Près de 5 ans après la disparition d’Abbas Kiarostami, Mk2 Films et Carlotta Films organisent une rétrospective qui rend hommage à ce créateur majeur, visionnaire et espiègle. Chefs-d’œuvre de sa carrière de cinéaste et trésors inédits en version restaurée sont montrés pour la première fois au public français à partir du 2 juin 2021. On commence avec Où est la maison de mon ami ?.
Dans le village de Koker, le petit Mohammad a oublié plusieurs fois de faire ses devoirs à l’école. Le maître menace de le renvoyer au prochain oubli. Le soir même, Ahmad, son voisin de table, s’aperçoit chez lui qu’il a embarqué le cahier de devoirs de Mohammad, par mégarde. Conscient du préjudice qu’il porte à son camarade, il décide de partir de chez lui et chercher sa maison, dans le village voisin de Poshteh, pour le lui rendre.
Avec Où est la maison de mon ami ?, Abbas Kiarostami s’impose très précisément dans ce que l’on peut imaginer être l’essence du cinéma, dans les lettres de noblesse d’un art moderne, populaire, graphique et parfois contemplatif et littéraire comme ici. Le metteur en scène iranien était un amateur de poésie et de peinture persanes, ce qui lui a donné cette vision, bien en amont du film, d’un personnage qui court sur un chemin en zigzag avec au sommet, un arbre au milieu du ciel et de la terre. Cette image mentale lui servira de motif pour sa trilogie de Koker. Ici, il regarde le monde à vue d’enfant et dans la campagne, un cadre propice à un « retour à aux origines » : de cet environnement vaste, vague, naturel et à travers l’acting de ses petits acteurs inexpérimentés, il va opposer la candeur salvatrice de l’être humain et un environnement brut, escarpé, inamical mais dont on peut trouver la beauté partout, en faisant l’expérience des évènements. Le concept ne serait rien sans une inspiration profonde de la part de l’artiste, qui doit conjuguer la direction d’acteurs non-professionnels et la recherche des plans les plus esthétiques. Inspiré, Abbas Kiarostami l’est, et parvient à nourrir la pellicule des idées qui l’habite. Sa plus grande force restera la place accordée aux enfants, dont on discerne, avec pourtant un jeu relativement monolithique dû au contexte éducatif (un enfant doit se tenir droit), le drame qui se joue dans leurs esprits à travers un fait apparemment anodin. Du synopsis d’une grande simplicité, Kiarostami déploie une multitude de routes vers d’autres idées, somme toute relatives à l’humanité en général et non spécifiques à l’Iran. Quand on a 8 ans dans un environnement paysan strict, peut-on désobéir ? Doit-on désobéir ? Si je ne désobéis pas, que se passera-t-il ? Le personnage d’Ahmad fait son choix et est poussé, par la valeur noble de l’amitié, à aider Mohammad. Ce n’est pas seulement le remord d’avoir mis une personne lambda dans la difficulté qui l’anime, car juste après la classe et avant de s’être rendu compte du problème, Kiarostami insère une courte séquence où nous voyons les deux garçons faire preuve d’égard l’un pour l’autre, lors du chemin du retour chez soi. Ahmad n’a de cesse de montrer ses qualités humaines et n’agit pas juste par devoir de réparer un quelconque préjudice : il apprécie Mohammad, c’est son ami (inscrit dans le titre) et il s’en veut terriblement de lui faire du tord.
Si la psyché d’Ahmad face à la situation est un versant du film, l’autre réside en ce mur gigantesque qu’est le monde adulte, qui ne cesse de s’opposer à lui, la plupart du temps sans mesurer la frustration énorme qu’il génère. Ces petits villages paysans iraniens ne sont pas épargnés par les questions de la modernité et traversent leur propre opposition générationnelle, entre les grands-pères, vestiges d’une mentalité brutale, les pères, absents ou agents d’un monde commercial inutile et trompeur, ou encore les mères, emmurées dans leur rôle de maîtresse du logis et pas toujours capables d’accorder le temps qu’il faut aux petits problèmes de leurs enfants. La galerie de personnages que peint Kiarostami est d’une grande richesse, évoquent beaucoup avec peu de mots ou d’action. Ces interactions représentent parfaitement ce qui fait les qualités du film : le réalisateur, démiurge, plante sa caméra dans un coin reculé avec quelques lignes de dialogue à réciter pour les gens qui résident sur place, parvient à traduire la complexité du monde et des rapports humains. Pour peu que l’on y soit plus sensible, Où est la maison de mon ami ? brille un peu plus que les autres films de Kiarostami par le soin accordé au portrait des enfants, pour lesquels on ressent qu’un petit tracas représente un effondrement du monde.
Maxime Bauer.
Où est la maison de mon ami ? d’Abbas Kiarostami. Iran. 1987. En salles le 02/06/2021