Black Movie Festival – Notes sur les films

Posté le 25 janvier 2014 par

Impossible de voir tous les films du Black Movie dans ses pléthoriques sélections. Jérémy Coifman et Victor Lopez ont quand même essayé, et ont sélectionné 10 films pour vous !

Happy Birthday !

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Last Life in the Universe de Pen-ek Ratanaruang (Thaïlande – Black Movie 2007)

Revoir aujourd’hui Last Life in the Universe fait revivre un cinéma asiatique qui semble à jamais disparu. En 10 ans seulement, tout a drastiquement changé dans le cinéma chinois, japonais et thaïlandais, dont ce film se fait comme la synthèse à un moment donné. Du cinéma de Hong-Kong, Last Life… emprunte la photographie mélancolique et ouaté de Christopher Doyle, à l’époque véritable artisan de la beauté des films de Wong Kar-wai ; au cinéma japonais, sa belle gueule Tadanobu Asano en tête d’affiche bankable et ses mauvais garçons comme Miike Takashi ou Takeuchi Riki, dans des second rôles de yakuza hilarant, rappelant le chant du cygne du V-Cinéma japonais. Et enfin, Pen-ek Ratanaruang porte en lui les espoirs d’un cinéma de genre expérimental assez unique. Depuis, Christopher Doyle a disparu dans les méandres de l’alcool et semble avoir du mal à trouver des cinéastes à la hauteur de son talent, Tadanobu fait l’Asiatique de service dans des blockbusters hollywoodiens, Miike est devenu un artisan soigneux pour les grands studios japonais, et le cinéma de Ratanaruang s’est perdu dans un maniérisme bouddhiste loin de la candeur poétique de ses premiers films. Un anniversaire qui a un goût de nostalgie.

V.L

Le Choix des Maîtres

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Agrarian Utopia de Uruphong Raksadad (Thaïlande – 2009)

La carte blanche de Pen-ek Ratanaruang

Plongée abrupte, mais pleine de douceur pour ses personnages, dans le quotidien de paysans du nord de la Thaïlande, Agrarian Utopia s’inscrit dans un cinéma vérité dans la lignée d’un Flaherty ou d’un Jean Rouch, observant le monde en en captant des bribes de réel magnifiées par une mise en scène précise. La photographie du film, captée avec une DV brute, peut d’abord brusquer par son naturalisme direct et sans filtre. Peu à peu, pourtant, le sens du cadre, du montage et quelques décrochages quasiment oniriques amènent le film vers une étrange beauté, magnifiant cadres et personnages pour les sortir de leur condition. Si les problématiques du film sont liées au présent de la Thaïlande, du sort des paysans aux critiques du gouvernement et de sa politique corrompues, en posant des questions très concrètes liées à la survie (que manger, comment gagner de l’argent) et à l’avenir (comment faire en sorte que les enfants de paysans aient un meilleur destin que leur parents), certaines scènes transcendent leur sujet. C’est ici un montage parallèle entre un oiseau se nourrissant et les paysans se faisant chasseurs qui porte le film vers une métaphore sur le cycle de la vie. C’est là les intempéries qui détruisent les récoltes mettant un terme à l’utopie paysanne du titre filmés de manière métaphysique, qui, un temps, fait sortir le film du chemin tracé par le cinéma de Flaherty pour côtoyer celui de Carl Théodore Dreyer.

 V.L

the journey

The Journey o Stars into the Night de Arnel Mardoquio (Philippines – 2013)

Carte blanche de Brillante Mendoza

Une introduction quasi muette nous plonge dans la jungle du sud des Philippines. Les guerilleros de la révolution islamique et le gouvernement se battent depuis des décennies. Pourtant, Mardoquio nous lâche dans le conflit sans donner la moindre indication, nous sommes perdus dans cet enfer vert. Peu à peu, le récit prend forme, la tragédie se noue, le poème visuel éclot au milieu de la boue et du sang. Donnant à son film une étrange atmosphère lancinante et désespérée, Mardoquio fait état d’un conflit interminable et meurtrier, d’une liberté trop souvent étouffée, mais aussi de l’amour qui peut naître au-delà de tout, de l’innocence perdue puis retrouvée le temps de quelques instants presque magique. C’est dans cette ambiance presque surnaturelle que réside la beauté de The Journey of Stars into the Night. Il faut se laisser porter, apprécier les plages de silence. Plus le film avance, plus il dévoile ses atours. Un très beau moment de cinéma.

