VOD : Made in Bangladesh de Rubaiyat Hossain

Posté le 7 avril 2020 par

Après sa sortie en salles en décembre dernier, Made in Bangladesh s’apprête à débarquer prochainement en DVD. En attendant, on peut le découvrir en Vod. Dans ce film, la réalisatrice Rubaiyat Hossain s’inspire de faits réels pour narrer le combat des ouvrières bangladaises pour faire respecter leurs droits face à un système qui les exploite éhontément.

Lorsqu’un incendie éclate dans l’usine textile où elle travaille, causant la mort d’une de ses amies, Shimu décide de réagir. Sous l’impulsion d’une ONG locale, elle entreprend de rallier ses collègues pour former un syndicat.

Le sujet auquel s’attelle ici Rubaiyat Hossain est éminemment politique, son héroïne subissant aussi bien les inégalités de classes, les dérives de la mondialisation et les pressions patriarcales. Malgré un traitement un peu classique, elle s’appuie sur la vie de la jeune syndicaliste Daliya Akter pour donner à voir comment, en dépit de leur position de faiblesse, les ouvrières se dressent pour défendre leur dignité à force de solidarité et d’obstination.

Le soin que la réalisatrice a porté à ses recherches transparaît dans les décors et les situations. Ici, nulle dramaturgie excessive, nulle outrance de mise en scène : le choix est celui d’un réalisme en toute simplicité. Le pari est risqué, car il aboutit quelquefois à des baisses de rythme, faute d’injecter régulièrement de nouveaux rebondissements. C’est que le film s’efforce de rester à la hauteur de ses personnages, pris au piège d’un enchevêtrement d’oppressions qui écrase leur quotidien et leur laisse peu de marge de manœuvre. Que signifie la révolte, quand on est une petite main, indiscernable dans les rouages d’une machine qui brasse des billets par millions ? Impossible de fomenter un coup d’éclat, aussi cinématographique soit le geste, quand on n’est guère qu’un fusible aux yeux de son patron. Pour autant, la résignation n’est pas de mise.

En soi, le seul fait que l’enjeu poursuivi par Shimu puisse sembler dérisoire en dit déjà long sur la difficulté de sa posture. Sur un sujet similaire, on peut penser au documentaire Entre nos mains de Mariana Otero, qui suivait les employés (et surtout les employées) d’une usine de lingerie tentant de sauver leur entreprise de la faillite en constituant une coopérative. De la même manière, on observait à quel point la politisation du lieu de travail pouvait être source d’inextricables tensions et contradictions au moment même où la seule issue favorable réside dans l’union. Cependant, le sujet de Made in Bangladesh dépasse largement la question de la précarité qui prédominait chez Otero, puisqu’il interroge également la place des pays en voie de développement dans la globalisation de l’économie et celle de la femme dans la société.

« Nous sommes des femmes. Fichues si l’on est mariées, fichues si on ne l’est pas… » résume le personnage de Shimu. Une de ses collègues rêve du mariage comme échappatoire, mais le couple est un autre joug qui ne se substitue pas forcément au travail et auxquelles certaines sont soumises de force dès leur plus jeune âge. Face à cela, la possibilité de gagner un salaire leur offre une émancipation précieuse, bien que relative. Un autre étau, encore, les prend au piège : l’hypersexualisation du capitalisme qui en fait une vitrine publicitaire d’une part, le conservatisme de la religion qui voudrait leur imposer le port du hijab d’autre part. Ces éléments se manifestent au fil de l’œuvre, sans pour autant devenir prédominants dans l’intrigue, simplement parce qu’ils tissent le quotidien de ces ouvrières et déterminent leurs options.

Cependant, c’est peut-être là que ce long-métrage touche à ses limites : le message qu’il porte, par sa densité et ses nombreuses ramifications, prend parfois le devant sur la fluidité de l’ensemble. Certaines intrigues secondaires semblent illustrer des passages obligés du discours plus qu’elles ne s’inscrivent dans la continuité du récit, et ne laissent pas de place pour la nuance. Peut-être la réalisatrice a-t-elle voulu se montrer trop exhaustive dans la liste des obstacles qu’elle aborde ? Les intentions sont louables, mais cela se fait hélas au détriment de l’empathie que l’on pourrait ressentir pour certains personnages, qui restent trop anecdotiques et auxquels on n’a donc pas l’occasion de s’attacher. Pour autant, le film dans sa globalité demeure tout à fait pertinent et ne perd jamais de vue la détermination de son héroïne.

Made in Bangladesh fait ainsi la lumière sur des coulisses de la société de consommation dont on soupçonne l’existence sans forcément s’y confronter. En dépit de quelques maladresses, Rubaiyat Hossain offre aux ouvrières de son pays, en les incarnant en la figure de Shimu, une porte-parole engagée qu’il serait bien impossible de réduire à un statut de victime.

Lila Gleizes

Made in Bangladesh de Rubaiyat Hossain. France, Bangladesh, Danemark, Portugal. 2019. Disponible sur les plateformes Canal VOD et Orange

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