VIDEO – Warped Forest de Miki Shunichiro

Posté le 20 mai 2022 par

Spectrum Films sort en exclusivité un combo DVD + Blu-Ray de Warped Forest, film réalisé par Miki Shunichiro en 2011 et jamais diffusé en dehors des festivals jusqu’alors.

Dans la présentation du film, Miki indique que Warped Forest s’adresse aux spectateurs qui ont apprécié les scènes « grotesques et scandaleuses » réalisées pour Funky Forest. En effet, le film sert de support à Miki pour approfondir ses expérimentations autour du body horror mêlé à la comédie, et des corps hybrides au sens large.

Le film développe son intrigue autour d’un étrange village perdu dans la nature, dans lequel les personnages évoluent avec des règles de société propres. Dans cet endroit, les gens ont des tailles qui varient de lilliputiens à géants, se nourrissent et se saoulent à base de plantes évoquant des organes génitaux et paient leurs transactions avec des glands qu’ils sortent de leur nombril. Nous suivons les existences de plusieurs de ces villageois et, en particulier, leurs intrigues amoureuses et leurs désirs. Miki base son film sur le rapport au fantasme ainsi qu’au rapport à l’autre, en se permettant toutes les libertés artistiques et scénaristiques puisque le film a été entièrement auto-produit. Si Warped Forest fonctionne visiblement sur un principe de saynètes mises à la suite les unes des autres, le tout demeure cohérent et relié par une intrigue autour du « bricolage des rêves » : une technologie alien qui permet aux humains de se parer des cauchemars et d’échapper à la (dure) réalité en vivant dans un monde onirique idéal.

Funky Forest a hérité d’une réputation de « film extrêmement bizarre » grâce aux segments réalisés par Miki et il est très intéressant de voir comment le réalisateur développe sa vision très particulière qu’il qualifie lui-même de « Cronenberg stupide » sur un long-métrage. S’il y a bien du Cronenberg dans toutes ces expérimentations organiques très sexuellement chargées, le choix d’axer la majorité de ces mélanges de corps humains à la végétation plutôt qu’aux éléments mécaniques ou technologiques est assez audacieux et original. Tout comme dans Funky Forest, les maquillages et marionnettes sont d’ailleurs très plaisants et efficaces. On ressent, bien sûr, le budget restreint mais les idées compensent l’aspect parfois artisanal des effets spéciaux.

L’aspect prétendument stupide de la formule prête également à réflexion. Miki a beau préciser qu’il y a très peu de sens à chercher à son œuvre, on ne peut s’empêcher d’y voir le reflet de certaines angoisses présentes dans la société japonaise contemporaine. Il est très parlant de constater le contraste entre les fantasmes appuyés des personnages et leur difficulté à lier de vraies relations interpersonnelles. Chaque fois que l’objet du désir d’un des protagonistes est une personne réelle, l’issue est décevante ou tragique. Un couple tient même un café à thème sur leur amour, alors que le gérant passe ses journées dans un bordel absurde et que sa femme alcoolique veut séduire leur apprenti. Dans un tel paysage hautement suggestif où les personnages repoussent l’intimité, on ne peut que songer à tous les problèmes de société au Japon tournant autour des jeunes qui n’arrivent pas, voire refusent, de se mettre en couple, se marier ou avoir des enfants.

De même, dans tout ce flot idyllique de désirs et de délices, Miki ne nous montre que des personnages profondément insatisfaits par l’existence au sens large. Il met même en scène une sorte de secte de développement personnel qu’il appelle « Dojo de la Vie », dans laquelle sont dispensés les conseils les plus creux et bateaux pour devenir enfin épanoui, tenu par un dépressif qui réalise finalement qu’il n’y a jamais cru lui-même. Le rêve de tous les personnages est d’ailleurs, finalement, de s’échapper de la réalité via le « bricolage des rêves », ce qui, là encore, n’est pas anodin. Miki nous montre par exemple une famille maudite qui n’arrive plus à cohabiter depuis que la benjamine a bricolé ses rêves pour n’avoir accès qu’à des moments agréables les mettant en scène. Une image idéalisée importe davantage que le concept qu’elle représente, ce qui nous renvoie aux théories de La Société du spectacle. En outre, comme l’explique Fabien Mauro en présentation du film, on peut très visiblement voir une référence aux effets de la radioactivité dans cet étalage de corps difformes (qui ne semblent pourtant pas surprendre la population). Miki présente donc un faux espace idyllique où l’apparente simplicité de la vie du village cache en réalité des frustrations, des évitements et des déceptions qui ne trouvent aucun exutoire. On retrouve alors des idées dérivées du marxisme où cette création de projection et de fantasme en continu pour masquer un monde en crise, rend finalement les personnages plus insatisfaits de leur existence qu’autre chose, ce qui est loin d’être aussi « insignifiant » ou « stupide » que le dit le réalisateur.

Warped Forest cache de multiples facettes sous son apparence absurde et grotesque, tout autant que les personnages du film que Miki met en scène. A l’instar de Funky Forest, les fans de surréalisme ne devraient pas passer à côté d’un film aussi énergique, original et intéressant à bien des égards.

Bonus

Présentation du film par Fabien Mauro : Mauro recontextualise le film en explicitant certaines références, comme celle du vaisseau alien dont le design renvoie à celui de Ramiel, le cinquième ange de l’anime Neon Genesis Evangelion, ou encore à la série Ultra Q dont l’action se déroulait dans une ville miniaturisée. Mauro s’attarde également sur la représentation des fantasmes ainsi que leur source dans la société japonaise contemporaine.

Interview du réalisateur : Miki est interrogé sur le projet, et son auto-production. Il témoigne alors de la liberté artistique que ça lui a permis d’obtenir, tout en reconnaissant qu’il en a parfois peut-être un peu trop profité, en écrivant ses scènes au dernier moment, ou même en ayant débuté le tournage sans avoir d’idée pour le clôturer. Il revient également sur ses influences en matière d’horreur, mais aussi d’humour, et ses objectifs dans la création du projet.

Storyboard & Illustrations : Des scans du storyboard mais également des détails sur des concepts de design et de certaines séquences.

Commentaire audio du réalisateur : Tout aussi enrichissant que loufoque, le commentaire audio de Miki permet d’avoir accès aux coulisses du tournage et de connaître des informations qui auraient peut-être dû rester privées, comme la description par le cinéaste de ses propres fantasmes sexuels. On y entend aussi des anecdotes de tournage très drôles comme le fait que Miki a demandé à Morishita Yoshiyuki de jouer son rôle à la façon de Richard Gere, chose à laquelle l’acteur a, d’après lui, lamentablement échoué (il ne se gêne d’ailleurs pas pour le faire savoir, ce qui est parfois cruel, mais toujours assez hilarant). Tout comme dans le commentaire audio de Funky Forest, on accède également à des informations additionnelles de contexte narratif, qu’elles soient présentes dans le film mais difficiles à comprendre ou purement absentes et connues seulement du réalisateur.

Merveilleux Habitants de la Funky Forest : Des passages de making-of sur les séquences réalisées par Miki dans Funky Forest, ainsi que des interviews du réalisateur et des acteurs concernant le travail de Miki et sa personnalité.

+ Une (brève) introduction du réalisateur et la bande-annonce du film.

Elie Gardel.

Warped Forest de Miki Shunichiro. Japon. 2011. Disponible en combo DVD + Blu-Ray chez Spectrum Films le 28/04/2022