Entretien avec Manuel Ferrara : « L’Empire des Sens est pour moi un grand classique. »

Posté le 2 décembre 2017 par

Manuel Ferrara, acteur de films pornographiques, est aussi depuis plus d’un an streameur sur la plate-forme Twitch. Lors de notre entretien avec lui, nous y avons découvert un père de famille fan de cinéma asiatique, de manga, d’animés et de jeux-vidéos. L’occasion de connaître un peu plus ce géant du cinéma pour adulte. Bonne lecture à tous !

Quel est ton premier souvenir de cinéma ?

Mon premier souvenir n’est pas réellement un film en particulier mais plutôt la salle de cinéma André Malraux de ma ville natale, Gagny dans le 93. Je me souviens qu’ils avaient une toute petite salle. On avait vu avec l’école Le Roi et l’Oiseau.

Je me souviens aussi qu’à la maison c’était plutôt des grosses productions américaines comme Les 10 Commandements, Ben-Hur ou encore Il était une fois dans l’Ouest. Donc des films à gros budgets avec des histoires incroyables. J’adorais le côté fantastique, mythologique de ces films. Le côté religieux je ne m’y attardais pas vraiment.

Comment as-tu découvert le cinéma asiatique ?

C’était dans l’ordre logique des choses. Je suis fan de manga et d’animés, je me suis donc laissé tenter par des films asiatiques. Je crois avoir commencé par Old Boy, bien entendu je parle bien de l’original, le remake est une catastrophe. Puis j’ai enchaîné par les deux autres œuvres de la trilogie de la vengeance de Park Chan-wook. Ces films ainsi que The Host m’ont beaucoup marqué mais J’ai rencontré le diable réalisé par Kim Jee-woon a été la plus grosse claque.

Pourquoi J’ai rencontré le diable plutôt qu’un autre ?

C’est d’abord la dureté des personnages principaux. L’un est simplement un monstre qui commet ses crimes sans état d’âme, l’autre devient un monstre dans le but de se venger, ce que peu de personnes en réalité sont capables. En plus de cela, il effectue sa croisade punitive sans se soucier des personnes qu’il y mêle. Il devait nécessairement être déjà un monstre en puissance pour se comporter comme ça.

Selon toi, qui est le diable in fine ?

Le tueur est au final un créateur de monstre, il provoque le chaos autour de lui, il n’y a pas un diable à la fin, les deux sont des monstres. C’est grâce aux deux acteurs Choi Min-sik et Lee Byung-hun, ils sont vraiment incroyables, ils incarnent ces personnages complexes avec une parfaite justesse.

Tu as donc un penchant pour le cinéma coréen semblerait-il.

Les thrillers coréens sont palpitants comme les trois œuvres de Na Hong-jin, mais le cinéma japonais aussi m’attire beaucoup. LEmpire des Sens est pour moi un grand classique. Une production avant-gardiste parlant de ce que l’on ne montre pas à une époque où l’on ne parlait pas de ces choses-là au Japon. Récemment d’ailleurs j’ai visionné Boys on the Run dont la couverture me rappelait GTO (c’est ce qui m’a donné envie de le regarder). Ça semblait au départ être une comédie amoureuse sans prétention mais l’œuvre se transforme rapidement en drame.

Vu ta passion pour les mangas et les animés, t’es-tu penché sur les films d’animation venus d’Asie ?

Bien sûr ! J’ai des enfants, ça me donne une bonne excuse pour voir avec eux énormément de films d’animation que ce soit japonais, américain ou autre. J’ai dernièrement regardé Le Garçon et la Bête. La bande annonce explosive annonçait beaucoup d’action, j’ai été un peu déçu après l’avoir vu mais cela reste un très bon film. Mon fils aîné l’a d’ailleurs adoré.

As-tu un réalisateur fétiche ?

Oui, Jean-Pierre Jeunet. C’est un réalisateur qui me fait ressentir des émotions folles. Le fabuleux destin d’Amélie Poulain est un de mes films préférés. Je suis sorti du cinéma heureux. J’ai rencontré le diable, lui, a réussi à me mettre mal à l’aise. C’est ce que j’ai aimé.

Tu aimes donc le cinéma lorsqu’il te transmet des émotions.

Exactement, Holy Motors par exemple, je l’ai détesté, je suis passé à côté complètement. En revanche, une semaine après, je me ressassais certains passages de celui-ci. Il faut croire qu’il m’a atteint plus que de raison. C’est le passage entre le père et sa fille que je me remémore souvent. Le père découvre que sa fille lui ment, lui parle de punition pour enfin l’achever avec une phrase très difficile à entendre : « Tu es déjà punie, tu dois vivre avec toi-même ». En tant que papa, je trouve que c’est atroce de dire cela à un de ses enfants. Leos Carax a réussi son travail, il m’a fait réfléchir sur son film pendant longtemps parce qu’il m’a touché profondément sans même m’en rendre compte pendant et juste après le visionnage.

Que penses-tu du cinéma américain récent ?

J’ai énormément de mal, ils nous bombardent de films de super-héros, de Transformers avec des scripts écrits en une demi-heure …

Je pense que le cinéma américain est maintenant peuplé de gens qui, il y a 20 ou 30 ans, étaient d’immenses fans de comics, de robots qui parlent et de grosses bagarres. Ils se sont donc dis que les personnes de leur génération, jeunes pères/mères seraient contents d’emmener leurs enfants voir ces héros qui ont fait leur jeunesse. Ce n’est ni plus ni moins que du business. C’est exactement ce que je vis avec la série Flash. C’est nul et mal joué et pourtant je regarde ; parce que je suis fan !

