En compétition au Festival Kinotayo, FORMA est le premier film de Sakamoto Ayumi : un drame à la mise en scène qui rappelle Michael Haneke et Abbas Kiarostami, déjà récompensé par le prix Fipresci à la 64è Berlinale et par le prix du meilleur film japonais au Festival international du film de Tokyo 2013. Un film très recommandable.
Scénario : un soir, en rentrant chez elle, Ayako Kaneshiro, jeune cadre dynamique, retrouve une ancienne camarade d’école, Yukari Hosaka, qu’elle n’a pas revue depuis neuf ans. Celle-ci connaît une situation professionnelle plus difficile puisqu’elle s’occupe de la circulation routière aux abords de chantiers. Pour l’aider, Ayako l’invite à travailler dans sa société, ce que Yukari accepte rapidement. D’abord chaleureuse puis envahissante, Ayako devient très froide vis-à-vis de Yukari. Pour mettre fin à cette relation pourrissante, Ayako décide de confronter Yukari en face à face. La violence alors sous-jacente va bientôt exploser.
FORMA // Ayumi SAKAMOTO by Kinotayo
FORMA est un premier film longuement mûri par Sakamoto Ayumi : il lui a fallu six ans pour écrire le scénario, produire, tourner et monter son ce long-métrage. D’autant que la réalisation n’est pas son premier métier. Elle a en effet commencé sa carrière comme assistante éclairagiste pour des films commerciaux, des films plus audacieux (notamment Snake in June et Vital de Tsukamoto Shinya) et des clips musicaux. Sakamoto a donc réussi à imposer son projet après plusieurs années de labeur.
Par rapport aux productions nippones habituelles, FORMA est une œuvre assez exigeante, par sa durée (2h25) et par sa mise en scène fortement imprégnée par Abbas Kiarostami et Michael Haneke. Lors d’une séance de questions/réponses après la première projection du film pour le festival Kinotayo, Sakamoto Ayumi a justement cité ces deux réalisateurs comme influences, aux côtés de Theo Angelopoulos, Lars von Trier, Krzysztof Kieslowski et Kurosawa Akira. Le film prend son temps pour révéler son sujet. A travers les relations entre les deux personnages principaux, Ayako et Yukari, le spectateur spécule au fur et à mesure sur le drame qui se joue sur l’écran. Porté par l’œil quasi-clinique de la caméra (rarement mobile, toujours distanciée par rapport aux acteurs), le spectateur enfile la blouse du médecin pour donner son diagnostic sur le comportement d’Ayako et Yukari : timidité maladive, trouble obsessionnel compulsif, bipolarité, schizophrénie, démence ? Le diagnostic évolue, toujours plus grave mais inattendu, grâce au dévoilement progressif de l’intrigue.
FORMA dégage un côté anthropologique, une étude de la nature et des rapports humains. Toujours distante, la caméra ne suit pas forcément tous les déplacements des acteurs. Ceux-ci sont tantôt au second plan, tantôt furtivement hors champs. Sakamoto Ayumi précise qu’elle n’informait pas les acteurs des déplacements de sa caméra lors du tournage. Parfois, le spectateur se retrouve dans la peau d’un voyeur – sentiment renforcé par la longueur des plans fixes dans des milieux confinés (appartements exigus, bureaux, cagibis, restaurants). Sans compter l’utilisation des écrans, dans un clin d’oeil à Benny’s Vidéo de Haneke, tout cela se concluant dans une scène clef de 24 minutes en plan fixe.
La force du film est de dévoiler la nature humaine en mettant en scène seulement cinq acteurs différents – dont les deux actrices principales : Matsuoka Emiko, Umeno Nagisa, Nozoe Seiji, Mitsuishi Ken (acteur vétéran) et Nishihara Ryo (d’ailleurs co-scénariste du film). En dépit des apparences et du début du film, les personnages développent tous des sentiments contrastés, de plus en plus violents, ce que la réalisatrice appelle « le karma de la haine ». A la fin de ce drame, au spectateur de conclure (ou non) le film, idéalement ouvert à l’interprétation, selon les multiples points de vue donnés par les personnages. Un final rashomonesque ! On attend de pied ferme les prochains films de Sakamoto Ayumi.
Marc L’Helgoualc’h.
Lire notre ENTRETIEN AVEC SAKAMOTO AYUMI, RÉALISATRICE DE FORMA ici.
FORMA de Sakamoto Ayumi est projeté à la Maison de la culture du Japon à Paris :
– le mardi 9 décembre, à 17h30,
– le mardi 16 décembre, à 17h.