Troisième film du réalisateur Kim Seong-hoon, que nous avons découvert en 2014 à Cannes avec l’hilarant Hard Day, Tunnel, avec son casting ravageur, a attiré plus de 7 millions de spectateurs en Corée. Film catastrophe, Tunnel l’est, à n’en pas douter, avec ses qualités et ses défauts. Mais il est bien plus que ça, ce qui en a fait le candidat idéal pour ouvrir la 11e édition du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP).
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Tunnel était l’un des films les plus attendus de cette nouvelle édition du FFCP. Tout d’abord parce qu’on aime son réalisateur, Kim Seong-hoon, qui nous avait bluffés avec Hard Day, mais aussi parce que son casting avait tout pour plaire : Ha Jung-woo qui, débutant dans des films d’auteur chez Kim Ki-duk et Hong Sang-soo, a vu son succès grandir petit à petit pour finir dans Mademoiselle de Park Chan-wook, la charmante Bae Doona, capable d’enchaîner le blockbuster américain Cloud Atlas et le film indépendant coréen A Girl at My Door, et Oh Dal-su, l’éternel second rôle sans qui la moitié des films coréens n’aurait pu être tournée.
Comme tout film catastrophe qui se respecte, le synopsis de Tunnel tient sur un post-it. Adapté d’un roman coréen de 2013, le film suit Lee Jung-soo, interprété par Ha Jung-woo, en route pour l’anniversaire de sa fille quand le tunnel qu’il traverse s’effondre. Le voilà coincé sous une montagne de béton et de terre, avec des secouristes peu préparés à une telle situation et un emballement médiatique prêt à dérailler. Avec peu de vivres à disposition, Jung-soo va devoir lutter pour survivre.
Le cinéma catastrophe est un genre assez peu exploité en Corée. Les rares exemples que l’on peut avoir en tête sont The Last Day réalisé en 2009 par Yoon Je-kyoon ou encore The Tower de Kim Ji-hoon qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à des films américains. Tunnel est bien différent de ces films cités et des films catastrophe en règle générale. Evidemment, les ficelles (voire les câbles) habituelles au genre sont bien présentes. Le personnage de Lee Jung-soo se retrouve coincé avec seulement deux petites bouteilles d’eau et un gâteau d’anniversaire comme vivres. Heureusement, son téléphone portable capte le réseau (ça, c’est la magie de la 4G en Corée) et il a accès à une chaîne de radio dans sa voiture. Tout ceci lui permet de contacter les secours ainsi que sa femme. Mais forcément, l’opération de sauvetage ne se déroule pas comme prévu et notre héros passe de nombreux jours sous terre. Décrit comme cela, le film ne sent pas l’originalité à plein nez mais comment réaliser un film catastrophe sans ficelles ? C’est quasiment impossible. Le réalisateur Kim Seong-hoon s’enfonce donc allègrement dans le film catastrophe : les équipes de secours sont un peu neuneu à l’exception du personnage interprété par Oh Dal-su qui a un peu plus de jugeote et de morale que les autres, les journalistes s’engouffrent dans les moindres recoins, les constructeurs du tunnel en question sont de mauvaise foi et, bien sûr, les hommes politiques en profitent pour faire leur publicité. Dans Tunnel, tout le monde en prend pour son grade. Le film ayant été tourné à la même période que la catastrophe du ferry Sewol, qui a causé la mort de plus de 300 personnes, il est difficile de ne pas faire le parallèle. Pour autant, la dénonciation du pouvoir politique, des journalistes et de la désorganisation de la police et des secours est monnaie courante dans le cinéma coréen, même avant 2014 et la catastrophe du Sewol. Il n’est donc pas étonnant d’être confronté à cela dans un film catastrophe, et c’est même plutôt logique.
