Festival du Film Kazakhstanais en France – Amangueldy de Moisei Levin

Posté le 26 décembre 2020 par

La deuxième édition du Festival du Film Kazakhstanais en France, 100% en ligne et gratuite, est l’occasion de découvrir 13 classiques dont Amangueldy de Moisei Levin, le premier film de fiction kazakh, sorti en 1938. Un film à la gloire d’Amangueldy Imanov, premier héros « national » qui porta une révolte paysanne anti-tsariste puis bolchévique de 1916 à sa mort en 1919.

En 1926, Dziga Vertov sortait La Sixième Partie du monde, un plaidoyer pour rassembler les populations des régions de l’Asie centrale soviétique. Comment réunir les populations éloignées du pouvoir central, avec leurs propres préoccupations et coutumes, autour du bolchévisme ? Le cinéma va jouer un rôle important pour « éduquer » les masses largement analphabètes d’Asie centrale. Dès les années 20, des réalisateurs soviétiques sillonnent le vaste territoire pour tourner des documentaires et projeter des films d’actualité à la gloire du bolchévisme. Ce n’est qu’en 1938 que le premier film de fiction kazakhstanais est tourné, par Moisei Levin. Compromis entre le cinéma comme objet de spectacle et propagande, Amangueldy est une fresque à la gloire d’Amangueldy Imanov, promu premier héros national (il a sa statue dans la capitale actuelle du Kazakhstan) pour avoir soulevé une partie des paysans contre le tsarisme et adhéré au bolchévisme.

Le film commence en 1916 alors qu’en pleine Guerre mondiale, des émissaires du tsar viennent mobiliser des paysans pour garnir les rang de l’armée. Paysan charismatique au franc parler, Amangueldy s’oppose  aux émissaires tsaristes lors d’une réunion publique. Arrêté par les forces de l’ordre et conduit en prison, il rencontre Egor, militant anti-tsariste, qui lui explique que l’oppression des paysans d’Asie centrale n’est pas isolée : les moujiks russes et les paysans d’Asie centrale sont tous frères et ont un objectif commun : se libérer des oppresseurs. Il lui explique qu’en Suisse, Lénine prépare la Révolution. Après une évasion, Amangueldy mobilise les paysans contre les élites tsaristes ! Victoire et avènement du bolchévisme. En 1917, les régions des steppes obtiennent l’autonomie politique.

Le parti Alach Orda, fondé cinq ans auparavant par des élites intellectuelles kazakh, s’allie au bolchévisme mais une partie de ses dirigeants remet en cause les idées bolchéviques et décide de faire tomber Amangueldy. Il mourra en mai 1919 (les conditions de sa mort dans le film sont purement hagiographiques) alors que l’Armée rouge vient à bout de l’Armée blanche, entraînant la création, en 1920, de la République socialiste soviétique autonome kirghiz.

Amangueldy est typique du film de propagande : les personnages sont des portraits-types manichéens : les paysans sont vaillants et font toujours masses : ils ne sont jamais filmés individuellement mais toujours en masse unie, notamment lors des réunions publiques et des scènes de chevauchées guerrières. Au contraire, les élites tsaristes sont des êtres raffinés qui portent les apparats et les décorations du pouvoir, la moustache traître et le monocle de la supériorité calculatrice. Ils sont également lâches, fallacieux et individualistes. Sur la forme, il n’y a rien de révolutionnaire mais on peut admirer la qualité des plans larges sur les troupes armées dans les steppes et la scène finale, où la caméra est fixée sur Amangueldy, gisant, alors que la victoire de l’Armée rouge est hors champs et commentée par la femme du futur héros national.

Le film distille également des thèmes qui seront récurrents dans le cinéma soviétique d’Asie centrale : la lutte contre l’islam (une référence au Coran et aux religieux dans le film) et la libération de la femme (la femme d’Amangueldy est présentée comme une figure de proue de la lutte). Enfin, il y a un personnage qu’on ne voit jamais à l’écran mais qui imprègne tout le film : Lénine ! Le film s’ouvre par un panneau : « Tu suivais Lénine comme un père. Tu abattais ton ennemi avec précision. Fils de la partie, frère des démunis, tu étais un honnête combattant ! ». Amangueldy ne le rencontre jamais dans le film mais peu importe : lors d’une discussion, le révolutionnaire russe Egor démontre que s’il ne l’a pas rencontré physiquement, il suit bien ses principes : « Tu as dit aux pauvres de rejoindre les soviets. Ce sont les mots et les pensées de Lénine. Tu a dis que la terre appartient au peuple, qu’il faut annihiler les beys, les officiers et les riches. Ce sont ses mots à lui ! D’où saurais-tu ces mots sans lui avoir parlé ? ».

Marc L’Helgouacl’h

Amangueldy de Moisei Levin. 1938. URSS. Disponible sur le site du Festival du Film Kazakhstanais en France