D’un autre côté, on a le cinéma asiatique/français qui a moins de budget, ils doivent donc écrire un vrai scénario pour faire un carton.

Que penses-tu du scandale autour de Ghost In the Shell ?

Ça ne me dérange pas que Scarlett Johansson incarne le personnage principal. Par contre, c’est ce que l’on m’a dit sur le film qui me pose problème. Mes amis m’ont dit qu’ils avaient massacré l’œuvre originale. C’est là où le cinéma américain a un sérieux problème. Entre le remake de Old Boy et celui de Death Note, ils détruisent des œuvres majeures. Et le meurtre de masse n’en finit pas, un deuxième Death Note va être réalisé …

Tu avais dit dans une interview que tu étais intéressé par le cinéma « classique », qu’être acteur te plairait, et tu te mets déjà en scène sur YouTube dans une série PornSoup que tu co-écris avec ta femme.

J’aime « faire l’acteur » même si je sais que je ne suis pas spécialement bon. J’aimerais bien jouer dans un film mais je ne ferai pas de casting ou autre. Je ne veux pas faire l’acteur de porno, une apparition en pleine action en arrière-plan. Faire ce genre de chose, ça ne me sert à rien, c’est jouer mon rôle sans avoir la finalité. Si on me proposait d’être le héros ou un simple personnage de manga ou d’animé, je signerais sans hésiter et sans rémunération, ce serait un rêve d’enfant qui se réaliserait. Ce qui me plairait vraiment, ce serait jouer le vilain, le bad guy, je trouve que ma tête s’y prêterait bien.

C’est d’ailleurs ce que je suis dans un jeu de Point’n’click indépendant français qui sortira prochainement du nom de StarFlint The Blackhole Prophecy. Je doublerai le méchant du jeu. J’en suis très fier, ils m’envoient les dessins de mon personnage, me demandent mon avis, c’est vraiment génial.

 

En parlant de jeux-vidéos, depuis un peu plus d’un an tu es devenu streameur sur la plateforme Twitch. Comment expliques-tu l’incroyable rapidité avec laquelle ta chaîne est devenue célèbre ?

Je pense que la communauté gaming et porn sont très proches, les gameurs passent beaucoup de temps sur leurs ordinateurs et donc arrivent inéluctablement à un moment donné sur des sites pour adulte. Je savais qu’en lançant ma chaîne, j’aurai déjà une petite communauté mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit les Français qui se montrent aussi présents. Je tiens particulièrement à remercier le forum 18-25 de jeuxvideos.com, c’est grâce à eux que ma chaîne est devenue aussi populaire.

Tu as un rapport incroyable avec ta communauté. Tu prends énormément de temps pour répondre à la plupart des questions. Lorsqu’on te demande comment te faire un don, tu répliques qu’ils feraient mieux de le faire lors des Charitables Day que tu organises (Ndlr : Pendant 24 heures Manuel Ferrara avait streamé en présence de guests, tous les dons lors de cette journée étaient reversés à St. Jude Children’s Research Hospital, un établissement basé à Memphis spécialisé dans la recherche et le traitement de maladies infantiles). Tu es un OVNI sur Twitch.

Merci, c’est très gentil. C’est facile pour moi, je gagne très bien ma vie. Je ne stream pas pour l’argent, je le fais pour le plaisir. Certains streameurs font ça pour vivre, on n’est pas sur la même problématique. Je ne mets aucun don dans ma poche. Ils me permettent de payer certains modérateurs et d’autres personnes qui m’ont aidé pour ma chaîne. J’essaie d’utiliser cet argent pour de bonnes causes comme le ZEvent, un marathon de jeux-vidéos organisé pour venir en aide aux sinistrés de l’Ouragan Irma.

Tu organises aussi une radio libre avec un autre célèbre vidéaste/acteur/streameur : Benzaie. Dans celle-ci, tu réponds à des questions de viewers avec un regard très bienveillant, loin du stéréotype que l’on pourrait avoir d’un hardeur.

C’est un peu mon côté « papa ». Ma communauté a en majorité la moitié de mon âge. Il y a un moment pour rire, raconter des anecdotes de mon milieu et un moment où il faut être sérieux. J’ai une responsabilité lorsque je réponds à leurs questions. J’essaie toujours de dire que c’est ma vision aussi, je n’ai pas l’unique solution, l’unique réponse à leurs problèmes. Je trouve aussi que parler de ses soucis de sexe ou relationnels avec le sexe opposé à un acteur de films X délie les langues, ils savent qu’il n’y aura pas de tabou. Je ne reviens pas souvent en France, une ou deux fois par an. La radio libre me permet aussi de discuter avec des Français, de maintenir un lien avec mon pays. Cette année je suis revenu en France pour la Paris Games Week.

Nous demandons à chaque personne que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui l’a particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.

Peux-tu nous parler de ce qui serait ton moment de cinéma ?

Il y en a beaucoup, la première qui me vient en tête est issue du Fabuleux destin d’Amélie Poulain. C’est lorsque Dominique Bretodeau traverse la rue Mouffetard, entend le téléphone de la cabine téléphonique sonner, rentre dedans et y découvre sa boîte contenant ses jouets d’enfance et de vieilles photos. Jean-Pierre Jeunet nous fait vivre l’émotion du personnage, c’est indescriptible. On a tous un objet qu’on a oublié dans un carton, un fond de tiroir et lorsqu’on le retrouve on se souvient d’une époque de notre vie, des moments passés avec cet objet.

Propos recueillis par Antoine Perrissin.