Le 18 octobre débutait la 4ème édition du Festival du Film d’Asie du Sud (FFAST), avec pour particularité le thème du transgressif. Si l’on situe plutôt bien l’Asie du Sud, le terme transgressif nous amène à nous poser quelques questions. Parle-t-on de cinéma transgressif dans la forme ? Ou dans le fond ?
La transgression des thèmes et des tabous.
Le festival s’est ouvert avec Aligarh de Hansal Mehta et en présence de l’acteur Manoj Bajpayee, qui a, par ailleurs, répondu aux questions du public. Le choix de ce film d’ouverture a annoncé le fil rouge de ce festival, qui était celui de la question sociale. Injustices, inégalités, mentalités… Les réalisateurs de cette édition dénoncent. Que cela soit la place des femmes et leur désir d’émancipation (Kothanodi de Bashkar Hazarika, Under Construction de Rubaiyat Hossain), la suppression des libertés (Song of Lahore de Sharmeen Obaid-Chinoy et Andy Schocken), la justice indienne (Aligarh, Joker de Raju Murugan) ou même la modernisation à double vitesse (Television de Mostofa Sarwar Farooki). Les réalisateurs, pour beaucoup au commencement de leur carrière, s’échinent à dénoncer une société où l’individu dans toute sa singularité ne trouve pas sa place. C’est donc bel et bien la première transgression de ces films. Dans l’industrie bollywoodienne où les scènes de danses et chants aux chorégraphies collectives et les personnages stéréotypés font foi, l’individualité et la singularité des personnages des films au programme du FFAST révèlent une facette du cinéma de l’Asie du Sud peu connue en France. Si en tant que spectateur tout à fait lambda, certaines problématiques peuvent sembler incompréhensibles sans une connaissance préalable des situations politiques des pays en question, ce n’est pas tant le cas dans cette sélection résolument accessible à tous.
C’est l’une des grandes réussites du FFAST, de promouvoir en France des films, notamment indiens, autres qu’originaires de l’industrie bollywoodienne, et de prouver qu’ils peuvent trouver leur public dans nos salles obscures.
La transgression dans la forme et les genres
Pour les spectateurs habitués aux grand films Bollywood, les codes du genre sont rapidement assimilés. Difficile de dépasser ce type de stéréotypes et d’imaginer un autre genre de cinéma en Inde ou au Bangladesh (pays mis à l’honneur cette année). Et pourtant, aucun des films projetés lors du FFAST ne présentaient les codes de Bollywood. Under Construction met en scène un Bangladesh fragile, tant dans son architecture que dans son désir de modernité. Aucune musique n’accompagne le cheminement de Roya vers son émancipation, mais une scène de sexe suggestive aussi bien visuellement qu’auditivement. Si nous ne parlons pas de transgressions ici…
Mais c’est certainement dans la transgression des genres que les réalisateurs semblent vouloir délivrer leur message final. Joker, le film de clôture, en est l’exemple le plus extrême, (l’excellent Television de Mostofa Sarwar Farooki est par ailleurs plus subtil). Ainsi, si pendant les vingt premières minutes, le film joue la carte du burlesque jusqu’à l’épuiser (tout en visant de manière très juste les institutions qu’il attaque), ce n’est que pour mieux servir la véritable nature du film : un drame résolument social. Ce film régional (le seul film tamoul de la sélection) passe très habilement d’un genre à l’autre, burlesque, romantisme puis drame. Et c’est là par ailleurs la réussite de ce dernier, on ne pénètre que plus profondément dans le drame humain qui se joue devant nous et la critique du système indien n’en est que plus fort. Television prend également ce parti pris, quoi qu’avec une forme plus subtile.
Cette 4ème édition semble se présenter comme une année charnière dans l’avenir du festival puisqu’il a par ailleurs trouvé son public. Bien qu’il soit difficile de représenter une industrie aussi vaste que celle d’Asie du Sud, voire impossible dans un temps imparti si court, le FFAST a simplement pris le parti de présenter un focus sur un pays ou une région (le Bangladesh cette année).
Nous aurions aimé en découvrir bien plus, mais le festival n’en est encore qu’à ses débuts et il n’y a pas à douter qu’il est amené à s’étendre dans les années à venir, aussi bien dans le temps que géographiquement. Si certaines séances furent organisées au Blanc-Mesnil, peut-être que d’autres villes pourront avoir ce privilège dans quelques années.
A noter également la nuit In the bed with SRK, une nuit spéciale sur l’acteur vedette de Bollywood Shah Rukh Khan, véritable vent de fraîcheur dans cette programmation 2016 et qui nous a replongés dans un Bollywood plus classique mais largement apprécié par les spectateurs du FFAST et de nombreux fans du genre.
FFAST 2016, c’est fini depuis une semaine maintenant. Le festival a permis à beaucoup de films d’avoir l’occasion d’être projetés en France. Peut-être la seule occasion. La qualité de la programmation en fera, à n’en pas douter, un rendez-vous incontournable pour les spectateurs amateurs du genre et pour ceux qui souhaitent simplement découvrir ces cinémas.
Amandine Vatinet