NETFLIX – Jailbreak de Jimmy Henderson : la valeur de la diégèse

Posté le 12 octobre 2019 par

Après Ong-bak en Thaïlande et The Raid en Indonésie, le Cambodge s’est offert un blockbuster d’action étendard, afin de rentrer sur le devant de la scène en Asie du Sud-Est. Il s’agit de Jailbreak, un film réalisé par l’Italien expatrié au Cambodge Jimmy Henderson. Après une sortie nationale dans son pays d’origine en 2017, le long-métrage est intégré au catalogue mondial de Netflix en 2018, devenant le premier film cambodgien à y parvenir.

La police arrête Playboy (Savin Phillip), un chef de gang présumé. Deux agents locaux (Tharoth Sam et Dara Our), épaulés par un membre du GIGN de France venu les entraîner (Jean-Paul Ly), l’emmènent en prison. Mais Playboy révèle qu’il n’est pas le vrai chef du gang et qu’il est prêt à parler pour éviter la cabane. La véritable cheffe, Madame Butterfly (Céline Tran), fait alors engager un détenu (Sisowath Siriwudd) pour l’abattre sur place.

Ne faisons pas durer le suspense plus longtemps : Jailbreak n’atteint pas le niveau de puissance formelle d’Ong-bak, et encore moins celui de The Raid. Deux qualités lui manquent pour cela : un budget plus conséquent, afin de parfaire les décors et les moyens de prises de vue ; et une écriture plus ambitieuse – qui ne peut pas l’être en raison de ce même problème de budget. Certaines critiques qualifient le film de navet. Mais en analysant plus finement l’oeuvre, elle se rélève de bien meilleure valeur que cela.

Contre deux qualités manquantes, on gagne deux qualités pas nécessairement acquises pour tous les films d’action. Premièrement, le metteur en scène-scénariste Jimmy Henderson a adapté sa réalisation au budget et s’est échiné à trouver les plans les plus percutants qu’il pouvait. En matière d’action, le film est très correct : les policiers affrontent à 3 des hordes de prisonniers enragés, avec un bon sens de la chorégraphie de la pesanteur (et c’est d’autant plus appréciable lorsqu’on sait que l’art martial cambodgien bokator est mis en lumière). Le film reproduit même avec succès un plan avec retournement de caméra, une technique sophistiquée qui nous a scotchés dans The Raid 2. Sur le même point, l’idée de faire s’affronter les artistes martiaux dans une prison est somme toute simple, mais tient son concept jusqu’au bout et permet à la mise en scène de se créer un petit monde, où policiers charismatiques, taulards déchaînés et gangsters vénaux se retrouvent un après-midi dans une prison crasse pour tout mettre sens dessus dessous. De cette première qualité découle, mine de rien, un point souvent essentiel au cinéma, parfois mis de côté, y compris dans les plus grosses productions : une diégèse qui tient debout et qu’on peut même qualifier de forte. On décerne dans les chorégraphies, dans le minimalisme de certains éléments de réalisation, dans le choix des plans, de ne pas chercher l’hyperbole au risque de tomber dans le nanar. Au contraire, malgré quelques faiblesses ça et là, le film parvient à demeurer précis dans ce qu’il veut signifier, que ce soit l’impact des coups ressentis, l’humour et la caractérisation des personnages.

Car la seconde grande qualité du film réside dans ses personnages. Il y a bien sûr Madame Butterfly, campée par l’actrice-autrice Céline Tran, qui déploie ici en mouvement ses capacités en arts martiaux qu’elle a l’habitude de partager sur les réseaux sociaux. Jean-Paul Ly, principalement chorégraphe-cascadeur, se révèle bien charismatique. Sisowath Siriwudd, quant à lui, aurait pu être embauché par Sergio Leone tant sa trogne sévère et marquée en impose. Mentionnons aussi le détenu psychopathe et le cannibale, qui sont présents à l’écran juste assez longtemps pour faire rayonner le côté « cinéma de genre » du film.

Bien que Jailbreak demeure un film modeste, il peut marquer le début de l’envol d’un certain cinéma populaire cambodgien. Jimmy Henderson est installé dans le pays depuis quelques années et propose déjà diverses œuvres de genre (The Prey). Si on veut à tout prix comparer et regarder dans le rétroviseur, Bangkok Fighter et Bangkok Knockout sont des films d’action d’Asie du Sud-Est ratés. Jailbreak s’en distingue assurément.

Maxime Bauer.

Jailbreak de Jimmy Henderson. Cambodge. 2017. Disponible sur Netflix le 02/05/2018.