A l’occasion de la sortie en DVD de Grotesque de Shirashi Kôji, East Asia revient sur trois courant du cinéma fantastique japonais récent : le V-Cinéma, la J-horror et la nouvelle deferlante gore. Plongée au coeur des ténébres par Yannik Vanesse.
Si résumer l’histoire récente du cinéma d’horreur japonais relève d’un exploit que n’aurait pas renié Hercule, votre serviteur, suivant les traces de Lou Ferrigno, a relevé trois courants distincts.
Chapitre 1 : Le V-Cinema
Miike Takashi, maître du V-Cinema avant de concourir pour la palme d’or à Cannes
Tout d’abord, intéressons-nous au V-Cinema, équivalent des DTV occidentaux. Mais, si le direct to DVD est souvent considéré comme le petit frère honteux, le mouton noir, en comparaison des films sortant au cinéma, s’il est synonyme de manque de moyens et de talents, cela se passe très différemment au Japon. Chez nous, c’est souvent à tort que l’on regarde de travers un film réservé au marché de la vidéo. Il suffit de regarder le récent Triangle de Christopher Smith (2009) pour s’en convaincre. Au Japon, le V-cinéma est perçu comme un genre aussi digne que le cinéma traditionnel (ce n’est pas pour rien si l’on dit V- « cinéma »)
Tout comme le pinku eiga permit à de nombreux réalisateurs de s’épanouir en se permettant des expérimentations stylistiques et une grande liberté (Wakamatsu Koji est le plus connu en la matière), le V-Cinema laisse très libre les cinéastes œuvrant dans ce genre. Ainsi, l’on retrouve des grands noms du cinéma asiatique, comme Miike Takashi qui, avant d’être sélectionné à Cannes, a livré quelques perles de ce genre, telles que Visitor Q (2001), qui osait aller très loin dans le malsain et l’étrange, ou Gozu (2003), objet filmique abscons et déviant, déversant sexe et sang à la face du spectateur tout en créant une ambiance presque lynchienne.
Ju-On aussi a commencé par être du V-Cinema, avant de devenir The Grudge
Le V-Cinema est aussi l’occasion de « tester » un cinéaste – car les moyens investis sont tout de même moins important que pour un film projeté au cinéma – pour voir ce dont il était capable. Shimizu Takeshi, par exemple, livra deux Ju-On (2000) au V-cinéma, pour surfer sur la réussite commerciale de Ring (1997) (abordé dans la deuxième partie du dossier) avant d’en faire des versions pour grands écrans (en 2000 toujours), suite au succès de ses films. Il reviendra d’ailleurs, après un détour aux Etats-Unis, pour un magnifique Marebito (2004), V-cinéma malsain et dérangeant, plongée étrange et déplaisante dans un univers onirique fascinant.
Ce cinéma compte d’ailleurs ses stars, que ce soit des réalisateurs, ou des acteurs, spécialisés dans le DTV japonais, tels Takeuchi Riki et Aikawa Sho – d’ailleurs réunis pour la trilogie génialement barrée Dead Or Alive (1999, 2000 et 2002) de Miike.
Le V-Cinema permet aussi à certain d’aller aussi loin qu’ils le désirent, offrant des plongées malsaines et craspecs dans les tréfonds de l’horreur, telle la série des Guinea Pig (quatre épisodes de 1985 à 1988), le premier volet essayant même de faire croire à un cinéma snuff. Alors évidemment, dans un tel vivier de liberté, où se côtoient tous les genres cinématographiques, mais où science-fiction et horreur sont les plus présents, on peut croiser le meilleur comme le pire. La créativité côtoie le désir mercantile le plus basique, le sublime croise le plus immonde. Tout n’est pas bon à prendre dans le V-cinéma, mais la liberté créatrice n’a, finalement, pas de prix ! Et dans un pays regorgeant d’otakus et gens évitant de quitter leur chambre ou leur appartement, ce genre de films leur permet d’apprécier le cinéma, sans avoir à affronter la foule…
La liberté n’a pas de prix ! Et ce n’est pas l’héroïne du premier Guinea Pig qui dira l’inverse !
