Critique de Jiseul de O Muel (Vesoul)

Posté le 25 février 2013 par

Pour cette 19ème édition du Festival international des cinémas d’Asie qui s’est déroulée du 6 au 13 février, le long métrage coréen Jiseul du réalisateur O Muel a marqué les esprits. Auréolé ex aequo du Cyclo d’or, le film aborde d’une manière très spirituelle et touchante un événement historique oublié de la Corée du Sud, sublimé par un travail d’orfèvre dans la mise en scène. Par Julien Thialon.

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Résumé : En 1948 sur l’île Jeju au sud de la Corée du Sud, le pouvoir politique est en phase de transition entre l’armée américaine et le nouveau président Syngman Rhee. Après le soulevement du 3 avril, les États-Unis donnent l’ordre aux soldats sud-coréens de tuer tous les villageois de l’île qualifiés de communistes. Certains arrivent à fuir et se cachent dans la grotte Darangshi près de Seogwipo pendant plusieurs semaines avec comme seule nourriture de survie des pommes de terre. Son caractère très symbolique et universel donne le titre du troisième long métrage du cinéaste.

Natif lui-même de Jeju, O Muel considère l’île comme un être vivant à part entière, si bien qu’il y tourna ses deux premiers films à très petits budgets, Nostalgia et Pong Ddol. S’ils n’ont pas réussi à percer de manière significative en Corée du Sud, nul doute qu’il en sera tout autrement avec Jiseul. Multi primé à Pusan pour son avant-première mondiale, le cinéaste a déjà accompli l’un de ses plus grands objectifs : être diffusé aux États-Unis. C’est le festival de Sundance qui lui fit cet honneur, lui décernant même le Grand prix du jury, preuve qu’il n’existe aucune rancune liée au douloureux sujet du film.

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O Muel, réalisateur coréen de Jiseul.

Jiseul est un hommage aux victimes civiles innocentes du soulèvement de Jeju, O Muel appuyant sur le côté spirituel par la procession chronologique du culte traditionnel coréen des défunts, déclinée en plusieurs chapitres dans le film. Si certains symboles peuvent échapper aux spectateurs étrangers comme la scène d’ouverture, l’option du noir et blanc avec ses nuances presque infinies, combinées à un rapport avec la nature qui se dépérit d’elle-même, instaure immédiatement un climat de tension qui perdurera jusqu’aux ultimes coups de feux. L’île Jeju, forte région touristique baignant habituellement de couleurs vives, perd alors de son éclat, l’idée étant de se rapprocher au plus près de la réalité des tenants et aboutissants du massacre perpétré.

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Le noir et blanc exprimant l’esthétique du vide.

L’une des principales thématiques de Jiseul est les différentes intéractions au sein des deux « communautés » que forment les villageois et l’armée sud-coréenne. Les résidents de l’île de Jeju font preuve dans un premier temps de solidarité collective, ponctuée d’un humour simple fort appréciable, que la brillante mise en scène met à contribution par un écrasement des personnages par des plans fixes plus ou moins resserrés. La mort et la haine finissent par la suite à désolidariser cette unicité. La grotte dans laquelle les villageois ont trouvé refuge prend alors la forme d’une sombre prison d’angoisse, la caméra allant de l’un à l’autre, surlignant par la même occasion la perte des connexions sociales qui faisaient la force du groupe.

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Confinés mais encores solidaires…

Les soldats sont à quant à eux régis par l’autorité militaire où le degré hiérarchique s’associe à un degré de violence, de folie et d’une certaine manière de souffrance. Les généraux, qui ont déjà vécu des guerres sanglantes, sont imprégnés d’une folie meurtrière envers les villageois et leurs propres caporaux qui sont en phase de transition ténébreuse (la scène du viol étant l’exemple le plus criant). Les nouvelles recrues ne sont pas encore déshumanisées, leurs émotions leur permettent encore d’avoir de la pitié pour leurs victimes qu’ils savent non communistes et même de mener des actions de rébellion. Au final, les deux camps sont les victimes collatérales de guerres passés ou inutiles. La fin le démontre par une habile utilisation de la fumée faisant double emploi. Elle permet d’une part de conclure le culte traditionnel des morts en libérant les esprits des défunts, et de l’autre, renforcer l’absurdité de la situation où les soldats tirent à l’aveugle sur des cibles innocentes qui souffrent autant qu’eux.

Julien Thialon

Conclusion :

Jiseul réalise un sans faute avec son esthétisme presque hypnotique qui, au lieu de noyer son sujet, lui rend hommage de la plus belle des façons, rouvrant une brèche historique méconnue de la Corée du Sud.

Verdict :

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Julien Thialon.

Jiseul a été projeté deux fois au Festival international des cinémas d’Asie, où il a remporté le Cyclo d’or décerné par le jury international présidé par le réalisateur indonésien Garin Nugroho.

Lire ici notre entretien avec lé réalisateur.