Pour son troisième long métrage, Maternité éternelle (1955), Tanaka Kinuyo s’inspire de la vie de la poétesse Fumiko Nakajo, décédée quelque mois auparavant d’un cancer du sein, à l’âge de 31 ans, quelques semaines après la publication de son recueil et d’un succès prometteur auprès de la critique littéraire.
À Hokkaido, dans le nord du Japon, Fumiko vit un mariage malheureux : son mari, courtier au chômage, la trompe sans vraiment se cacher. Le divorce est la seule issue mais la séparerait des ses deux enfants. Un club de poésie devient sa principale échappatoire : elle peut y lire ses poèmes et retrouver Taku Hori, le mari de son amie Kinuko, dont elle est secrètement éprise. La vie déjà peu reluisante de Fumiko prend une tournure plus tragique le jour où elle découvre qu’elle a un cancer du sein. Elle va plonger ses dernières forces dans la poésie.
En 1h50, Tanaka varie les intrigues et les ambiances. Les premières minutes nous promettent un drame conjugal en milieu pastoral : après une série de plans panoramiques sur une prairie calme au son d’un accordéon, le film nous plonge dans l’humble et malheureux foyer de Fumiko, jeune paysanne, mariée à un mari dont on comprend bien vite qu’il la trompe. Ce misérabilisme laisse bientôt place à une lueur d’espoir dans les scènes où Fumiko peut se rendre en ville à son club de poésie et côtoyer une société bourgeoise. Son mariage raté laisse vite place à une nouvelle intrigue : la participation de Fumiko à un concours de poésie. Son cancer du sein et sa mort irrémédiable changent encore le registre du film dont la seconde moitié se déroule à l’hôpital. Dans ce mouroir, Fumiko alterne les phases de désespoir et de morgue feinte lorsque son recueil de poésie suscite l’intérêt d’un journaliste de Tokyo. Ses derniers jours seront paradoxalement plus paisibles avec l’acceptation de son dénouement fatal et une volonté de transcender la mort par l’écriture et un dernier amour impossible.
Maternité éternelle est un portrait de femme irrémédiablement perdue qui s’émancipe grâce à sa poésie. Dans les deux premiers films de Tanaka Kinuyo, l’écriture et la lecture étaient déjà une échappatoire. Dans Lettre d’amour (1953), des femmes d’après-guerre ayant connu la prostitution auprès de militaires américains avaient recours à des écrivains publics pour quémander de l’argent auprès des G.I. rentrés aux États-Unis. Dans La Lune s’est levée (1955), deux femmes plutôt bourgeoises accompagnaient la naissance de leur amour par des mots doux et des références poétiques, telles des héroïnes de romans du XIXè siècle : dans ce film, cet idéal amoureux digne des romans à l’eau de rose est plutôt heureux. Nous ne sommes pas chez Flaubert (Madame Bovary) ou Maupassant (Une Vie). Dans Maternité éternelle, l’idéal amoureux plutôt mièvre est présent mais vite délaissé car frappé par la mort et la maladie. L’écriture est donc ici un exutoire (conjurer le malheur), une émancipation (être une femme après une mastectomie) et une recherche d’éternité (à travers l’amour de ses enfants et sa dernière étreinte charnelle).
La dimension sociale est bien présente mais Tanaka n’en fait pas l’enjeu principal. Elle reste un sous-texte : une provinciale plutôt pauvre confrontée à une société bourgeoise (le club de poésie) et à un représentant de l’élite lettrée urbaine (le journaliste). Mais au-dessus de cela, il y a la maladie et le monde hospitalier : nulle classe socio-économique mise en avant parmi les infirmières et les docteurs. Seulement des blouses blanches et le verdict implacable : la mort. À ce titre, la scène dans laquelle Fumiko suit en pleine nuit la charrette qui conduit un cadavre à la morgue est glaçante. Fumiko se retrouve bloquée derrière une porte grillagée, au seuil de la mort prochaine. Une seule issue alors : chercher la lumière malgré tout.
Marc L’Helgoualc’h
Maternité éternelle de Tanaka Kinuyo. Japon. 1955. En salles le 16/02/2022.