Dans le cadre du cycle Séoul Hypnotique a été organisée une carte blanche à Lee Yong-kwan, directeur du Festival international du film de Busan (BIFF). Parmi les films sélectionnés était projeté I Came From Busan du cinéaste indépendant Jeon Soo-il, plus connu en France pour ses films La petite Fille de la terre noire, Entre chiens et loups et Pink. L’occasion de lui poser quelques questions sur son œuvre et parler plus en détail du film qu’il est venu présenter au Forum des images. Ayant fait ses études de cinéma à Paris, il a tenu à faire cet entretien en français.
Pouvez-vous brièvement vous présenter et nous raconter votre parcours ?
Après mes études de cinéma en Corée, je suis parti en France. J’ai été motivé par ce voyage suite à ma découverte des films de la Nouvelle Vague grâce à l’Alliance Française qui projetait les films à l’université. Je suis arrivé à Paris et j’ai intégré l’ESRA (École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle) qui se trouve dans le 15ème arrondissement. J’ai travaillé sur pas mal de films, souvent en tant que chef opérateur. Mon cursus terminé, j’ai poursuivi mes études à Paris VII, et le sujet de ma thèse traitait du travail de l’image dans le cinéma d’Andreï Tarkovski, réalisateur qui me fascinait à l’époque. De retour en Corée, j’ai démarché les studios pour réaliser mes films, mais ils n’étaient pas intéressés par de tels projets, préférant produire des films à grands spectacle ou des mélodrames, genre très prisé chez nous. Je souhaitais réaliser des films d’auteur. J’ai commencé alors comme assistant réalisateur sur des films commerciaux. J’ai par la suite créé ma société de production dans ma ville, Busan. J’ai produit et réalisé mes films. Je viens de terminer mon dixième film (A Korean in Paris) qui se déroule entièrement en France. Quatre de mes films ont été distribués chez vous ainsi que deux de mes coproductions.
Est-ce si difficile d’auto-produire des films d’auteur en Corée ?
J’ai d’abord commencé par emprunter de l’argent à la banque. Parfois, il m’arrive de bénéficier des aides de la région, que ce soit de Busan ou Séoul. La KOFIC (équivalent du CNC en Corée NDLR) a un système d’aide au financement. Et une partie de mon budget est financée par l’organisme qui vend les droits de diffusion pour la télévision, internet, supports numériques etc… Ils investissent aussi dans les films.
Parmi mes films récents, certains tels que Pink ont été en partie financés par le studio CJ Entertainment via son label indépendant Arthouse. Sinon je coproduis aussi des films avec la France et la Chine.
Comment est née l’histoire de I Came From Busan ?
Au départ, je souhaitais tourner le film en France. Je voulais raconter l’histoire d’une jeune femme d’origine coréenne qui a grandi au sein d’une famille d’adoption française et qui retourne dans son pays d’origine pour retrouver ses parents biologiques. Il y a quelques années, cela a été un véritable phénomène en Corée. Toute une génération d’enfants sont rentrés à la recherche de leurs racines. Cela fut très médiatisé à l’époque. Aujourd’hui, on en parle moins. Pour mon film, j’ai finalement décidé de prendre le problème à l’envers et de raconter l’histoire d’une adolescente qui abandonne son enfant, des conséquences d’une telle décision et son combat pour retrouver la famille adoptive française.
Pourquoi avoir choisi pour cadre du film ce quartier portuaire à l’abandon ?
Il s’agit d’un endroit spécial et authentique. L’île de Yeong est un lieu historique où, à la sortie de la guerre de Corée, les familles séparées par le conflit pouvaient se retrouver. L’île a conservé le mode de vie populaire de la ville de Busan. Aujourd’hui tout a été rasé pour reconstruire des appartements et ériger une ville nouvelle. Elle a conservé l’activité portuaire et s’apparente beaucoup à la ville de Busan qui se trouve juste en face. Je voulais montrer, au travers du personnage de In-hwa, le quotidien des jeunes qui naviguent entre violence et prostitution des adolescentes. Sur le port, on peut voir les ados qui fument de la drogue, un peu de délinquance. Cet endroit décrit dans le film, sous le pont de Yeong, est à l’abandon et reflète bien l’état de marginalité des personnages.