Pourtant, Tunnel se détache du film catastrophe lambda. Tout d’abord, Kim Seong-hoon a fait le choix, judicieux quoique surprenant, de rentrer dans le vif du sujet après seulement quelques minutes de film. Le personnage principal n’est donc pas caractérisé : l’on sait seulement qu’il est père de famille et qu’il travaille chez Kia Motors. Ha Jung-woo interprète un Monsieur Tout Le Monde, que l’on pourrait croiser dans la rue. Ce qui lui arrive pourrait arriver à n’importe qui. En outre, point d’explosions toutes les 15min dans Tunnel : on peut même dire que le réalisateur a été assez économe sur les effets visuels. Le cinéaste a également tenu à reconstituer un tunnel en éboulement pour filmer son personnage principal. Les lumières utilisées ne sont que celles de la voiture ou du téléphone portable et les jeux de caméra restituent à la perfection l’étouffement et la claustrophobie que quiconque pourrait ressentir dans telle situation. Le coup de force de Tunnel est de réussir à susciter de l’empathie, petit à petit, pour un personnage qui ne se débat pas continuellement contre des éboulements et, surtout, que le spectateur ne connaît pas. En un peu plus de 2h, Jung-soo se dévoile peu à peu alors qu’il est dans une situation plus que délicate. Son évolution suit le déroulement de son éventuelle évacuation. Jung-soo, quoique fort sonné, reste optimiste au début. Le cinéaste montre cette légèreté par des touches d’humour, qu’on lui connaissait déjà dans Hard Day. Ce n’est que peu à peu que le personnage principal sombre dans le désespoir, à mesure que le temps passe et que son sauvetage semble abandonné par les autorités. Pourtant, l’humour semble toujours présent, comme pour éviter de transformer le film catastrophe en drama dégoulinant de pathos. L’humour n’est pas cantonné au tunnel mais se propage également à l’extérieur, où les équipes de secours, les autorités politiques et les journalistes se démènent (ou pas) pour sauver le personnage principal. A l’instar de cette scène hilarante mais aussi très caustique où les secours utilisent un drone pour s’infiltrer dans le tunnel encombré. Les journalistes ne sont pas en reste puisqu’ils ont tous leur propre drone, ce qui déclenche, forcément, un beau carambolage d’appareils volants.
Tunnel est un vrai film catastrophe, souvent très drôle, mais aussi assez émouvant – ce qui n’était pas gagné. Evidemment, le spectateur s’attache en priorité au personnage principal, coincé bien malgré lui donc un tunnel, mais aussi de tout son environnement qui, lui, attend à l’extérieur. Bae Doona, qui interprète l’épouse de Jung-soo, tient le rôle tout en retenue. On pourrait penser ce personnage en retrait et, pourtant, il n’en est rien. L’épouse de Jung-woo est un personnage fort, une sorte de pilier sur lequel s’appuie son époux. L’émotion ne déborde pas mais est bien présente. Le réalisateur évite certains écueils fort appréciés dans les films catastrophe. Ainsi, le rôle de la petite fille de Jung-soo est très secondaire puisqu’on ne voit la petite que quelques secondes. Les rares larmes vues dans le film paraissent donc sincères et non pas surjouées. Le chef de l’équipe de secours, interprété par Oh Dal-su, permet également de faire resurgir l’émotion à l’extérieur du tunnel. En effet, malgré les blocages politiques et la décision prise par l’épouse du héros d’arrêter l’opération de sauvetage afin de pouvoir préserver d’autres vies, il se bat jusqu’au bout pour permettre à Jung-soo de sortir vivant. Le personnage est parfois un peu caricatural car il représente la seule issue de sortie possible mais il est traité intelligemment et on pardonne rapidement les petits défauts inhérents à son rôle.
Tunnel est un très bon divertissement, comme savent le faire les Coréens. Du film catastrophe de base à grosses ficelles, Tunnel évolue rapidement vers un film plus protéiforme et ne se cantonne pas dans son genre. Certes, ce n’est pas le coup de cœur qui nous avions eu pour Hard Day mais Kim Seong-hoon nous montre une fois de plus qu’il maîtrise sa réalisation et qu’il y apporte sa touche personnelle : de l’humour et de l’émotion.
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Elvire Rémand.
Tunnel de Kim Seong-hoon, présenté au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) 2016. Sortie française le 3 mai 2017.