Offrons-nous une petite plongée dans l’univers d’Apichatpong Weerasethakul avec son premier long métrage, Mysterious Object At Noon, introduction parfaite au cinéma du plus célèbre des réalisateurs venus de Thaïlande et qui nous arrive en salles le 27 janvier 2016.
L’image est en noir et blanc, une voiture prend la route, on entend une histoire d’un amant éconduit, le bruit de la ville. Puis on découvre que cette voiture est celle d’un vendeur de poisson itinérant. Dans cette introduction réside déjà le pouvoir évocateur du cinéma de Weerasethakul : on imagine plusieurs situations, plusieurs histoires, on se laisse bercer par les sons, les sensations, et la réalité n’est pas toujours celle qu’on croit.
Le cinéaste travaille ici sur le récit oral, jouant avec le modèle du cadavre exquis. Dans un noir et blanc sale, armé de sa caméra 16mm, il rencontre plusieurs personnes à qui il demande de continuer l’histoire entamée précédemment.
Dès la première intervenante, les intentions de Weerasethakul deviennent claires : il veut travailler l’histoire, mêler la réalité et le mythe. Quand le réalisateur hors champ demande à la femme si elle n’a pas une autre histoire à raconter, elle répond : « Réelle ou celle d’un roman ? ». Ces hommes et femmes, bien ancrés dans une réalité sociale parfois effrayante, deviennent peu à peu des figures presque mythologiques.
Les intentions du cinéaste pourtant se brouillent autant que le récit. Entre les interviews, il filme des histoires mises en scènes. Fiction, réalité, légendes, surnaturel, on ne sait plus du tout. Weerasethakul parle de la Thaïlande, comme il l’a toujours fait par la suite, à sa façon. Il arrive à donner corps au film en faisant fi de la logique cinématographique. Il déconstruit, entremêle les réalités dans un ballet à la fois dur et sensuel.
Le mystérieux objet a plusieurs formes. C’est d’abord évidemment le récit, le cœur même du long métrage qui prend forme au fur et à mesure. Mais c’est également le film en lui-même, ne répondant à aucun critère.
La caméra demeure en outre bien mystérieuse et intriguante pour certains des intervenants. Ils jouent, rient, comme cette femme qui enfile des lunettes de soleil, pleurent. Un objet qui provoque et véhicule une émotion indescriptible.
Avec cette caméra, ce drôle d’objet, Weerasethakul travaille la matière cinéma. La déforme, l’étire, lui donnant un aspect protéiforme comme personne. Le travail du cinéaste thaïlandais est passionnant et ce premier long s’inscrit déjà dans cette veine. On ne se lasse pas des digressions visuelles et sonores, du jeu sur le récit, de cette âpreté et cette douceur qui se mélangent.
On s’y plonge, encore et toujours, dans ce mystérieux objet qu’est le cinéma d’Apichatpong Weerasethakul.
Jérémy Coifman.
Mysterious Object At Noon, en salles à partir du 27/01/2016