Festival du Film Kazakhstanais en France – Je m’appelle Koja d’Abdoulla Karsakbaïev

Posté le 2 janvier 2021 par

Alors que la cinématographie kazakhstanaise connaît un regain de visibilité internationale (Dvortsevoy sélectionné à Cannes avec Ayka ; Yerzhanov à San Sebastian avec A Dark, Dark Man ; Urazbayeva récompensée à Vesoul pour Mariam), la 2ème édition du Festival du Film Kazakhstanais en France offre l’occasion de découvrir sa généalogie à travers une poignée de films, dans une “rétrospective des classiques” de 1938 à 94, parmi lesquels un récit d’apprentissage de 63, Je m’appelle Koja d’Abdoulla Karsakbaïev.

Fleuron de la reconnaissance mondiale du cinéma kazakhstanais pour sa récompense au Festival de Cannes (Prix spécial du Jury, mention “Meilleur film pour enfant”), ce petit joyau inconnu commence comme un « simple » film sur l’enfance. Koja est dépeint comme un enfant de 8-10 ans isolé par ses camarades de classe, humilié par les autres pour son orgueil. À cet affront, il répond par sa liberté et sa générosité, en faisant l’école buissonnière.

Entre ses accents soviétiques (tendance Le Rouleau compresseur et le Violon de Tarkovski) et les prémices de ce qui donnera le cinéma iranien des années 70 (façon Le Passager de Kiarostami), le style du réalisateur, Abdoulla Karsakbaïev, campe dans une veine néo-réaliste qui évoque aussi les premiers courts-métrages sénégalais d’Ousmane Sembène. Tous deux sont issus du VGIK, grande école de cinéma de Moscou. Ils partagent la même propension à porter l’énergie du récit par l’authenticité des lieux, la spontanéité des interprètes (notamment celui qui joue Sultan) et une manière de découper le montage en préservant l’intégrité du réel, avec une touche suffisante d’artifice dramatique.

Cet impact de l’école soviétique dans Je m’appelle Koja se ressent jusque dans la langue russe parlée par les personnages. Mais la grande figure cinéphile tutélaire, dans ce récit d’un petit garçon qui s’abandonne dans les rues et fait l’apprentissage de l’injustice des institutions et des rapports de classe, c’est, avant tout et surtout, Sciuscià de Vittorio De Sica. Autant de noms et de films égrainés pour dire combien la qualité du film dépasse sa seule valeur patrimoniale dépaysante et s’inscrit dans une vraie filiation esthétique.

Le plaisir de Je m’appelle Koja tient à son ambiance. À l’image du Kazakhstan des années 60, les séquences naviguent entre l’urbanisation soviétique des villes, accompagnée par l’éducation citoyenne et soutenue par l’enseignement de l’islam, et les steppes rurales où trônent encore des yourtes perdues dans le brouillard. Pris entre le double dogme de l’islam et du soviétisme, Koja vagabonde dans un paysage culturel et naturel rendus par les couleurs vives de la photographie, relativement bien sauvegardées par la copie du festival. Les sons d’ambiance apportent, en complément, une dimension vériste. Les cris de brouhaha des enfants, saisis “sur le motif”, couplés à la musique trompetante nous donnent l’impression, à la fois, d’y être et d’être distancé par les effets de fosse. Cette double faculté, orchestrée par l’écriture sonore, donne le double sentiment d’être avec Koja et d’être observateur de ses aventures. Comme dans un jeu d’enfant : c’est du sérieux, mais pour de faux. La joie ludique de l’enfance, le plaisir de faire de tout événement une aventure, c’est probablement ce que réussit le mieux Karsakbaïev avec ce premier film. Lui-même témoignant : “Quand on tourne avec les enfants, cela doit ressembler à un jeu, pour que le tournage ne leur pèse pas”. Une séquence est même animée en dessins, renforçant l’innocence douce du récit, et rendant justice à la grande qualité de l’animation soviétique. On y voit Koja, se rêvant en cosmonaute, atterrir et se voir acclamé par la foule brandissant des bouquets de fleurs. En apothéose de ce rêve qui mute en prise de vues réelles : l’institutrice vient implorer la clémence de Koja et son jeune ennemi se voit botter les fesses.  

Comme dans tous bons films, il y a quelques saillies superbes qui résistent à la mécanique globale. En l’occurrence, la réalisation laisse perler quelques plans d’ensemble de paysages embrumés ou enneigés, portés par une musique symphonique qui célèbre la beauté et surtout la liberté de la nature. Et comme dans toutes les oeuvres des artistes soviétiques (Tarkovski, Paradjanov, Chepitko…), Karsakbaïev fait du sublime de la nature (et, en l’occurrence, de l’ode à l’errance) un procédé pour contrecarrer, en sous-main, la propagande productiviste stalinienne. 

Petit appendice pratique : dans la copie en ligne du festival, les sous-titres se décalent souvent par rapport à l’image, ce qui peut perturber l’immersion dans le film.

Flavien Poncet

Je m’appelle Koja d’Abdoulla Karsakbaïev. 1963. URSS. Disponible sur le site du Festival du Film Kazakhstanais en France