Le cinéma sert parfois pour un cinéaste à transfigurer en art une douleur passée. En 1992, Li Dongmei perd sa mère à l’âge de 12 ans. En 2020, elle sort le film Mama qui lui est dédié. Le long-métrage de la réalisatrice chinoise a été projeté dans le cadre du Festival Allers-Retours 2021.
Vivant dans la campagne chinoise, la famille de Xianxian, 12 ans, est confrontée tant à la beauté de la nature qu’à la dureté du monde des hommes. La maman de Xianxian est enceinte de son cinquième enfant, son père essayant désespérément d’avoir un fils. En sept jours, la petite Xianxian, assiste à trois morts et deux naissances.
Le film de Li Dongmei est, au-delà de l’exercice cathartique, une ode à la beauté du monde. Mama est empreint de philosophie, dans la manière de représenter les déplacements et par la longueur laissée aux plans. L’espace et le temps se dilatent, offrant aux spectateurs des moments de pure contemplation, sans esbroufe, sans sons parasites – il n’y a aucune bande originale. Le film est rythmé par l’écoulement narratif de sept jours. Chaque journée voit de nouveaux déplacements et de nouveaux plan fixes. Lorsque Xianxian et ses camarades descendent la vallée en plein sentier forestier, la graphie est épurée au maximum, formant une ligne de petits points blancs se translatant au milieu de deux blocs verts, les deux faces boisées du sentier qu’ils traversent. Ces déplacements sur des sentiers parsèment le film, laissant une impression d’objet en mouvement permanent mais délicat, à l’image des divers flux qui parcourent tout être vivant. Mama est un film, en ce sens, charnel.
Mama s’inscrit naturellement dans le cinéma d’auteur chinois contemporain. D’un point de vue cinématographique, on pense au legs de Hou Hsiao-hsien pour la contemplation du monde chinois face à la nature et le recul de la caméra qui va de pair, à Tsai Ming-liang pour l’absence de bande-originale qui rend l’atmosphère du film plus pure, et à Abbas Kiarostami pour ces petits personnages qui deviennent des points dans l’image, comme on peut le voir dans Au travers des oliviers. Toutefois, Li Dongmei se revendique d’abord du domaine littéraire, et on peut le concevoir dans la mesure où, malgré ces inspirations que l’on essaye de lui greffer, Mama ressemble davantage à une bulle, un ressenti personnel sur une époque précise, qui se matérialise dans une mise en scène épurée au maximum. À ce titre, les acteurs et actrices composent de manière monolithique, tel que le veut ce type de réalisation et comme cela a été souvent utilisé par tous les réalisateurs souhaitant montrer un certain monde campagnard, dans lequel les habitants subissent la dureté de leur condition en silence. Toutefois, lors du décès de la mère de Xianxian, et malgré la pudeur de ce moment où l’on voit très peu de choses, les pleurs des filles résonnent d’autant plus fort que le réalisme est total. Mama s’inscrit également dans ce type de cinéma chinois par les motifs qui le traversent. Il y a la campagne chinoise que les réalisateurs chinois continentaux se plaisent à filmer, depuis Chen Kaige avec Terre jaune et Jia Zhang-ke avec Platform. On retrouve également ce motif du trajet en véhicule motorisé, surement réaliste au possible mais transfiguré de nombreuses fois dans les cinémas chinois. La fin du film se stylise en douceur dans son approche religieuse et spirituelle de la mort, lorsque les deux sœurs éclairent la forêt la nuit pour guider l’âme de leur mère.
La beauté de Mama est due à cette démarche non pas de réalisatrice de Li Dongmei, mais d’écrivaine, sa spécialité universitaire. Mama est une bulle dans le temps, l’espace et la spiritualité. Il n’a pas été réalisé comme l’on imagine que doit se faire un film, c’est-à-dire en regroupant de nombreuses informations et en consultants des spécialistes, mais plutôt comme lorsqu’un auteur cherche à s’isoler pour se plonger dans l’écriture d’un roman. Il s’agit d’un procédé qui peut sembler antinomique au cinéma, et qui fait perdre ses repères aux spectateurs. La proposition de Li Dongmei est sincère, et mérite qu’on l’on s’accroche pour saisir la beauté sidérante de ces étendues verdoyantes, et surtout, ce message d’amour à sa mère qu’elle n’a pas assez connue. La douleur est muée en une philosophie d’appréciation de la vie, de l’idée que hommes et femmes, morts et vivants, ne font qu’un tout.
Maxime Bauer.
Mama de Li Dongmei. Chine. 2020. Projeté dans le cadre du Festival Allers-Retours 2021.