Que se passe-t-il lorsqu’un génie de la mise en scène du cinéma d’action asiatique rencontre une autre légende, spécialiste du coup de pied circulaire et du grand écart ? Il en résulte un doublé cinématographique inoubliable (pas forcément pour de bonnes raisons, soit dit au passage) : Double Team et Piège à Hong Kong. Profitons de la ressortie de ce dernier chez ESC Video pour se revenir sur cette rencontre au sommet.
Petit retour au siècle dernier. En l’année 1997 a lieu la rétrocession de Hong-Kong à la Chine. C’est un détail historique mais il aura son importance. Alors que Hong-Kong est en pleine effervescence, Tsui Hark commence à tourner en rond. Il a déjà offert au cinéma d’action asiatique quelques uns de ses plus beaux joyaux, comme Il était une fois en Chine, Le Syndicat du Crime 2, et surtout le furieux et définitif The Blade. Désireux de voir si l’herbe est plus verte ailleurs, et surtout, ne sachant pas ce qui attend les réalisateurs comme lui et John Woo par exemple, après cette rétrocession, il s’en va tenter sa chance à l’international. Sa route va croiser celle d’un homme qui est devenu une super star du cinéma d’action : Jean-Claude Van Damme. La rencontre inespérée de ces deux talents aurait pu donner un résultat incroyable. Le résultat l’est, toutefois, incroyable. Et il s’appelle Double Team. Sorte de bulldozer cinématographique, il compile tout ce que le cinéma d’action hollywoodien des 90’s a pu produire de pire. Stupidité stratosphérique, acteurs en roue libre dont la palette de jeu va de « surjeu total » à « jmenfoutisme complet », mise en scène hystérique, rien ne manque au tableau. La critique et le public ne s’y trompent pas et démolissent le film. Les Razzie Awards encensent le film et les prestations de Van Damme et Dennis Rodman. Pour Tsui Hark, c’est une déconvenue. Obligé de faire ce qu’on lui demande avec une star incontrôlable, constamment défoncée aux substances illicites, il accouche d’un film mutant, où son style inimitable se marie difficilement avec l’ego surdimensionné de JCVD. Aujourd’hui encore, il préfère ne pas aborder le sujet Double Team. Pourtant, en 1998, il va repasser derrière la caméra pour un deuxième round face à JCVD. Mais Tsui Hark a bien appris la leçon. Il va jouer à domicile, à Hong-Kong donc, et chose assez curieuse ou pathétique, il va récupérer un JCVD qui commence à fatiguer de ses excès. Bonne affaire se dit Hark, et il va en profiter pour régler ses comptes et transformer son héros en paratonnerre à emmerdes, quitte à l’humilier et le victimiser pendant 1h30. Ce film, c’est Piège à Hong Kong.
Nous retrouvons donc JCVD, qui interprète ici Marcus, un représentant d’une célèbre marque de jeans en mission à Hong-Kong, flanqué de son acolyte Tommy, joué par l’insupportable sidekick incontournable des années 90, Rob Schneider. Le climat est tendu, nous sommes en plein préparation des cérémonies pour la rétrocession de Hong-Kong à la Chine. Mais au détour d’un deal, il va découvrir en premier lieu des contrefaçons sur ses jeans, mais surtout mettre le nez et ses poings dans un complot où se mêlent la CIA et la mafia russe. Un scénario fort classique, avec des clichés à la pelle, des méchants vraiment très méchants, et une galerie de comédiens venus cachetonner pour rencontrer Tsui Hark (Paul Sorvino, moyennement investi dirons-nous).
Disons-le d’emblée, le film n’est clairement un chef d’œuvre et ne restera pas dans les annales comme une pierre angulaire de la filmographie de Tsui Hark. Il réalisera d’ailleurs son Opus Magnum quelques temps plus tard avec Time and Tide. Cependant, il reste une démonstration de ce dont est capable Tsui Hark lorsqu’il lâche tout et qu’il est le maître à bord. Comme dit plus haut, la star belge lui a rendu la vie infernale sur Double Team, et Tsui Hark a une belle revanche à prendre. Plutôt que de s’en prendre directement à JCVD, il va prendre un malin plaisir à maltraiter et humilier son personnage dans un cirque infernal de 90 minutes. Et dès les premières scènes, le film passe la quatrième et ne respecte plus personne. Marcus braille de la pop chinoise, Tommy traite les hôtesses d’un club comme des prostituées, et au détour d’une scène, voilà le spectateur embarqué dans une course de pousse-pousse avec des enfants et des nains dans les rues de Hong-Kong. Tommy est assis dans le chariot et Marcus tire le pousse-pousse, en se faisant fouetter les fesses à coup d’anguille. Pendant tout le film, ça n’arrêtera jamais. JCVD a beau se donner à fond dans son rôle de gweilo perdu dans un complot qui le dépasse, il semble toujours au bout du rouleau et de l’épuisement, pas aidé par un Tsui Hark qui ne rate pas une occasion de l’humilier, que ce soit de manière explicite (JCVD qui court hystérique en slip parce son jean, évidemment une contrefaçon, a craqué), ou dans sa mise en scène, avec des gros plans en plongée sur son héros dès qu’il se prend une engueulade.