Pour les Occidentaux, qui ne peuvent voir qu’une infime parcelle de ce cinéma, nombre de titres n’étant pas exporté, et pour qui il est souvent difficile de faire la différence entre un véritable produit du V-cinema et un film sorti en Occident en DVD mais distribué au Japon dans les salles obscures, ce V-Cinema est on ne peut plus intéressant et attachant, souvent plein d’une folie et d’une créativité qu’il est parfois difficile de retrouver ailleurs que dans son pays d’origine.
Chapitre 2 : Les fantômes contemporains
Au moment où le cinéma fantastique mondial est à l’agonie, étouffé par les neo-slashers que le succès de Scream (1996) firent débouler sur les écrans avec une frénésie inversement proportionnelle à leur qualité – Souviens-toi l’été dernier 1 et 2 (1997, 1998), Mortelle Saint-Valentin (2001) – arrive du Japon une bouffée d’air frais, une perle dérangeante et effrayante qui hantera longtemps l’esprit des spectateurs. Son nom ? Ring (1997) !!
What’s your favourite Yurei Eiga ?
Alors, évidemment, une histoire de fantôme, de vengeance d’outre-tombe, n’est pas une nouveauté – ni au Japon, ni ailleurs. Le Mystère du Shamisen Hanté, datant de 1938, s’intéressait déjà à cela. Mais l’intelligence de Ring est de réunir la mythologie des fantômes très japonaise, et les dernières technologies. Ainsi, c’est ici grâce à une cassette vidéo, une bonne vieille VHS, que la malédiction se transmet. Les personnes la visionnant meurent 7 jours après l’avoir vu ! Oui, l’idée maîtresse fut de concilier traditions ancestrales et modernité. Ce genre de films, réunit sous le mouvement de J-horror, s’inspire en effet du passé. L’utilisation de la musique comme mécanisme de terreur était déjà présente dans le théâtre kabuki, les mouvements désarticulés des fantômes sont des pas de danses. Mais associer tout cela à un paysage urbain commun et à une technologie usuelle crée une terreur inédite.
Une malédiction qui remonte loin: au moins au Mystère du Shamisen Hanté de… 1938 !
Cependant, Ring, avant d’être un film, est un livre de Suzuki Koji. L’ouvrage s’intéresse surtout à l’enquête sur qui était le fantôme de Sadako de son vivant, comment il peut tuer, et pourquoi il tue ainsi. Nakata Hideo a déjà réalisé un film, Ghost Actress, quand il s’intéresse à cette adaptation. Et il épure cette enquête pour s’intéresser à l’aspect terreur – avec un brio fabuleux, grâce notamment à la musique. Il transforme aussi les personnages principaux. Dans le roman, le héros est un homme, qui va demander de l’aide à un de ses amis, à la personnalité plutôt ambigüe. Chez Nakata, ils deviennent une journaliste et son ex-mari. Cela lui permet, en filigrane, de traiter un sujet cher aux Japonais, la famille !
Cependant, les producteurs japonais sont comme partout ailleurs, avides de profits, et le succès de Ring lança une nouvelle mode, appelé communément la J-Horror, ou parfois, les « films de fantômes de petites filles aux cheveux sales »… Une mode qui eut le même effet que le neo-slasher, c’est à dire provoquer à terme le désintérêt, à cause d’une trop grande répétitivité des scénarios, et de la médiocrité ambiante des films. Les États-Unis, toujours prêts à exploiter un bon filon, n’aidèrent évidemment pas, en remakant à tout va, de même que les autres pays asiatiques qui voulaient aussi avoir leurs films de fantôme ringesque.
