois à une course ininterrompue dans les ruelles sombres et glauques de Séoul, une ville loin des images clinquantes et modernes généralement montrées. Ici, la traque se fait dans des allées perdues où le tueur peut à tout moment bondir sur sa victime. Même les oasis de lumière comme un commissariat ne peuvent plus servir de refuge, le scénario se servant du cliché du commissariat comme lieu sécurisé pour littéralement le transformer en embuscade mortelle lorsqu’au détour d’un retournement de situation, le tueur et sa victime s’y retrouvent. Le script prend d’ailleurs un plaisir presque délicieusement pervers à faire courir ses héroïnes jusqu’à perdre haleine et transformer leurs potentiels lieux sécurisés de repos en piège fatal, en l’occurrence un commissariat et leur domicile, au détour d’une séquence où s’invite le fantôme de Shining.
Comme précisé plus haut, le film ne s’arrête jamais et fonce pied au plancher jusqu’à un final assez jouissif et surprenant dont nous tairons ici la teneur, et il le fait en enchaînant sans répit les mésaventures et les retournements de situation. C’est à la fois ce qui fait la force et la faiblesse du film, il faut le reconnaître. C’est une qualité en soi vu son ambition et son thème (une chasse à l’homme). Le côté ludique et stressant de la chose s’en retrouve décuplé. On a beau prendre parti immédiatement pour la pauvre jeune femme et espérer qu’elle s’en sorte, l’amateur de thriller et de suspens s’amusera quand même, de manière certes assez sadique, à constater que l’héroïne n’a quand même vraiment pas de chance. En effet, chaque porte de sortie se refermant assez violemment, le script remet une pièce dans la machine et on repart de plus belle dans la course poursuite en se demandant quelle embûche le destin va avoir en magasin pour la jeune femme. Malheureusement, c’est aussi ce qui fera la faiblesse du film, cette quasi overdose de poisse qui s’abat sur la victime. Il faut reconnaître qu’au bout d’un moment, on frôle l’exagération dans les rebondissements, qui jouent la surenchère dans les galères et manquent parfois de peu de faire basculer le film dans le grand n’importe quoi le plus incohérent. On pensera notamment à une scène que l’on qualifiera de chantage moral, qui en plus de faire passer le personnage de flic courageux pour un parfait petit froussard finalement assez lâche et égoïste, refait démarrer le film à la faveur d’une pirouette scénaristique que l’on qualifiera de légèrement abusée. Heureusement, le dernier kilomètre de course se montre à la hauteur de ce qui a précédé et arrive à retourner la vapeur en rebattant les cartes du jeu de manière assez jubilatoire.
Qui plus est, du côté de la mise en scène, le spectateur en aura aussi pour son argent, Kwon Oh-seung arrivant à hisser son film dans la moyenne haute de la production coréenne rayon thriller et suspens. La tension ne redescend pour ainsi dire jamais, et le réalisateur utilise à merveille l’environnement et les multiples idées de mise en scène que lui confère son sujet. Par exemple, son héroïne étant sourde-muette, sa maison est équipée de multiples avertisseurs lumineux couplés à des détecteurs de mouvement. Kwon Oh-seung fait basculer son thriller dans le home-invasion flick le temps d’une scène où, tout simplement, un travelling circulaire et une succession de lumières s’allumant les unes à la suite des autres arrivent à faire monter en flèche la tension. Même constat lorsqu’il s’agit de plonger dans l’horreur la plus sordide, le metteur en scène n’y va pas par quatre chemins et fait de son psychopathe un tueur ultra violent et pervers, au visage pouvant passer d’angélique à détraqué mental en un mouvement de caméra.
En conclusion, Midnight Silence se pose comme un thriller on ne peut plus recommandable, imparfait car toujours à deux doigts de tomber sans freiner dans la surenchère et le twist improbable, mais pour peu qu’on se laisse embarquer dans cette chasse en milieu urbain, le contrat est largement rempli, avec un script généreux et deux comédiens parfaits dans leur jeu du chat et de la souris.
Romain Leclercq.
Midnight Silence de Kwon Oh-seung. Corée. 2021. Disponible en DVD et Blu-Ray chez The Jokers le 11/05/2022