Projeté en avant-première fin 2019 au Festival Kinoyato, Le Soupir des vagues, réalisé par Fukada Koji, fait enfin sa sortie en salles aujourd’hui.
En Indonésie, un homme s’échoue sur une plage, venu tout droit de la mer. Il ne parle pas mais semble réagir à l’écoute de la langue japonaise. En attendant de pouvoir savoir quoi faire de lui, c’est une femme métisse nippo-indonésienne qui est chargée de l’héberger. Elle vit avec son fils, et accueille sa nièce, venue du Japon. Dans le même temps, des amis du fils, un jeune homme et une jeune femme, décident d’effectuer un reportage sur cette petite famille à la double origine. Mais l’homme venu de la mer ne va pas tarder à montrer d’étrangers facultés surnaturelles…
Avec Le Soupir des vagues, Fukada Koji explore de nouveaux horizons stylistiques. On peut reconnaître qu’il garde un penchant pour l’internationalisme (le cadre français de La Grenadière, l’héroïne sud-africaine et son amant coréen de Sayonara) voyage ici en Indonésie. Également, le scénario de ses films se teinte de fantaisie, voire de mysticisme, mais arbore des traits sérieux, dramatiques, tragiques ou même spirituels. Les plans finaux de Sayonara sont à ce sujet sidérants de par l’éternité qu’ils suggèrent. Mais son nouveau film, lui, projette une dose de mysticisme dans le quotidien de ses personnages, à l’inverse de Sayonara où le cadre supplantait les protagonistes et décidait donc de leur destin. Cet homme qui venait de la mer (1er titre du film) n’est pas à proprement parlé le héros de cette histoire, il en est seulement l’élément perturbateur. Les héros, ce sont ces quatre amis, les liens qu’ils tissent entre eux, et à travers eux, la naissance de sentiments primaux tels que l’amour, la frustration, le deuil… Ces émotions sont simples, presque terre-à-terre dans leur traitement. L’intervention de l’homme de la mer qui vient ajouter de la magie et des bouleversements dans leur vie n’est pas non plus toujours des plus fines, et tire le métrage dans le grotesque. Mais à l’image de cette ville balnéaire plongée dans ce beau milieu aquatique, cette lumière qui l’inonde, les personnages dégagent une sorte de pureté qui les rend attachants. Le mystère qui entoure l’homme de la mer et la façon dont il influe sur leur quotidien parvient alors à créer une sorte de suspense : ce sont des gens simples mais que va-t-il leur arriver ? Vont-ils se comprendre, se garder de vue ? L’écriture de Fukada se resserre au fil du film et l’aspect surnaturel devient plus prégnant. On craint sincèrement que les personnages prennent une voie différente malgré la tendresse qu’ils se portent.
Un autre paramètre arrive à nous interroger sur la compréhension mutuelle des personnages. Il s’agit du métissage : la mère est moitié japonaise et moitié indonésienne. Le fils est un quart japonais. La nièce est japonaise avec, sans doute, des origines indonésiennes de la même façon. Et ces gens, qui apportent l’histoire et la culture du Japon avec eux, côtoient des Indonésiens. Fukada Koji a déclaré vouloir casser les stéréotypes de l’identité japonaise, vue parfois comme une seule race, et montrer les identités japonaises. Quelque soit le but poursuivi par Fukada, intentionnel ou inconscient, cet aspect du scénario parvient à donner de l’épaisseur aux personnages et à créer un système relationnel sophistiqué par rapport aux émotions terre-à-terre évoquées plus haut. Que ce soit le choix de la langue selon son interlocuteur (japonais, indonésien ou anglais), la tenue vestimentaire (tenue estivale décontractée ou signes religieux islamiques), les cultures s’apposent l’une à côté de l’autre et ne s’opposent pas : elles marchent ensemble vers une tonalité légère, à l’image des réactions lunaires de l’homme de la mer qui peuvent prêter à sourire.
Le Soupir des vagues montre une nouvelle facette du cinéma du Fukada Koji. Cinéaste définitivement atypique, de culture parfaitement japonaise, il ne va cependant pas là où on attend le Japon. Avec Bangkok Nites de Tomita Katsuya en Thaïlande en 2018, Au bout du monde de Kurosawa Kiyoshi en Ouzbékistan, Le Soupir des vagues en Indonésie ou encore Under the Turquoise Sky en Mongolie, le cinéma japonais abat les murs de sa carte postale. Fukada Koji en aura été précurseur.
Maxime Bauer.
Le Soupir des vagues de Fukada Koji. Japon. 2018. En salles le 04/08/2021