Après avoir mis en lumière la vie de Shahid Azmi, un avocat des droits de l’Homme dans Shahid, le réalisateur Hansal Mehta revient avec un autre sujet sensible en Inde, celui de l’homosexualité dans Aligarh, film d’ouverture du Festival du Film d’Asie du Sud (FFAST).
L’histoire vraie d’un professeur de l’université d’Aligarh filmé dans son appartement en compagnie d’un autre homme en 2009. Renvoyé de l’université pour homosexualité, le professeur Siras devra alors entrer dans un combat à la fois personnel mais également dans celui qui se joue entre l’Inde conservatrice et l’Inde moderne.
De nouveau accompagné du jeune acteur Rajkummar Rao, Hansal Mehta met en scène l’histoire vraie du professeur Siras, exclu de son université suite à l’intrusion de deux individus dans son domicile l’ayant filmé en compagnie d’un autre homme. Manoj Bajpayee, vieilli pour le rôle, interprète le professeur Siras dont l’histoire se situe pourtant dans une période d’avancée dans l’histoire des couples homosexuels. En 2009, la Cour Suprême d’Inde abroge une loi vieille datant de 1860, la section 377. Cette loi considérait alors les couples homosexuels comme étant contre nature et par conséquent juridiquement punissables d’emprisonnement. Le professeur Siras, dont l’exclusion a eu lieu en 2010, est censé être alors dans son droit le plus total. Mais on ne brise pas un tabou vieux de 153 ans du jour au lendemain. Dans une mise en scène simple, Hansal Mehta s’attarde sur le destin tragique du professeur Siras, ce professeur qui refuse lui même le mot « gay », jugeant que nommer ses sentiments revient à les rabaisser.
« Comment quelqu’un peut-il décrire mes sentiments en trois lettres ? »
C’est en cela que Hansal Mehta parvient à toucher la subtilité du personnage. Ce n’est pas l’avocat qui défend avec ferveur la Constitution, ni celui de la défense qui tend à prouver que le professeur n’est qu’un être sans morale que le réalisateur filme, mais bel et bien le professeur s’ennuyant fermement, lisant de la poésie et s’endormant durant le procès. Le combat pour les droits des homosexuels reste au second plan, tout comme celui de ses détracteurs, à l’image comme du point de vue du scénario. Les quelques longueurs de cette mise en scène, essentiellement tournée autour des sentiments de son personnage, sont néanmoins rapidement atténuées par la maîtrise des détails et de la subtilité du sujet. L’exemple le plus frappant restant les déménagements du professeur et le nombre décroissant de verrous à ses portes, détails trahissant sa déchéance sociale, ou bien le jeu de lumière présent dans la première scène et dont nous saisirons le sens bien plus tard. Ce sont ces détails et des séquences particulièrement bien maîtrisées (comme celle du chant lors de la soirée à laquelle assiste le professeur Siras) qui permettent d’échapper à une certaine forme de passivité qui menace plusieurs fois le film – risque réellement présent puisque Hansal Mehta ne s’attarde que sur le personnage principal, lui-même passif. En cela, la présence du jeune Deepu (interprété par Rajkummar Rao) représente en elle-même l’un des atouts majeurs du film ; actif et dynamique, il est l’antithèse même de Ramchandra Siras. Bien que son rôle s’avère rapidement peu utile à l’avancement même de l’histoire, l’alchimie entre les personnages permet au spectateur de mieux saisir l’ampleur du traumatisme que le professeur Siras a connu lors de cette fameuse nuit.
Cette nuit qui est le point départ de Aligarh se présente comme un réel enjeu visuel. Comment représenter une sexualité encore tabou, inscrite de nouveau depuis 2013 dans la Constitution comme étant contre nature et passible d’emprisonnement ? Le sujet du film lui-même transgresse ce tabou. L’ambiguïté quant à ce qui s’est réellement passé durant la nuit perdure durant la majorité du film, les différents protagonistes ne se contentant que de parler d’un acte « immoral » ou d’une sexualité « dangereuse ». Plusieurs flash-backs, accompagnés des différents récits que le professeur fait à Deepu, nous représentent une partie du puzzle. Hansal Mehta finira pourtant par filmer deux hommes presque nus allongés l’un à côté de l’autre, le plan serré sur les deux acteurs suggérant suffisamment leur intimité, les baisers échangés finissent par se deviner dans le flou de l’image.
Si le réalisateur n’explicite pas le rôle du compagnon du professeur, il suggère via le personnage de Deepu son implication dans le piège qui lui fut tendu. Cependant, aucune des interrogations soulevées sur un prétendu piège ne trouvera de réelles réponses, Siras se contentant de rester totalement impassible face à ces suggestions. De nombreuses pistes sur le piège tendu à Siras sont émises, sans qu’aucune ne soit exploitée. Si cela se présente d’abord comme un point faible, il est rapidement évident que ce choix n’est au service que d’une seule et unique chose : la proximité entre le spectateur et le professeur Siras. Ce dernier ne cherchant nullement à déterminer le véritable coupable, suggérant même qu’il le sait déjà, mais là n’est pas son intérêt et par conséquent celui du spectateur non plus.
Si Aligarh aurait mérité de laisser une part plus importante au personnage de Deepu, véritable vent de modernité et de fraîcheur, il parvient au travers d’une mise en scène épurée et centrée sur l’homme – le film ne s’embarrasse pas de longs plans sur les paysages d’Inde – à transmettre la détresse silencieuse d’un homme. Professeur de la troisième université d’Inde, cet homme que Manoj Bajpayee décrit lui-même comme « profondément bon » vit un écroulement social avec une dignité sans faille que Hansal Mehta capture avec subtilité. Sans oublier, grâce à un second plan esthétique et dramatique, de décrire une Inde évoluant à deux vitesses.
Si Manoj Bajpayee se défend d’un quelconque militantisme au travers de ce rôle, le professeur Siras est une victime prise entre ces deux Inde, lui qui ne cesse dans un calme olympien de déclarer qu’il ne se sent défenseur de rien et ne souhaite que lire de la poésie et aimer, sans avoir de mot à mettre sur cet amour.
En 2013, la Cour Suprême indienne réinstaure l’article 377 et l’homosexualité devient de nouveau jugée contre nature et passible d’emprisonnement. Aligarh n’est sorti que dans 250 salles en Inde et fut censuré dès la bande-annonce. Si Manoj Bajpayee annonce qu’il fut considéré comme le meilleur film indien de l’année, il explique que peu de spectateurs se sont présentés en salle par la peur d’être associé à la communauté LGBT (le film I AM de Onir avait connu la même problématique). Des spectateurs qui cependant évoluent « lentement mais sûrement », assure-t-il. Et en vue de l’histoire, réelle, du professeur Siras, nous espérons avec lui.
Amandine Vatinet
Aligarh de Hansal Mehta, Inde, 2015. Film d’ouverture de la 4ème édition du FFAST.
Afin de mieux saisir les enjeux du cinéma indépendant indien et les difficultés rencontrées lorsqu’un sujet comme l’homosexualité est traité, nous vous invitons à lire l’entretien de Victor Lopez avec Onir, le réalisateur de I AM.