Detective Dee 2 nous offrait des images folles à travers une virtuosité rare et une générosité dont seul le cinéaste hongkongais a le secret. Dans le troisième volet de la saga, Tsui Hark, après une escapade dans l’univers de Stephen Chow, intègre dans son maelstrom cinétique une réflexion sur le pouvoir des images et la croyance. Donc sur le cinéma.
Detective Dee : la Légende des Rois célestes est probablement le moins romanesque et le moins exubérant de la saga, mais s’avère être le plus passionnant dans son aspect théorique. Dee Renjie (Mark Chao) devient le détective officiel de l’Empereur et se voit remettre une épée légendaire comme gage de confiance. Cela lui attire les foudres de l’Impératrice qui va invoquer des forces puissantes pour s’imposer comme une voix unique dans l’Empire. A travers ce postulat simple qui met en scène des jeux de pouvoir et d’alliances inhérents au wuxia, Tsui Hark nous offre une réflexion sur les images, le pouvoir, et la corrélation entre les deux. Le cinéaste hongkongais, qui est devenu un mastodonte du blockbuster chinois à cause de la marche de l’Histoire, n’est pas dupe de son statut et n’a jamais renié son cinéma qui remet pourtant en cause la vision des autorités chinoises de cette même histoire. Le cinéma de l’auteur hongkongais a toujours mis en avant les images effacées ou interdites par le gouvernement chinois, que ce soit les légendes, les fantômes, l’opéra folklorique ou le grand banditisme. Le cinéaste a toujours donné à voir ce que le pouvoir unique voulait faire disparaître. Cela explique également les remakes de films de King Hu à des époques différentes ou des projets comme La Bataille de la montagne du Tigre. Tsui Hark tente de redonner à penser des images qui ont déjà été condamnées par le prisme politique ou esthétique d’une structure voire d’une époque. Ainsi, ce Detective Dee s’inscrit dans la lignée de son film précédent, Journey To The West: The Demons Strike Back où il emmenait son cinéma vers des sommets épiques grâce aux effets numériques sans pour autant travestir leur artificialité. Il y a un dialogue explicite dans Journey To The West, où les personnages qui s’opposent discutent des illusions et de leur pouvoir performatif. La discussion qui portait en fait sur le cinéma et ses effets est la base esthétique de ce nouveau Detective Dee.
L’œuvre nous plonge dans un espace restreint entre quatre ou cinq lieux où se déroule la majeure partie des évènements. Il y a une sorte de logique opératique dans laquelle les personnages évoluent dans une unité d’espace et de temps très définie. Mais cette valeur opératique se voit corrompre par la présence des illusions, des effets numériques qui détournent les personnages du véritable danger. La caméra de Tsui Hark n’est pas aussi folle que dans les précédents opus, mais le montage qui était la pierre angulaire des effets concrets du cinéaste dans les années 80, est d’une précision chirurgicale digne d’un mouvement de magicien. On croit ce que le cinéaste nous laisse voir, mais une image n’est qu’une illusion que l’on admet comme vraie. C’est ce dont il est question dans la recherche de la vérité de Dee dans cet opus. Alors que le détective se repose essentiellement sur ce qu’il voit, il doit maintenant réfléchir à la valeur épistémologique de ce qu’il voit. Le cinéaste propose aux spectateurs de faire de même. Ce qui résonne avec une séquence d’Au-delà des montagnes de Jia Zhang-ke où Tao (Zhao Tao) voit un avion s’écraser sans raisons puis rentre chez elle alors que les informations diffusent que les essais des avions militaires n’ont engendré aucun incidents. En ce sens, l’injonction implicite de Tsui Hark à penser ce que l’on nous donne à voir, à critiquer, se révèle pertinente voire incisive, aussi bien en Chine que dans notre rapport au monde contemporain. Bien sûr, ce Detective Dee ne se contente pas seulement de cela, il nous montre, encore une fois, le génie de son créateur.
Pour porter ses images, le métrage s’inscrit dans une sorte d’histoire fantasmée à travers des évènements précis de l’histoire chinoise, mais également à travers des vagabondages poétiques qui permettent au cinéaste de nous offrir des visions spectaculaires dans les interstices de la fiction. On pense à l’utilisation du moine, et au combat final qui fait écho au combat de Journey To The West mais dont la fin est à l’opposé, ce qui change la valeur de l’affrontement. Il s’approprie même les gimmicks des blockbusters mondiaux, les scènes post-génériques pour les intégrer à l’esthétique wuxia qui est l’équivalente en termes de culture populaire de l’influence des comics en Occident. Les wuxia sont des histoires à tiroir avec potentialités infinies comme le sont les comics, les scènes post-génériques s’inscrivent donc parfaitement dans cette logique qui répond autant à un raisonnement mercantile qu’à la cohérence intrinsèque de l’œuvre. Le cinéaste semble connaître une sorte de second âge d’or depuis le début de la décennie qui répond à son âge d’or hongkongais. Le dialogue qui en résulte est passionnant, et les images semblent se répondre. Ce Detective Dee n’est peut-être pas le spectacle le plus ambitieux mais il reste un élément décisif pour son auteur, œuvre qui devient aussi importante que les mythes et légendes dont elle s’inspire.
Kephren Montoute.
Detective Dee : La Légende des Rois célestes de Tsui Hark. Chine-HK. 2018. En salles le 08/08/2018