FICA 2015 : A CAPPELLA DE LEE SU-JIN (Tenir en haleine)

Posté le 7 février 2015 par

Bête de festival, où il est adulé par les plus grands (dont Martin Scorsese, qui lui a décerné L’Étoile d’or au Festival international du film de Marrakech 2013), A Cappella, premier film âpre et sensible de Lee Su-jin revient au FICA de Vesoul.

Après A Girl At My Door de July Jung, également visible au FICA 2015, arrive un autre exemple du jeune cinéma d’auteur coréen avec A Cappella. À l’image de celui de July Jung,  Shin Su-won (Suneung) ou Yoon Sung-hyun (La Frappe), le cinéma de Lee Su-jin travaille un réalisme social, décrivant les dérives d’une Corée inhumaine en abordant de front des sujets tabous. On reconnait une petite musique qui depuis quelques années sonne familière aux oreilles des amateurs de cinéma coréen tant dans le fond que dans la forme, mélangeant un style documentaire avec des éléments de films de genre et privilégiant la figure du flash-back. Sauf que A Cappella n’est pas que l’exemple attendu, le porte-drapeau d’un mouvement repérable en tant que meilleur élève appliqué ayant reçu de bonnes notes en festival : il s’affirme, à l’image de La Frappe avant lui, comme une œuvre avant tout singulière, qui tire sa force en dépassant les lieux communs qui la relie aux films de réalisateurs de la même génération par un travail subtil sur la mise en scène et une tonalité tout à fait originale.

A Cappella affiche

Si A Cappella arrive à imposer sa propre musique et à se faire entendre bien au-delà des autres, c’est tout d’abord par son travail sur le son. Le plan liminaire d’un premier film est toujours significatif de l’orientation générale de l’œuvre. C’est ici un écran noir qui ouvre l’intrigue. Pas d’image, mais une sonorité violente, comme le bruit d’une agrafeuse amplifiée, accueille mystérieusement le spectateur. Un son qui reviendra hanter le film et dont on découvrira la signification que bien plus tard, donnant une force dramatique a posteriori à cette ouverture. Plus tard, par le chant et la musique, la bande-son saura se faire plus élégiaque, apaisante, symbole du parcours du personnage. Mais quand le danger affleure, c’est d’abord par l’ambiance sonore qui sait se faire oppressante que l’on ressentira le malaise.

A Cappella est l’histoire d’Han Gong-ju, narrée in media res alors qu’elle doit changer d’école suite à un drame que l’on devine peu à peu. Mutique, l’adolescente est recueillie par la mère d’un de ses anciens professeurs et doit se reconstruire. L’autre force du film, outre se capacité à nous faire ressentir ce parcours de manière impressionniste par la mise en scène de l’espace sonore, est de coller au plus près de  son personnage. On peut ainsi se lasser de la structure en flash-back qui semble devenir un lieu commun du nouveau cinéma coréen, mais il est ici en adéquation avec le cheminement émotionnel d’Han Gong-ju. L’intelligence du film est de ne pas jouer la carte de la révélation – on comprend aisément les enjeux dès les premières minutes – mais de montrer que le personnage doit revivre son expérience – et le spectateur avec – pour pouvoir surmonter son trauma. Bien sûr, sont pointés du doigt la cruauté de la société, son indifférence et ses injustices (qui se déploie également à travers le parcours d’autres personnages, dont la femme qui a la charge de l’adolescente, elle aussi victime de jugements moraux destructeurs), mais l’essentiel n’est pas dans ce message social, nécessaire, bienvenu mais attendu, mais bien dans la manière dont il affecte intimement sa protagoniste et dans la forme dont la mise en scène traduit ces différents états au spectateur. On suit ainsi les états d’âme de Han Gong-ju, tour à tour perdue, révoltée, soumise, dépressive… Bref, un vrai personnage de cinéma que l’on regarde vivre en s’accrochant à ses espoirs et ses désirs. C’est là  l’autre qualité de la structure éclatée : le personnage nous apparait sous toutes ces facettes, multiples, là où le risque eu été grand de la présenter simplement comme une victime si la narration avait été chronologique.

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L’immersion dans ce moment de vie est totale jusqu’à dans le dernier plan du film, d’une audace inattendue car tranchant avec le réalisme social de mise, faisant tanguer le film vers un ailleurs qui était aussi là, mais que l’on perçoit enfin pleinement en acceptant la part de rêve et de mystère du destin de son personnage. Il n’en est que plus bouleversant.

Victor Lopez.

A Cappela, de Lee Su-jin. Corée. 2014. 

Lire notre interview de Lee Su-jin ici.

À voir au FICA

Dimanche 15 février à 20h30 – Majestic 4
Lundi 16 février à 13h45 – Majestic 4

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