Du 26 janvier au 8 février 2011 se tenait la première édition du “Festival du cinéma chinois en France”, dans quatre villes françaises (Paris, Lyon, Toulouse et Versailles). Comme toujours, East Asia a répondu à l’appel et vous livre son compte-rendu critique. Par Anel Dragic.
Cette première édition du festival du cinéma chinois étonne en proposant une sélection qui, depuis la France, peut sembler sortir des sentiers battus. Avec très peu d’œuvres auteuristes, la programmation fait état d’une production plus mainstream, touchant à tous les genres les plus populaires, de la romance (La Vengeance de Sophie) au blockbuster catastrophe (Aftershock) en passant par le film en costume (Confucius) mais aussi le cinéma d’animation (Les rêves de Jinsha).
Chine, chic et choc !
Reflétant, en grande partie par occultation de ses problèmes sociaux, une Chine plus dynamique, plus moderne et entrée de plein pied dans le marché mondial, certains films véhiculeraient presque un modèle de floraison économique sans faille (pas un clodo dans les rues, tous le monde s’habille chez Armani et roule en Ford Ka ou en Merco). Une sélection plus bling-bling donc, qui décevra certainement les amateurs de Jia Zhang-Ke, mais qui donne un bon aperçu de la production chinoise à succès.
La vengeance de Sophie / Sophie’s Revenge raconte la routine de Sophie (Zhang Ziyi), après sa rupture avec un beau chirurgien qui aura préféré se tourner vers la perverse Fan Bing Bing, ainsi que sa rencontre avec un photographe taïwanais. Véritable film de nanas (réalisés pour et avec des nanas), le film se présente comme une comédie romantique rose bonbon, qui ne lésine pas sur les effets visuels loufoques bricolés que n’aurait pas renié Michel Gondry. Avec son look stylisé, on est assez peu étonné de constater qu’il s’agit d’une coproduction sud-coréenne, pays qui s’est toujours montré très “avant-gardiste” du côté des romances “so cute”. Glamour et coloré, le film évoque plus d’une fois les comédies romantiques américaines à la Bridget Jones jusqu’aux délires fantaisistes d’ Ally McBeal. Zhang Ziyi, mignonne à croquer, assure quant à elle dans son rôle de jeune femme auteur de bandes dessinées, au look et à la mentalité post-ado, bien qu’elle ne soit plus si jeune que ça. Malgré ses délires souvent too much, le film se montre assez rythmé et se prête à quelques sourires. En revanche, inutile de souligner que c’est à réserver au public ciblé !
Sans Pilote / Driverless, pour sa part, se la joue plus malin, mais ne se montre, hélas, pas très réussi. Suivant la trajectoire de trois couples, tous liés par un accident de voiture, mais incapables de contrôler leur vie, le film lorgne du côté des films d’Alejandro González Iñárritu, allant jusqu’à lui reprendre thèmes et structure narrative. Sous ses airs de drame sophistiqué, avec une photographie léchée et un récit faisant des allers-retours incessants entre passé et présent, allant jusqu’à reprendre certaines scènes sous un autre angle, le film pèche en raison d’un manque de maîtrise flagrant dans ses storylines et d’un récit qui ne passe jamais la deuxième vitesse. Les acteurs se montrent en revanche tous particulièrement bons. Dommage dès lors que Zhang Yang (à qui l’on doit notamment Shower) ne se soit pas montré plus rigoureux afin de rendre son récit plus vivant.
Drames made in China.
Océan Paradis/ Ocean Heaven commence fort en nous montrant Jet Li et son fils faisant une tentative de suicide. Et le film n’y va pas de main morte dans le mélodrame, il faut l’avouer. Le pitch: Jet est un père de famille vieillissant atteint d’un cancer, vivant seul avec son fils autiste après le suicide de la mère. On aura vécu des jours plus heureux, nan ? Le père doit donc penser au futur de son enfant en lui apprenant à vivre par lui même, malgré les difficultés liées à la maladie. Jet Li marque admirablement le coup de la vieillesse. De même, le retrouver dans un rôle totalement dramatique à contre-emploi (n’espérez aucun kick ou démonstration martiale) fait ressortir une facette particulièrement attachante que l’on ne lui connaissait pas. Sans être une vraie réussite, le film ne montre particulièrement attendrissant en raison de son duo principal, et ce malgré ses grosses ficelles évidentes.
