Le festival Black Movie ouvre ses portes le vendredi 18 janvier pour 10 jours de festivités. 101 films au programme dont une grosse section sur le cinéma asiatique avec pas moins d’une trentaine d’éventuels chefs-d’œuvre proposés. Pour la première fois, East Asia participe à cette orgie cinéphilique et compte bien vous en faire partager les moments clés à travers un reportage photo ! Par Julien Thialon.
Suites et retours de mastodondes asiatiques sur la scène internationale
2013 s’annonce d’ores et déjà comme l’année du retour des grosses pointures du cinéma asiatique. Le festival international de cinéma d’auteur genevois l’a bien compris et en diffusera une bonne partie aux festivaliers. Le réalisateur coréen Im Sang-Soo (Une femme coréenne, The President’s Last Bang, Le vieux jardin) ouvrira le bal avec L’ivresse de l’argent, suite logique de son précédent opus très controversé, The Housemaid, remake du cultissime La Servante de Kim Ki-Young. Présenté en compétition dans la dernière sélection officielle du Festival de Cannes, le film dépeint le monde dépravé des riches. Im Sang-Soo a toujours suscité l’exaspération ou l’admiration auprès de son public par ses œuvres. Nul doute qu’avec L’ivresse de l’argent, le cinéaste ne laissera personne indifférent. Sortie en France prévue le 23 janvier.
Autre suite, autre grand réalisateur à la baguette, Kitano Takeshi (Sonatine, Hana-bi, Dolls) avait frappé un grand coup au Japon en 2010 avec son Outrage, après avoir connu quelques années moins prolifiques et une trilogie nombriliste (Takeshis‘, Glory to the Filmmaker, Achille et la tortue). Il y abordait l’univers des yakuzas et ses codes, incarnant lui-même l’un des personnages centraux du film, rôle qui lui allait comme un gant. Rien de plus normal de poursuivre dans cette voie avec la suite : Outrage: Beyond. Présenté à la Mostra de Venise en septembre dernier, les premiers retours sont plutôt positifs et même si une sortie ciné est plus qu’incertaine, gageons que sa carrière dans le circuit festivalier soit riche pour que le maximum de personnes puissent voir la dernière réalisation du cinéaste de Zatoichi.
Après une traversée du désert qu’il nous racontait en détail dans son objet cinématographique non identifié psychanalytique, Arirang (notre critique), lauréat ex aequo dans la section Un Certain Regard en 2011, Kim Ki-Duk (Bad Guy, Adresse Inconnue, Samaria) semble avoir fait le deuil de cette sombre période en repartant sur un rythme effréné. En douceur avec la production du mineur Poongsan, et de retour à la réalisation avec Amen en 2011. C’est vraiment en 2012 que Kim Ki-Duk revient sur le devant de la scène internationale avec Pietà, lequel gagna le Lion d’Or à Venise tout comme en 2004 son chef-d’œuvre de poésie, Locataires. Le long métrage s’annonce comme le film noir par excellence où l’humanisme est remplacé par le pouvoir de l’argent. Sortie en France prévue le 13 avril.
Hong Sang-soo (Turning Gate, Woman on the beach, Ha Ha Ha) poursuit quant à lui son œuvre entreprise depuis plus de 10 ans avec In another country, forme de prolongement scénaristique de The day he arrives. Le cinéaste enchaîne les films comme des diapositives, utilisant ici un comique de répétition avec ses acteurs fétiches (Moon So-Ri et Yu Jun-Sang) et la pétillante Isabelle Huppert. Le rhomérien coréen signe avec toujours autant d’ivresse dans ses propos une réflexion intéressante et amusante sur l’adultère (notre critique).
En attendant Drug War et Blind Detective, East Asia se fera également une joie de revoir La vie sans principe de Johnnie To (The Longest Nite, The Mission, Election 1 & 2), sorti plus tôt cet été dans les salles françaises. Le film s’inscrit dans la crise financière, entremêlant les scénarios où les protagonistes éprouvent des difficultés budgétaires avec en filigrane une introspection sur le monde dangereux et spéculatif de la finance contemporaine (notre critique).
Plus reconnu dans les festivals que par le public, Masahiro Kobayashi (La coiffeuse, Bashing, Pressentiment d’amour) est un réalisateur japonais habitué au Black Movie et au Festival de Cannes. En plus de son nouveau long métrage tourné en noir et blanc, Japan’s Tragedy, le cinéaste nous fera l’honneur de sa présence. Naturellement, East Asia se tiendra dans les starting-blocks pour en connaître davantage sur l’un des meilleurs réalisateurs du cinéma indépendant japonais.
Focus sur le cinéma indépendant coréen
Quant l’édition 2012 du Black Movie prenait comme fil conducteur la fin du monde, celle de 2013 semble encore prendre plus de risques avec une section complète dédiée à Kim Kyung-mook, représentant de la nouvelle vague du cinéma indépendant coréen. Nous avions déjà eu l’opportunité de voir une grande partie de la filmographie du cinéaste lors de l’édition du Festival du Film Coréen à Paris en novembre dernier. Ses courts et moyens métrages expérimentaux avaient fait sensation auprès d’un public littéralement choqué par ce qui était projeté. Le spectateur étant écœuré (Faceless Things, Me and Doll Playing) ou bluffé (A Cheonggyecheon Dog, Sex Less) par l’audace du cinéaste à transposer sur grand écran des problèmes psychologiques tirés de sa vie personnelle.