Pour Ring 0, Sadako s’est lavé les cheveux…
Mais nous ne nous intéressons ici qu’au Japon… Alors, bien sûr, dans les films qui suivirent le chef d’œuvre qu’est Ring, il y eut d’excellentes choses. Dark Water (2004), de Nakata Hideo aussi, est un fantastique film de terreur, angoissant, dérangeant, et traitant aussi de la famille japonaise. Kurosawa Kyoshi livra l’intriguant et passionnant Kaïro (2001), ainsi que Séance (2000), sympathique téléfilm qui devint un film mondialement distribué. Miike Takashi, abandonnant les délires du V-Cinema, s’assagit un peu pour nous offrir La Mort En Ligne (2003), où un téléphone portable remplace la VHS de Ring. Son film manque certes d’originalité, mais offre des séquences particulièrement terrifiantes – le final est tétanisant ! Shimizu Takeshi eut l’occasion de faire un nombre incalculable de fois le même film, inspiré de Ring, puisqu’il fit deux Ju-On (le nom de la rancœur propre aux spectres) pour le marché du V-Cinema, avant d’offrir deux versions cinéma, puis de remaker tout cela pour le compte des Etats-Unis (là encore deux fois). Même le jeu vidéo s’intéressa aux fantômes japonais, avec deux Projet Zero pour la PS2 – à quand un troisième sur la PS3 ? Des jeux tellement effrayants qu’il était difficile de jouer plus d’une demi-heure d’affilée – rien que d’y penser, votre serviteur en frissonne ! Il y eut aussi des mangas, Ju-On étant adapté en bande dessinées (Ju-On, avec Shimizu Takeshi au scénario et Rinno Miki au dessin), de même, par exemple, que le très célèbre mythe de la femme défigurée qui donna un manga assez effroyable (La Femme Défigurée, de Inuki Kanako)…
Kaïro, les ténèbres vous regardent…
Mais hélas, pour toutes ces réussites, combien de films abominables, ratés, mal faits, juste là pour capitaliser quelques sous ? Ring, déjà, eut une suite en 1998 – incompréhensiblement ratée, puisque toujours signée Nakata Hideo – et une préquelle en 2000, faite par Tsuruta Norio, un tâcheron qui pense qu’il suffit de demander à son actrice principale de porter une robe blanche, de se mettre les cheveux devant le visage et de marcher dans les bois, pour provoquer la terreur. Bien sûr, c’est le ridicule qui s’invite. Cependant, le réalisateur de Ring 0 fut aussi l’homme derrière Histoires vraies (1992), scénarisé par Konata Chiaki, un autre grand nom de la J-horror. Cette série faite pour le V-Cinema a beau être le premier film de la J-horror, elle invite, derrière ses tentatives de nous faire croire qu’il ne s’agit que de reconstruction, le pire du pire du genre : des scènes mal filmées, et mal jouées, en un catalogue de ridicule ou la peur est totalement absente. Mais en effet, Histoires vraies a posé les bases des choses devant être présentes dans ce type de films. Heureusement que les réalisateurs qui suivront ces principes le feront avec bien plus de talent.
Quand ils touchèrent le fond, les scénaristes essayèrent de trouver de l’originalité dans l’objet maudit. Une maison, un téléphone, une VHS, une paire de chaussures… The Wyg (2006), par exemple, qui vient de Corée, nous parlait d’une perruque hantée… Évidemment, aucune qualité du film ne peut enlever le ridicule nanardesque d’un tel postulat… Sur la fin, c’était à se demander quelle idée saugrenue allaient encore inventer les scénaristes… Cependant, avant de s’occuper du mixeur démoniaque, ils partirent vers d’autres horizons, tandis que d’Angleterre venait une nouvelle bouffée d’air frais dans le paysage cinématographique fantastique mondial avec The Descent (2005).
Chapitre 3 : Le retour du gore
Après cette passion pour les fantômes terrifiants, le fantastique japonais fit un revirement pour se jeter dans la violence la plus sauvage ! Évidemment, les films d’horreur énervés ne datent pas d’hier au Japon. Tetsuo, par exemple, remonte à 1988. Mais, après la J-horror, ce fut un phénomène plus généralisé, comme si les réalisateurs étaient énervés de cette mode, ou plus vraisemblablement parce qu’une nouvelle génération de metteurs en scène apparaissait, une génération bien décidé à crier sa colère. Là encore, le phénomène n’est pas nouveau, Wakamatsu Koji n’ayant jamais cessé de hurler sa rage. Cependant, la colère de ces nouveaux réalisateurs est moins politisée, préférant verser dans un grand guignol plus irréaliste, et plus propice aux délires les plus outranciers.