A l’heure où un séisme fait des ravages dans le Sichuan en 2008, Tremblement de terre à Tangshan / Aftershock vient servir de film fédérateur tout ce qu’il y a de plus nationaliste. Et Feng Xiaogang de ressembler de plus en plus à Spielberg ! Non pas qu’il se soit laissé pousser la barbe, mais le réalisateur livre ici une commande servant de devoir de commémoration tout en mettant en scène un divertissement dramatique avec ses morceaux de bravoures et ses élans à l’américaine. Le film retrace donc trois décennies de l’Histoire de la Chine et dresse un portrait de ses changements au travers du récit d’une famille séparée lors du séisme ayant touché Tangshan en 1976. Mais avec ses élans patriotiques, ses bons sentiments et ses 2h20, le film se montre malheureusement un peu trop indigeste.
Retrouvailles / Apart Together est pour sa part une bonne surprise ainsi que le meilleur film de Wang Quan’an (Le mariage de Tuya et La Tisseuse). Traitant du rapprochement entre la Chine et Taïwan, le film relate les retrouvailles d’une femme et d’un homme, autrefois amants. L’une est restée à Shanghai en 1949, tandis que l’autre se retire à Taïwan avec le Kuomingdan. Rempli d’humour, mais également de tendresse, l’histoire racontée par Wang fût à coup sur l’un des meilleurs films du festival (mais également la seule œuvre auteuriste au sens moins mainstream du terme). Le film peut également être vu comme un bon contrepoint au I Wish I Knew de Jia Zhang-Ke, sorti récemment, avec lequel il partage des thèmes communs tels que l’exile, mais aussi l’Histoire de Shanghai.
Véritable purge, Génération 80 / Heaven Eternal, Earth Everlasting en est une sacré bonne ! Il y avait pourtant un certain espoir à voir décrite cette période et ce qu’elle a apporté jusqu’à nos jours. Mais d’eighties, il n’y a quasiment rien à voir: ni personnages, ni évolution sociale, ni un quelconque impact réel sur l’histoire. En dépeignant des personnages auxquels ont ne peut s’identifier un seul instant (une fille qui a perdu son père et vit dans la famille de son oncle où presque tous les membres sont aussi détestables les uns que les autres ; un mec dont l’horrible mère a causé le suicide de son mari), l’histoire ne parvient jamais véritablement à trouver un ton, passant du drame appuyé (voir carrément écrasé) à la bluette ado pas très subtile. Brassant deux décennies, le film ne montre aucune évolution: les personnages commencent malheureux et pétés de thunes et finissent malheureux et pété de thune. A aucun moment ne se font ressentir les changements du pays, l’évolution économique ou un quelconque portrait social… C’est plutôt la misère affective des personnages qui prédomine, et, sur ce point, on peut dire que le film relève d’un genre nouveau (quoique, pas si nouveau que ça) : le film de lamentations. Que reste-t-il de la génération 80 ? Une ou deux référence à Leslie Cheung (dont son suicide), l’épidémie de SRAS et les J.O de 2008. Voilà à quoi se résument deux décennies de l’Histoire de la Chine !
Let’s Make Laugh
Du côté des comédies populaires, le festival ne fût pas en reste. Bienvenue à Shama City / Welcome to Shama Town était l’exemple même du film fait avec peu de moyens mais avec beaucoup d’idées. Dressant le portrait d’un petit village perdu au milieu du désert, le film suit une galerie de personnages riches en couleurs, notamment un: le maire, interprété par Sun Honglei, faisant tout son possible pour ramener des gens et faire prospérer son petit bled. Ce qui arrive bien vite lorsque se repend la rumeur qu’un trésor serait enterré sous ces lieux. Inventif dans sa mise en scène, le film de Li Wei Ran rappelle quelque peu l’univers de Kusturica, et montre une Chine capable de rire de ses aspects les plus arriérés. Malgré quelques longueurs, le métrage tient relativement bien la route.
Voyage d’enfer / Lost on Journey était aussi une agréable surprise sortie de nulle part. Version chinoise du Date Limite avec Robert Downey Jr. et Zach Galafianakis (ou encore d’ Un ticket pour deux de John Hugues), le film de Yip Wai Man (le récent Bruce Lee, My Brother) suit la route de Xu Zheng, patron aisé qui doit retourner chez lui pour le nouvel an à quelques 1300 km de là. Il croise rapidement la route de l’excellent Wang Baoqiang, véritable cliché du boulet. Comme dans la version américaine, leur avion ne décolle pas et c’est le début d’un roadtrip au bout de l’enfer en compagnie des deux zozos. Hilarant d’un bout à l’autre, le film ne peine pas en comparaison de son modèle, ce grâce à son excellent duo d’acteurs et des gags s’enchainant sans temps mort.