Son premier long métrage, Stateless Things, arrivait à canaliser dans la fiction les fantasmes cinématographiques du réalisateur que beaucoup qualifie de nombriliste. Quoi qu’il en soit, le cinéaste gagne des prix et enchaîne les festivals. Il sera présent au Black Movie pour dialoguer avec son public à travers une master class. East Asia sera évidemment de la partie pour désosser la filmographie de ce cinéaste coréen si atypique dans la sphère même du cinéma indépendant. Hormis Kim Kyung-mook, il sera intéressant également de découvrir le nouveau thriller métaphysique Black Dove de Gyeong-Tae Roh (Le dernier repas, Land of Scarecrows) et le troisième long métrage de Kang Yi-kwan (Sorry Apple, If you were me 5), Juvenile Offender, le réalisateur et la productrice se déplaçant pour l’occasion.
La Russie sera également à l’honneur avec une pluie de films (Anton’s Right Here, Twilight Portrait, Chapiteau Show 1 & 2, Heart’s Boomerang, Innocent Saturday) qui montreront que le paysage de son cinéma contemporain ne se limite pas à Mikhalkov et Sokorov et sur lesquels nous reviendront en détails !
Les autres pays asiatiques à l’honneur
On pourra également se détendre en savourant la nouvelle comédie gore de Noboru Iguchi (The Machine Girl, RoboGeisha, Karate-Robo Zaborgar), Dead Sushi. Avec Rina Takeda (The Ancient Dogoo Girl, Karate Girl, The Kunoichi: Ninja Girl) dans le rôle principal et l’inusable Nishimura aux effets spéciaux, on peut tranquillement laisser ses neurones aux vestiaires comme en témoigne la bande-annonce en guise d’alléchant hors-d’oeuvre. Même principe ou presque pour Solution des frères Kim avec cette nouvelle réalisation présentée comme une satire scato-télévisuelle avec pas mal de second degré.
Bande-annonce Dead Sushi :
Nous avions rencontré Wang Bing (série À l’ouest des rails, L’état du monde, Chronique d’une femme chinoise) à l’occasion de la sortie française de Le Fossé (notre critique et entretien) Avec Alone, le cinéaste continue dans l’exploration de la Chine contemporaine à travers le quotidien de trois petites filles livrées à elles-mêmes. Point de narration, le sujet se suffit à lui même et suscitera vives émotions. Ying Liang (Taking Father Home, The Other Half, Good Cats) s’intéressa quant à lui à un fait divers par le biais d’une chronique judiciaire, When Night Falls, et pourra parler librement à Genève de ce long métrage qui lui a valu l’exil. Autre film chinois, All apologies d’Emilie Tang (Perfect Life) nous fera naviguer dans le mélodrame des années 50 pour exploiter la thématique de la descendance par le mariage forcé.
Une petite touche zen viendra s’inviter au Black Movie avec Walker (Beautiful) de Tsai Ming-Liang (Les rebelles du dieu Néon, Vive l’amour !, La rivière), premier volet de segments qui en comportera quatre au total. Tous nos sens seront grands ouverts pour accompagner ce moine allant chercher un sandwich. Il en sera de même avec le seul film indien programmé, Ship of Theseus de Anand Gandhi (Right Here, Right Now, Continuum). Proclamé allégorie indienne, sa bande-annonce confirme le mysticisme de l’œuvre qui explore en profondeur le paradoxe du navire de Thésée. Postcards from the Zoo d’Edwin apparaît pour sa part comme une fable originale de poésie zoologique par le biais d’une romance hors du temps tandis que Vimukthi Jayasundara nous transportera également dans son film onirique, Light in the Yellow Breathing Place, où la frontière entre humains et créatures n’existe plus. Enfin, Tan Chui Mui viendra présenter son film intimiste, Year Without a Summer, tourné dans son village natal, qui promet une ambiance presque surréaliste.
The Land of Hope de Sono Sion (Love Exposure, Guilty of Romance, Himizu) avait été tourné juste après la catastrophe de Fukushima. Le cinéaste y présentait, à travers une fiction plus que documentaire, les conséquences du 11 mars sur les familles japonaises et l’incompétence du gouvernement en place. Odayaka de Nobuteru Uchida (Love Addiction) semble partir de la même base avec ce mélodrame pénétrant au cœur des troubles psychologiques des protagonistes.
Depuis quelques années, le petit Black Movie prend de plus en plus d’ampleur en proposant un choix éclectique d’œuvres d’animation. En tête d’affiche, on y trouvera le nouveau film de Okiura Hiroyuki, A letter to Momo. 14 ans après son chef-d’œuvre Jin-Roh, le réalisateur revient pour notre plus grand plaisir avec des créatures plus loufoques que jamais, veillant sur la jeune Momo qui vient de perdre son père.
Autres continents représentés et nuits blanches en perspective
Le Black Movie est un festival de cinéma international. En plus d’une sélection asiatique plus qu’alléchante, une section entière sera réservée à la relève du cinéma portugais où les amateurs de cinéma portugais (João Salaviza, Pedro Caldas, João Rui Guerra da Mata) ou des rêveries poétiques de Miguel Gomes (Tabu, Aquele querido mês de agosto) pourront y trouver leur bonheur. Le Mexique sera également à l’honneur avec l’avant-première de Post Tenebras Lux de Carlos Reygadas (Japón, Batalla en el cielo, Lumière silencieuse) et le dernier film de Yulene Olaizola, Fogo, présenté à la Quinzaine des réalisateurs. L’Afrique n’est pas délaissée avec nombres de pépites cinématographiques avec entre autres Espoir Voyage (Michel K. Zongo), Nairobi Half Life (Tosh Gitonga), Kinshasa Kids (Marc-Henri Wajnberg), Aujourd’hui (Alain Gomis). Pour la programmation complète film par film, c’est par ici.
Outre la webtv du festival, Gogodaily, et les dégustations de café proposées par Boréal Coffee, c’est au bar du festival, le Macau, que les soirées cinéphiles se prolongeront dans une ambiance festive et musicale. