Parmi les films présentés en compétition au 24ème Festival International des Cinemas d’Asie de Vesoul, le coréen Mothers de Lee Dong-eun nous a donné envie d’en savoir plus sur son jeune auteur en lui proposant une interview sur son film, de son parcours et de l’état du cinéma coréen.
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs qui vous découvrent avec Mothers ?
Je m’appelle Lee Dong-eun et suis venu présenter au Festival International des Cinemas d’Asie de Vesoul mon deuxième film Mothers en première internationale (mon premier étant Inbetween Season).
Quels films vous ont donné envie de faire du cinéma et qu’est-ce qui vous a poussé vers la réalisation ?
A vrai dire, je ne me rappelle pas trop comment j’ai eu cette envie de devenir un réalisateur de cinéma. Je voulais faire des films, ce choix, ce désir était déjà là. Et ce qui m’était plus important, c’était de savoir garder la confiance en soi. Pendant assez longtemps, j’étais sceptique, je n’avais pas trop la confiance. Et c’est enfin en 2010 que je me suis décidé de tenter le coup et ai commencé à écrire des scénarios.
Quel est le point de départ de Mothers ?
Un jour, j’étais à une cérémonie de funérailles de quelqu’un que j’avais connu. Là, chacun avait sa propre façon de faire le deuil, mais en même temps, on jugeait les autres : on attendait de chacun un certain comportement, une certaine manière d’exprimer son chagrin, en fonction du ‘rôle’ de chacun dans la famille du défunt. La réflexion sur ce thème des rôles de chaque membre dans une famille et sur le deuil m’ont amené à écrire ce film.
Vous vous intéressez à plusieurs personnages de mères. Qu’est-ce qui vous intéressait dans l’évolution et le traitement de cette figure ?
J’ai surtout essayé de montrer des mères qui ne correspondaient pas à l’image typique de mère, dotée de maternalité mythique, mais qui pourraient pourtant plus probablement exister dans la réalité.
On voit dans le film 3 générations et 3 conceptions différentes de la famille. Qu’est ce qui était important dans cet intergénérationalité ?
Les responsabilités maternelles sont quelque chose d’imposées à Hyo-jin, qui pourtant les assume. Ce processus est pour elle une sorte de deuil et en faisant cela, elle évolue. Quant à Jong-wook, il tente d’assumer les responsabilités paternelles qui ne sont pas les siennes, et en y renonçant, il devient plus mature. Et pour Ju-mi, être mère, c’est quelque chose qu’elle peut offrir à quelqu’un d’autre comme un cadeau. Chaque cas dévie de la famille modèle à sa façon. C’était cela qui m’était important.
Comment avez-vous choisi Lim Soo-jung et travaillé avec elle ?
Lim Soo-jung était quelqu’un qui ressemblait beaucoup à ce personnage de Hyo-jin dans sa sensibilité et aussi dans son attitude, pourtant terre à terre envers la réalité. Et puis, elle avait joué plutôt dans des films romantiques, et n’avait jamais joué un rôle de mère. Elle n’avait pas vraiment l’âge d’en jouer un. C’est justement pour cela que je voulais travailler avec elle, car je voulais montrer une mère qu’on ne voit pas trop habituellement dans les films.
Vous êtes produit par Finecut : comment avez-vous trouvé les financements ?
Finecut n’a pas produit ce film. Ils s’occupent de ses ventes internationales seulement (Finecut est avant tout une société de distribution internationale). C’est Myung Films qui est la maison de production pour ce film. Comme j’avais Lim Soo-jung comme star, d’abord nous avons essayé de faire financer le film par les investisseurs privés, mais le projet s’avérait pas assez commercial. Alors, on a réduit le budget et on a pu finalement faire le film grâce aux soutiens de Busan Film Commission et Gyeonggi Cultural Foundation.
Vous écrivez vous-même vos scénarios. Avez-vous eu des demandes particulières de modifications entre le moment de l’écriture et de la réalisation de la part de la production ?
Non, pas vraiment. C’était plutôt moi-même qui ai modifié le scénario, parce qu’on avait moins de budget que je voulais idéalement, j’ai dû retoucher le manuscrit pour que ça coûte moins cher tout en gardant l’essentiel. Donc le roman graphique que j’en ai fait est plus proche de la première version du scénario, alors que le film est en quelque sorte une version condensée.
Comment le film a-t-il été reçu en Corée ?
Le film n’est pas encore sorti en salles. Il a été présenté au Festival de Busan et surtout le public féminin appréciait mieux le film, y était plus sensible et emphatique. La réaction différait aussi selon les générations. Ceux de la vieille génération trouvaient le choix de Hyo-jin d’assumer le rôle de mère particulièrement audacieux.
Que pensez-vous de l’état de l’industrie du cinéma coréen aujourd’hui ?
L’industrie du cinéma coréen a beaucoup évoluée. C’est devenu une secteur hautement industrialisé et le nombre d’entrées annuel a dépassé 200 millions. Mais la bipolarisation s’aggrave. La grande majorité de ressources financières étant investis dans des gros projets qui ont besoin au moins de 4 millions d’entrées pour être rentables, il devient de plus en plus difficile de faire le type de film que je fais. Comme ce n’est pas un film de genre à gros budget, mais un drame à petit ou moyen budget, il est paradoxalement plus difficile de trouver le financement. C’est un grand défi pour moi.
Quels sont vos projets ?
Mon prochain projet est encore un film sur une famille. Cela va être une sorte de road-movie avec les personnages de différentes générations.
Quel est le dernier film que vous avez vu et aimé ?
A Ghost Story de David Lowry. Au départ, j’étais un peu confus, mais j’ai fini par adorer le film. Comme mes deux films, c’était un film sur le deuil, mais filmé d’une manière à la fois minimaliste et fantastique. Ses économie et efficacité cinématographiques étaient très impressionnantes.
Nous demandons à chaque réalisateur de nous parler d’une scène d’un film, n’importe lequel, qui les a particulièrement marqué, touché, influencé… et de nous expliquer pourquoi ?
Quel est votre moment de cinéma ?
Plutôt qu’une scène d’un film particulier… C’est plutôt certains paysages qui me consolent. Ces paysages qu’on rencontre par hasard pendant les voyages. Il y a des voyages avec ce genre de paysages et sans, pour moi. C’est pas un paysage spectaculaire. Par exemple, en 2010, je suis allé au Yémen. Un jour je me sentais pas très bien, donc je suis resté dans ma chambre d’hôtel toute la journée. Et là à travers la fenêtre, j’ai vu une ‘scène’ pendant longtemps. C’était un paysage désertique et rocheux. Il y avait un paysan qui, peut-être pour en faire un champ, ramassait une par une des roches. Pendant très longtemps, tout seul, sans dire un mot. Cela m’a marqué, et je ne peux pas expliquer en quoi ça m’a touché précisément, mais je voudrais exprimer ce genre de paysages et les sentiments que j’en ai senti dans mes films.
Propos recueillis dans le cadre du 24ème Festival International des Cinémas d’Asie (FICA).
Remerciements : Célia Parigot.
Mothers de Lee Dong-eun. Corée. 2016.