De quoi trancher durablement avec les fantômes de la J-horror
Alors que Tsukamoto Shynia (réalisateur de Tetsuo) est déjà parti vers d’autres genres, un film apparaît sur la scène internationale et marque durablement les esprits. Comme Ring était devenu le porte parole de la J-horror (tout en n’étant pas le film qui avait créé ce genre), c’est Versus (2001) qui amène cette fois-ci ce succès. Ce film, réalisé par Kitamura Ryuhei, offre un mélange décomplexé de combats de sabre, de zombis, de yakuza, le tout dans un style très poseur – style que l’on reverra dans tous les films de son auteur.
Versus : le film qui colore de nouveau le cinéma japonais de rouge sang !
Bien sûr, il ne s’agit pas du premier film gore et décomplexé fait par les Japonais. Si Miike Takashi en a livré un nombre incalculable, Versus offre une sorte de renouveau, qui apporte un succès immédiat à son réalisateur, et lui permet de réaliser des films sensiblement moins violents, mais toujours dans un style très poseur. Cela ouvre la voie à d’autres, comme Meatball Machine en 2005, qui est d’abord un court métrage, transformé en long avec l’ajout d’un scénario. Ce film, racontant la guerre d’extra-terrestres qui prennent le contrôle d’êtres humains et les fait se greffer des morceaux de métal, est un digne rejeton de Tetsuo et offre quelques scènes aussi barrées que gores. Il est co-réalisé par Yamaguchi Yudai, qui avait co-scénarisé Versus. Et, en 2003, Yamaguchi nous amenait déjà un Battlefield Baseball mélangeant base-ball, zombis et scènes de guerre pour un résultat assez hallucinant le rapprochant de Versus.
Le gore japonais des années 2000 : à voir !
Tous ces films dégagent le terrain et nous prépare à la déferlente Sushi Typhoon, qui arrive tout à coup et nous submerge. En effet, Tokyo Gore Police (2008) reprend un peu de Meatball Machine, mais pousse le concept bien plus loin. Le principe de cette boîte de production qu’est Sushi Typhoon est simple. Il combine scénario abracadabrantesque, idées folles, et gore à outrance – et encore, le mot est faible ! Cependant, le résultat est assez effarant, tant il ose tout, et ces pellicules, pleines de flots de sang amusant et outrancier, aux scènes les plus délirantes possibles, sont de véritables bouffées d’air frais.
Shiraishi Kôji : le réalisateur de Grotesque, la boucherie ultime… Et après ?
Grotesque, qui nous arrive aujourd’hui, prend à contrepied cette vague de gore joyeux et poseur. En effet, l’inspiration du film vient plutôt des tortures porn américains, mais poussée à une extrême typiquement japonaise. Avec ce film, son réalisateur, Shiroishi Kôji, ne veut pas que le spectateur s’amuse. Il veut le rendre malade, qu’il soit fasciné et ne puisse détacher les yeux de l’écran. Il cherche à le mettre dans une position de voyeurisme des plus inconfortables. Et il y parvient, allant, dans ce registre, aussi loin que les Sushi Typhoon allaient dans les leur. Reste à découvrir si Grotesque est le précurseur d’une nouvelle tendance, ou s’il restera un cas isolé.
Yannik Vanesse.
Petite chronologie de films à voir
Guinea Pig : 1985
Guinea Pig 2 : 1985
Guinea Pig 3 : 1986
Guinea Pig 4 : 1988
Tetsuo : 1988
Histoires Vraies : 1992
Ring : 1997
Ring 2 : 1998
Dead Or Alive : 1999
Ring 0 : 2000
Dead Or Alive 2 : 2000
Ju-On (Vidéo) : 2000
Ju-On 2 (Vidéo) : 2000
Ju-On : 2000
Ju-On 2 : 2000
Séance : 2000
Versus : 2001
Visitor Q : 2001
Kaïro : 2001
Dead Or Alive 3 : 2002
Gozu : 2003
La Mort en ligne : 2003
Battlefield Baseball : 2003
Marebito : 2004
Dark Water : 2004
Meatball Machine : 2005
Tokyo Gore Police : 2008
Grotesque : 2009