J.C

 Prix de la Critique

sapi

Sapi de Brillante Mendoza (Philippines – 2013)

Après le sublime (et encore inédit en France) Thy Womb, narrant la vie d’une communauté musulmane, Brillante Mendoza revient avec un film de genre, histoire de possession, de chaînes de télé concurrentes et d’un pays en proie aux intempéries.

Difficile de reconnaître le brillant Mendoza avec Sapi. Difficile de ressentir le bouillonnement perpétuel de son cinéma, la beauté qui survient des endroits les plus sales et inattendus. La méthode Mendoza aurait dû être un formidable ressort formel pour un film d’horreur. Ce cinéma vérité aurait pu transcender tous les found footage américains auxquels on pense forcément. Finalement il n’en n’est rien. Sapi est aussi décousu et ennuyeux que tous les Paranormal Activity du monde. Mendoza ne sait décidément pas sur quel pied danser, coincé entre le cinéma d’exploitation pur et un cachet auteuriste qu’il ne veut pas perdre. Le film ne va jamais au bout de ses ambitions, et ce à tous les niveaux. D’un point de vue purement horrifique, l’économie de moyen ne fonctionne pas. Le cinéaste joue sur une imagerie cliché (les visions cauchemardesques, la religion) et ne se l’approprie d’aucune manière. Comme Paranormal Activity, Mendoza tente de créer le malaise en jouant sur les sons, les portes qui grincent, hélas l’ennui et le ridicule l’emportent. La peinture que le cinéaste fait des médias et de la ville n’est pas assez développée, comme si c’était un passage obligatoire, un sésame pour les festivals du monde entier. Dans Sapi, rien n’est vraiment terminé. Le cinéaste filme bien mieux l’horreur dans ces autres films,  c’est un comble.

J.C

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Trapped de Parviz Shahbazi (Iran – 2013)

“It’s not time to make a change,

Just relax, take it easy.

You’re still young, that’s your fault,

There’s so much you have to know.”

La fausse impression de sérénité et de calme qui se dégage du générique de Trapped, impulsé par le Father and Son de Cat Stevens disparaît vite pour laisser place à un sentiment de menace diffuse et de danger souterrain. Sans être aussi dramatiques que les enjeux moraux posés dans le cinéma d’Asghar Farhadi, auquel on pense parfois (Shahbazi appartient à la même génération que le réalisateur d’Une séparation), Trapped laisse tout de même planer un climat anxiogène tempéré par quelques touches de légèreté, dans son récit tenu et haletant. En suivant le parcours d’une jeune universitaire confrontée pour la première fois à la réalité de la vie de Téhéran, Trapped se lit comme un roman d’apprentissage mélangeant une forme de cruauté nécessaire couplé à un attachement bienvenu à ses personnages, qui vient aérer une structure parfois mécanique mais toujours maîtrisée.

V.L

Flirt avec le Fantastique

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Rigor Mortis de Juno Mak (Hong Kong- 2013)

Il y a une mélancolie, une noirceur qui se dégagent de ce premier film de Juno Mak, pop star hongkongaise. Une lumière qui ne traverse plus les murs, un avenir plus qu’incertain et une tristesse permanente. Le soleil s’est couché sur tout un pan du cinéma de Hong-Kong. Les anciennes gloires sont pratiquement toutes à la retraite, l’industrie est au plus mal, le film de vampire éteint. Rigor Mortis, c’est avant tout une tentative vaine de résurrection d’un genre qui aura brillé dans les années 80 et un chant du cygne émouvant. Juno Mak ne peut se résoudre à voir ses héros disparaître. Alors comme la veuve éplorée du film, il tente tout, au-delà du raisonnable. Rigor Mortis au-delà d’un aspect un peu décousu, transpire la générosité et l’énergie. Il y a des images qui restent, des visions où l’horreur devient poésie. Le temps d’un film, Juno Mak fait revivre le film de vampire, ramène toutes les anciennes gloires sur le devant de la scène mais à la fin les fantômes disparaissent. Dans un élan déchirant de lucidité, il somme le spectateur autant que lui-même d’arrêter de rêver. L’âge d’or est bel et bien terminé.

