Arte met à l’honneur les cinémas taïwanais, hongkongais et japonais dans une thématique « Gangs, clans et parité ». On se penche sur Blind Woman’s Curse d’Ishii Teruo, en replay jusqu’au 29 août !
Akemi est la chef du gang Tachibana, et porte, comme la tradition l’exige, un imposant tatouage de dragon dans le dos. Lors d’un duel contre un gang rival, Akemi rend aveugle une opposante avec son épée. C’est alors qu’un chat noir apparaît pour lécher la blessure ensanglantée. La malédiction d’Akemi a commencé…
Blind Woman’s Curse est une œuvre qui participe à l’ascension de Kaji Meiko puisque tourné la même année que le premier volet de la saga Stray Cat Rock qui fera d’elle une star au sein de la Nikkatsu. Le film est également annonciateur des sommets de sa filmographie à venir en la montrant en sabreuse vengeresse (lors de l’ouverture et la conclusion du film) comme dans le diptyque Lady Snowblood (1973 et 1974) et la série de La Femme scorpion. L’un des éléments passionnants rétrospectivement consiste en l’hésitation constante de l’héroïne de Blind Woman’s Curse à embrasser l’imagerie justement rattachée à Kaji Meiko par la suite. Le long-métrage voit un postulat de film de yakuza et de sabre progressivement vampirisé par la personnalité de son réalisateur Ishii Teruo.
Maître du sous-genre ero guro (érotisme grotesque) dans ses films historiques déviants, se déroulant à l’ère Edo, Ishii écarte l’érotisme pour se concentrer le grotesque dans l’approche fantastique. La trame de film de yakuza avance de manière laborieuse et parfois répétitive mais le cœur du récit se trouve dans l’incursion des éléments surnaturels. Ils sont annoncés dès l’ouverture, durant un combat entre clans ennemis où Akemi (Kaji Meiko) rend accidentellement une femme aveugle par un jet de sang dans les yeux. La victime, après avoir vu ses plaies léchées par un chat noir, va s’avérer être une ennemie mortelle et assoiffée de vengeance envers Akemi. Elle devient une Bakeneko (monstre-chat), fantôme du folklore japonais représentant (dans certaines interprétations) souvent une femme bafouée devenue une entité monstrueuse et avide de revanche pour ses anciens tourmenteurs. La malédiction est finalement essentiellement féminine à travers une quête de vengeance à laquelle s’abandonne l’aveugle (Tokuda Hoki) et que cherche à fuir Akemi dans un monde de pouvoir masculin. Plusieurs dialogues soulignent une volonté rendue impossible par le contexte pour les deux jeunes femmes poussées à la violence par leur entourage.
La notion de clan appelle une violence que cherche à contenir Akemi envers ses membres, et l’aveugle voit ses démons s’incarner dans l’incontrôlable danseur bossu. Ce dernier est joué par Hijikata Tatsumi, créateur de la danse japonaise butō et dont l’étrangeté fut déjà exploitée par Ishii Teruo dans Horrors of Malformed Men (1969). Sa gestuelle étrange ajoutée au diverses idées macabres du récit façonne donc une atmosphère inquiétante, portée par les cadrages déroutants et les éclairages baroques orchestrés par Ishii. L’excentricité associée au folklore japonais se marie ainsi à un gothique plus occidental (la figure funeste du chat noir omniprésente) dans un ensemble homogène où Ishii privilégie l’ambiance à l’excès, si ce n’est furtif (les scènes de filles de plaisir sous opium). Le duel final confronte alors dans un somptueux cadre abstrait et stylisé la notion vaine de cette haine. Une belle réussite.
Justin Kwedi.
Blind Woman’s Curse d’Ishii Teruo. Japon. 1970. Disponible en ligne sur arte.tv du 01/06/2020 au 29/08/2020.