La notion de souvenirs est très présente dans votre cinéma, elle vient souvent hanter vos personnages. Que souhaitez-vous exprimer ainsi ?
Raconter le présent des personnages n’est pas suffisant. J’utilise les souvenirs pour enrichir le profil psychologique de mes personnages. Dans I Came From Busan, on suppose que le personnage principal a été abandonné, et qu’il a peut-être été élevé dans un orphelinat. C’est une façon pour moi de distiller dans le récit un petit supplément d’informations.
Le thème du déracinement revient souvent dans vos films, pourquoi ?
En effet, dans Entre chiens et loups, il y a cet homme qui a perdu sa sœur. J’aime bien raconter mes histoires autour d’un lieu, d’un espace. Qu’il soit présent, perdu, ou détruit, il existe toujours un lien tangible avec le personnage. Cela fait partie de son identité. Il s’agit souvent d’histoires de personnages à la recherche de leurs racines.
Dans Pink, par exemple, le film a lieu dans un village en voie de reconstruction. Les habitations sont insalubres et les derniers occupants doivent déménager. Malgré cela, les personnages veulent rester chez eux envers et contre tout. Ils ne veulent pas quitter leurs racines. C’est un sujet qui me préoccupe beaucoup.
Dans I Came From Busan, une bonne partie du film repose sur les frêles épaules de votre jeune actrice Park Ha-seon. Comment l’avez-vous découverte ? Et comment s’est déroulé le tournage avec elle ?
Elle est devenue célèbre maintenant (rires). Elle a presque débuté au cinéma avec moi. Elle avait gagné un peu d’expérience en jouant dans des dramas et au théâtre. Je l’ai découverte grâce au casting, sa performance m’a convaincu, je l’ai engagée sur mon film.
Comment abordez-vous votre mise en scène ?
Je ne complète pas le scénario avec un traitement. Je cherche d’abord les lieux de tournage. J’aime faire durer les plans et voir comment les paysages, les décors s’inscrivent et influencent les personnages dans le cadre. J’aime les plans latéraux, filmer de profil. J’aime aussi filmer les espaces vides, les scènes qui se déroulent hors champs et jouer avec les sons et la façon dont ils interagissent avec les personnages. J’accorde beaucoup d’importance non seulement aux lieux mais aussi à la lumière et à la colorimétrie de mes images. J’aime contrôler la palette de couleurs de mes films, je travaille beaucoup l’image à l’étalonnage, je fais ressortir une dominante, dé-sature l’image et je diminue les couleurs vives à l’écran. J’emploie la caméra à l’épaule pour accentuer le sentiment d’hésitation des personnages.
Pouvez-vous nous parler de votre dernier film A Korean in Paris ?
Je l’ai entièrement tourné en France. L’histoire se situe entre Paris, Marseille et la Côte d’Azur. Quand j’étais étudiant, j’ai entendu l’histoire d’un couple coréen venu en France pour leur lune de miel et, durant le séjour, la jeune épouse a mystérieusement disparu. Le mari a fini par la retrouver un an plus tard à Marseille. Je me suis inspiré de ce fais divers pour en faire une fiction. Je m’intéresse au personnage de cet homme qui a perdu sa femme et qui enquête pour la retrouver. Je montre Paris suivant le point de vue d’un personnage étranger dont la vie a été bouleversée par un coup du destin. Je m’intéresse à la façon dont il va surmonter cette épreuve.
Propos recueillis le 17/10/2015 à Paris par Martin Debat.
Photos : Cinémacoréen.fr.
Merci à Diana Odile Lestage.
I Came From Busan fut projeté dans le cadre du cycle Séoul Hypnotique en octobre 2015. Les films Pink et Entre chiens et loups sont édités en DVD chez Les films du paradoxe.