J.C

Nouvelles Cinématographies

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Strangers When We Meet de Kobayashi Masahiro (Japon/Corée – 2013)

Même si le court-métrage de Kobayashi est classé dans la catégorie « Nouvelles Cinématographies », son réalisateur n’a rien de nouveau pour le public du Black Movie, qui a pu le rencontrer l’an passé alors qu’il venait présenter son très beau Japan’s Tragedy à Genève (lire notre entretien ici). Le style de l’œuvre, produite dans le cadre du Jeonju Digital Project 2013 est lui aussi difficilement qualifiable de nouveau, puisqu’il emprunte sa narration au cinéma muet – quelques dialogues apparaissent brièvement sur l’écran – même s’il opère une utilisation signifiante de la bande-son. Ce qui semble commencer comme une comédie légère, dans le ton de Le jour de la première de Close Up de Nanni Moretti, en mettant en scène Kobayashi Masahiro lui-même, vaquant à ses occupations en gérant une salle de cinéma programmant Godard ou Kieslowski sur une musique légère, se transforme rapidement en drame poignant avec le surgissement d’un mystérieux personnage féminin. Par touches, la tragédie indicible qui a touché ces personnages meurtris et enfermés dans une routine mutique se fait connaitre et le film prend toute sa bouleversante ampleur.

V.L

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Exit de Lee Sang-woo (Corée – 2013)

À la fin de la projection de Exit, Lee Sang-woo déboule hilare dans la salle et se lance dans une explication dans un anglais approximatif, avant même la première question : « Avant de commencer, il faut que je vous explique. En Corée, quand une femme se rase le sexe, les hommes pensent que s’ils ont une relation avec elle, ça va leur apporter dix ans de malheur. » Cela donne une idée du personnage et de son cinéma, direct, expressif, généreux, provoquant… Invité à adapter un roman de Kim Young-ha par le festival Jeonju (dans la catégorie Short !Short !Short), le réalisateur de Barbie se perd par contre ici un peu dans un exercice de style forcement barré, foutraque et inégal. La gratuité se fait parfois un peu sentir sous le vernis de la provocation, mais quelques magnifiques scènes sont comme touchées par la grâce tragique d’une jeunesse perdue. Un échange sur des rêves d’avenir transforme ainsi une poursuite réaliste en un aparté onirique et mélancolique. Lee Sang-woo semble lui-même peu convaincu par cet essai au point d’envisager de le reprendre pour le compléter sous la forme d’un long métrage. Espérons qu’il arrive ainsi à trouver son équilibre.

V.L

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 Sleepless Night de Jang Kung-Jae (Corée du Sud- 2013)

Courte mais belle étude du couple, Sleepless Night surprend par sa justesse d’écriture et sa capacité à retranscrire les questionnements et les angoisses du trentenaire avec précision et poésie. En choisissant de s’attarder sur quelques scènes anodines de la vie quotidienne de ce couple, Jang aborde ce qu’on ne voit pas forcément. Le mari prépare un plat de nouilles à sa femme, ils sont assis dans un parc et discutent. Sleepless Night est autant attaché aux petits détails de la vie qu’à instaurer peu à peu une sorte d’ambiance onirique, presque magique. Car au-delà des interrogations, toujours pertinentes, de trentenaires pris entre leur envie de liberté et le désir d’évoluer en tant que couple, le film de Jang parvient visuellement à retranscrire une peur insidieuse, qui peut à elle seule tout détruire. C’est en exprimant les pensées des personnages que l’on trouve la violence. Montrer un couple heureux mais inquiet, en tout originalité, douceur et fantaisie, sans véritable péripéties, voilà la vraie réussite de Sleepless Night. Une  œuvre belle et délicate.

 J.C

Fatal

Fatal de Lee Don-Ku (Corée du Sud- 2013)

Fait avec 3000 dollars, Fatal se révèle aussi radical que maîtrisé. Tiré d’une histoire sortie tout droit d’un fait divers glauque (une bande d’adolescents qui violent une camarade de classe), Lee Don-Ku s’attarde sur  les retombées de l’événement, 10 ans plus tard, quand tout est loin mais pourtant encore si présent dans la vie quotidienne de la victime comme d’un des bourreaux. Comment vivre après un drame pareil ? Fatal y apporte une réponse plus que noire : impossible. Dans un style rappelant Kim Ki-Duk, Lee Don-Ku filme donc cette impossibilité de tourner la page et une quête de rédemption qu’on sait perdue d’avance. En creux, il apporte une réflexion sur la religion, son pouvoir d’attraction pour les gens perdus et l’illusoire bien-être qu’elle apporte. Dans Fatal, même les éclats de rires et les bons mots semblent artificiels, la noirceur l’emporte sur tout. Dans le dernier tiers, le film change d’atour, de la fable sociale on passe au film de genre rappelant pour l’occasion le fabuleux  Bedevilled de Jang Chul- Soo .

J.C

BONUS (from Le Petit Black Movie pour adultes)

Plus d’information sur le site du Black Movie ici !

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