Si la pauvre littéralité du titre, Les Femmes de mes amis, reflète mal l’indicible décalage de l’œuvre d’Hong Sang-soo, que traduit mieux l’international Like You Know It All, c’est intact que l’on retrouve l’univers singulier du cinéaste, alors que le film sort en DVD grâce aux bons soins de Survivance, cinq ans après sa distribution en salles en 2010.
La sortie vidéo des Femmes de mes amis tombe à pic. Alors que le cinéma de Hong Sang-soo se faisait ces dernières années plus féminin (In Another Country, Haewon et les hommes, Our Suhni), et plus tendre avec ses personnages masculins (Hill Of Freedom), il vient nous rappeler à quelques mois de la sortie d’Un jour avec, un jour sans la cruauté sans pareil, presque masochiste, de son œuvre. Les deux films partagent d’ailleurs beaucoup de choses, dont cette manière unique de se rebooter en leurs milieux pour montrer (presque) le même film au spectateur. Dans Les Femmes de mes amis, ce sont cependant les similitudes entre la première et la seconde partie que va chercher le spectateur, alors que dans Un jour avec, un jour sans, ce sont les différences entre deux propositions identiques qu’il va guetter. Mais surtout, les deux films, pour le plus grand bonheur des admirateurs du cinéaste (et certainement, peut-on imaginer, le malheur de ses détracteurs) répètent les figures connues des précédents films, et en travaillent les motifs de manière presque archétypale.
On y retrouve comme à l’accoutumée le récit de voyage, souvent, comme ici, d’un cinéaste, dans une province de son pays, au sein de laquelle il va se perdre dans son quotidien. Pas d’effet grandiloquent dans ce passage d’un hyperréalisme désœuvré (les personnages ne font en effet pas grand chose, si ce n’est boire énormément, et discuter un peu…) à un surréalisme flou. L’impression d’indécidable étrangeté et d’évaporation de la réalité vient dans le cinéma de Hong d’une minutieuse scrutation du réel, et d’un jeu répétitif, au sein duquel les actions se font bizarrement échos au point de perdre leur substance, grace à cette structure en deux parties miroirs.
On retrouve tout cela ici, traduit de manière exemplaire dans une mise en scène donnant une impression de liberté millimétrée. Il faut voir ces plans d’une durée élancée, filmant une discussion frontalement et souvent en temps réel, pour soudain quitter le lieu du discours (on ne peut pas vraiment parler d’action ici) et aller se focaliser sur un détail annexe (une chenille, un couple nageant dans une piscine…) a priori sans rapport avec le reste, mais lui donnant une signification nouvelle, puis revenir au point initial pour mesurer la méticuleuse construction formelle à l’œuvre.
Au plaisir de retrouver cette musicalité unique, mélange de quotidienneté surréaliste, de légère trivialité, de naïveté et de cruauté, s’ajoute ici une auto-ironie distante, qui se concentre sur le personnage lâche et envieux du cinéaste du film. Mais contrairement à l’indécision qui anime ce double négatif et fictionnel de Hong Sang-soo, rêvant de faire un film pour 2 millions de personnes et de normalité, on peut être sûr en voyant le film que son auteur sait parfaitement où il va et ce qu’il fait, et qu’il n’est pas prêt à brader la délicieuse radicalité de son cinéma.
En complément de sa belle édition, Survivance nous propose de poursuivre le voyage grâce à un livret fort didactique de Damien Lefebvre, et surtout grâce au court-métrage (30 minutes) Lost In The Moutain. Il s’agit en fait du segment réalisé par Hong Sang-soo pour l’omnibus Visitors, le film produit par le festival de Jeonju en 2009 (c’est Lav Diaz et Kawase Naomi qui avaient signé les autres parties de ce Jeonju Digital Project 2009 – un très bon cru).
Victor Lopez.
Les Femmes de mes amis de Hong Sang-soo. 2010. Corée. Disponible en DVD, édité par Survivance.