Il était une fois en Chine
Bodyguards and Assassins sort l’artillerie lourde avec son casting “mouse costaud” et sa reconstitution d’un Hong Kong du début de siècle. Revenant sur la visite de Sun Yat Sen à Hong Kong en 1906, le film de Teddy Chen nous entraîne dans une fresque historique. Mais pas seulement, puisqu’il s’agit également d’un véritable film d’action ! Scindé en deux parties, la première pose les enjeux, s’attarde sur les personnages et les développe tour à tour. Un passage obligé pour prendre conscience à la fois de ce qui se joue, mais également de laisser monter une tension qui éclate dès la moitié du film. Et à partir de là, c’est du grand spectacle ! Pendant plus d’une heure, le film est une course effrénée au travers de la ville, où les différents gardes du corps devront escorter Sun Yat Sen dont la tête à été mise à prix par les Qing. Si cette deuxième partie peut rappeler 16 Blocs, le film parvient à se distinguer de celui de Richard Donner grâce à ses séquences d’actions typiquement HK (le film est une coproduction) et ses élans dramatiques larmoyants. Malgré des défauts évidents, Bodyguards and Assassins reste une vraie réussite et l’un des meilleurs films du festival.
Pour sa part, Confucius revient sur la vie de ce personnage qui tient une place ô combien importante dans la culture chinoise. Surfant sur la mode du biobic, le métrage n’évite aucun écueil et présente tous les défauts des fresques chinoises produites depuis la fin des années 90: à savoir une réalisation qui tend à l’américaine, une esthétique laide, une fadeur loin de celle qui faisait autrefois la qualité du cinéma chinois (mainland et taïwanais), et un rythme à s’arracher les yeux pour ne pas avoir à supporter la vision entière. Car se sont bien deux heures pleinement perdues devant ce spectacle atteignant des sommets de ridicules. On a bien de la peine pour Chow Yun Fat qui aurait du coup mieux fait de retrouver John Woo sur Red Cliff !
Le message / The Message est une belle réussite du duo Chen Kuo Fu et Gao Qun Shu. Sorte de huis clos se déroulant dans un manoir en 1942 sous l’occupation japonaise, le récit raconte l’histoire de cinq chinois détenus par l’ennemi dont l’un est suspecté d’appartenir à la résistance. A partir de cette idée, le film parvient à instaurer une tension permanente en montant les personnages les uns contre les autres et en insufflant le doute au spectateur. De quoi donner des airs de Cluedo cinématographique. Véritablement choquant, et ne s’épargnant pas quelques scènes très violentes, l’œuvre montre encore une fois que le film de guerre est un des derniers terrains “d’expression” où les réalisateurs chinois peuvent s’adonner à quelques excès de violence, même si cela doit passer par la diabolisation de l’ennemi étranger. Visiblement influencé par le film noir européen, l’œuvre fait preuve d’une maitrise formelle assez éclatante, grâce à une mise en scène inspirée, une belle photographie et une musique qui ne dépareille pas. Une bonne surprise donc!
Et l’anime alors ?
Eh bien l’anime, ce ne fût pas glorieux. Représenté par Les rêves de Jinsha / Dreams of Jinsha, le film repique un peu de Narnia, beaucoup de Miyazaki et un tas d’autres références moins évidentes que le spectateur aura libre choix de lire lors de sa vision. Racontant l’histoire d’un gamin qui se retrouve propulsé dans le passé en plein dans le royaume merveilleux de Jinsha, le récit suit le voyage de celui-ci qui devra venir en aide aux habitants menacés par un pouvoir maléfique. Que du neuf donc, qui malheureusement n’arrive pas à la cheville de ses ainés… Les décors se montrent assez beaux mais le graphisme se voit entaché par des personnages dessinés et animés de manière assez grossière. Un bien triste constat puisque le voyage aurait pu s’avérer plus réussi s’il était plus soigné et se montrait un peu plus “magique”.
Conclusion
Ce tour d’horizon de la production chinoise actuelle était donc plutôt varié et présentait des films assez inattendus. Dommage cependant que la qualité se soit montrée aussi inconstante avec un niveau d’ensemble qui tendait au moyen. Reste l’idée qui en ressort que la Chine parvient elle aussi à produire de l’entertainment mainstream, parfois assez traditionnel, soit au contraire, “à l’occidental”, ce qui change quelque peu des films auteuristes ou esthétisants de la 5e et de la 6e génération ! Manquaient à l’appel des œuvres véritablement originales, ou surprenantes, mais difficilement réalisables dans le contexte de production chinois à l’heure actuelle. Il ne reste donc qu’à espérer que l’empire du milieu se montre un peu plus laxiste dans la liberté d’expression, mais également concernant le type de produit que les majors locales souhaitent distribuer, et l’on pourrait assister à une véritable émulsion créative de la part d’un pays qui ne demande certainement qu’à montrer l’étendue de son imagination.
Anel Dragic.
Le Festival du film chinois en france : 2ème édition du 4 au 17 Avril 2012. Plus d’informations sur le site officiel !