Qui plus est, le film a toujours les fesses entre deux chaises, Tsui Hark ayant clairement décidé de se payer Van Damme dans une comédie d’action old school made in HK, alors que sa star est systématiquement à côté de la plaque en étant sur un ton beaucoup trop sérieux, préférant se concentrer sur les aspects les plus sombres (toutes proportions gardées) de son rôle, homme intègre mais trahi par ses amis (le twist sur le personnage de Tommy est aussi mal amené que peu crédible vu le talent et le charisme de l’acteur concerné). Le film enchaîne fautes de goût et vulgarité gratuite sans jamais se relâcher, faisant de son second rôle féminin une femme fatale nymphomane qui en prend littéralement plein la face. En résulte un produit hybride, pas foncièrement désagréable, soyons honnête, il y a eu pire au cinéma. Et, mine de rien, même si le film est sur le fond débilo-hystérique, il est réalisé par Tsui Hark.
Pour ce film, Tsui Hark donne parfois l’impression de se comporter comme un gros gamin surdoué mais énervant, à qui on a demandé de faire ce qu’il fait le mieux avec son style, mais qui par moment flirte avec l’auto-parodie. Le spectateur a donc droit à des plans subjectifs de pied qui rentre dans une basket, un voyage dans des lignes téléphoniques, des ralentis en veux-tu en voilà. Mais pourtant, une fois passé certains instants de mise en scène assez embarrassants, on retrouve sa patte inimitable (dans le bon sens du terme cette fois) au détour de scènes qui assurent le spectacle. Pour le dire clairement : à chaque idée débile, il y aura en contrepartie une bonne idée de mise en scène. Notre duo fait la course en pousse pousse avec Tommy qui hurle « HiiHaa » en fouettant son copain ? Et bien, la course en question est réellement mise en scène de manière lisible. Le climax sur le cargo est mal joué et turbo-stupide ? Le gunfight qui s’ensuit vaut largement le coup. Et il faut être honnête, Tsui Hark a beau en avoir gros après JCVD, il ne peut nier qu’il a en face de lui un comédien parfaitement capable de se battre de manière crédible, et lorsqu’il passe à l’action, le Belge le fait avec talent, et dans ce climax au milieu des containers, le temps d’une séquence, Tsui Hark et Van Damme, les deux talents, semblent parfaitement s’accorder.
Le film ne restera donc pas dans les annales comme une pièce majeure du cinéma d’action des années 90, et encore moins dans les filmographies de son réalisateur et son acteur principal, mais il n’est définitivement pas le nanar dont il a pu hérité du titre au fil des années. Pas inoubliable mais divertissant.
Bonus DVD :
La quadrature du Cercle. Entretien avec Hugo Luquet
Dans ce court mais fort intéressant module, Hugo Luquet revient sur l’expérience américaine de Tsui Hark et le chemin de croix qu’a pu représenter cette tentative du réalisateur de travailler hors de Hong-Kong. On y apprend comment la rétrocession de Hong-Kong a pu avoir un impact sur les carrières des réalisateurs hongkongais comme Tsui Hark et John Woo, et la difficulté à laquelle se heurtent ces metteurs en scène lorsqu’il s’agit d’appliquer des techniques de mise en scène et de production à la hongkongaise sur des projets chaperonnés par des majors américaines, beaucoup plus strictes et carrées. On en apprend un peu plus sur la production chaotique de Piège à Hong Kong, entre tournage infernal, reshoots avec perruques (comprenne qui verra) et Tsui Hark qui fait ses folies à domicile dans le dos de la Columbia.
Van Damme : Le poing sur sa carrière. Partie 3 avec Arthur Cauras
En compagnie d’Arthur Cauras, réalisateur et Vandammophile, nous revenons sur la partie de la carrière de Jean-Claude Van Damme qui inclut Universal Soldier, Cavale sans issue et sa collaboration avec John Woo pour Chasse à l’homme. Beaucoup d’anecdotes de tournage et de production parfois houleuses, mais en filigrane un honnête portrait de la star belge, passionné de cinéma de Hong-Kong et de ceux qui lui ont donné ses lettres de noblesse.
Romain Leclercq.
Piège à Hong Kong de Tsui Hark. USA. 1998. Disponible en DVD et Combo DVD/Blu-Ray chez ESC le 03/11/2021