PREVIEW – Red Post on Escher Street de Sono Sion

Posté le 31 octobre 2020 par

Dans la foulée de la sortie de The Forest of Love et sa version Deep Cut, Sono Sion, le plus culte des cinéastes subversifs japonais contemporains nous offre une nouvelle pépite avec Red Post on Escher Street, projeté au Festival du cinéma nouveau de Montréal.

Dans Red Post on Escher Street, Sono revient sur une thématique chère à son cœur : le tournage et l’univers du cinéma. Dans la lignée de Why Don’t You Play in Hell?, Antiporno et The Forest of Love, où le cinéaste traitait déjà de ces motifs et des aventures en coulisse lors de la confection d’un film, Sono prouve ici qu’il n’a pas fini de faire le tour de la question et de réfléchir au rôle de réalisateur mais également de tous les techniciens présents sur un tournage. Red Post on Escher Street est un film choral dont l’intrigue s’articule autour de la mise en place du nouveau projet cinématographique d’un grand réalisateur, Kobayashi Tadashi (Yamaoka Tatsuhiro). Kobayashi, en proie à un blocage artistique, tente de retrouver la passion du cinéma qu’il ressentait à ses débuts dans l’industrie. Il décide alors de revenir aux sources et de travailler sur un tournage avec des acteurs amateurs plutôt que d’opter pour des stars réputées, au grand dam de ses producteurs. Des flyers sont distribués dans toute la ville afin de dénicher le nouveau premier rôle ainsi que deux seconds rôles féminins et nous suivons les jeunes filles intéressées par cette opportunité, depuis l’annonce de la nouvelle, jusqu’aux castings et enfin au tournage du film.

Ici, tout comme dans Antiporno, c’est aux actrices que Sono offre la part belle, qu’il s’agisse des premiers rôles mais surtout, pour la première fois de façon aussi approfondie dans sa filmographie, des rôles extrêmement mineurs. Les candidates au premier rôle ne pouvant évidemment pas toutes l’obtenir et la production ne cessant de pousser Kobayashi à opter pour des actrices déjà bien installées dans le milieu, beaucoup des jeunes actrices se voient redirigées vers l’option de devenir figurantes. Dès lors, Sono abandonne la focalisation sur les rôles principaux et s’intéresse dans la seconde partie du film à l’envers d’un tournage, du côté des « extras ». Là se situe la grande force et l’intérêt de Red Post on Escher Street puisque Sono non seulement assume pleinement son parti pris original mais l’amène à une complétion parfaite. Le profond dégoût de Sono pour l’aspect industriel du cinéma est ici sublimé par une proposition concrète de changement. Tout ce qui est dénoncé dans le film est manié à l’opposé par le réalisateur et sert d’exemple de ce qui pourrait être amélioré ou démoli dans le cinéma, à commencer par les comédiens et surtout les comédiennes qu’il met en scène, pour la plupart débutant leur carrière. Ces filles dont on découvre la vie, dont on suit les espoirs et qui cherchent à obtenir une visibilité quelconque dans le cinéma sont toutes mises à l’honneur de façon équitable, à l’inverse de ce qui se produit dans la diégèse du film. Il en va de même pour les techniciens habituellement peu mis en avant dans les crédits d’un film ou bien dans les œuvres traitant de tournages tels que les assistants réalisateurs ou bien les figurants professionnels qui, ici, sont mis en avant et approfondis davantage que la production ou bien les acteurs principaux. Sono ne s’épargne pas non plus et se parodie également lui-même ainsi que sa propre filmographie dans Red Post, notamment lors de la séquence où la fiancée du réalisateur s’imagine son projet de film. Les candidates au rôle déclament des textes poétiques ou philosophiques tandis qu’elles s’aspergent mutuellement de peintures flashy, référençant de façon assez ironique de nombreux travaux passés de Sono tels que Guilty of Romance ou Antiporno.

Comme le sujet et le traitement du film l’impliquent, nous retrouvons l’âme punk de Sono dans Red Post on Escher Street. Le ton du film peut surprendre de prime abord, surtout après The Forest of Love qui se situait dans une partie beaucoup plus cruelle et nihiliste de la filmographie du réalisateur. Sono opte ici davantage pour une approche survoltée et légère mais il garde sa patte de réalisateur rebelle et incisif. Le film culmine dans la frénésie la plus absolue lorsque l’on se rapproche de la fin et ces effusions d’énergie sont tout à la fois percutantes et jubilatoires. La notion de pouvoir au peuple ne s’est jamais autant ressentie dans un film de Sono. La séquence où l’une des figurantes encourage sa partenaire à s’imposer sur le tournage et la pousse à violemment se débarrasser de l’actrice principale pour prendre sa place ainsi que la scène où tous les figurants chantent en cœur une chanson qui répète « extras, extras, extras » témoigne de ce désir de renversement des pouvoirs. La séquence finale avec les déclarations révolutionnaires des personnages au milieu de la masse de passants du carrefour le plus fréquenté de Shibuya, qui s’adresse réellement comme on le devine aisément au public de Sono, est réellement splendide et émotionnellement percutante. Tout comme le réalisateur qu’il met en scène, Sion Sono a l’air d’avoir retrouvé de l’espoir au milieu de la noirceur et même si cet espoir est bien évidemment dilué dans une approche dénonciatrice, il fait plaisir à voir et touche encore davantage de la part de ce cinéaste.

Elie Gardel. 

Red Post on Escher Street de Sion Sono. Japon. 2020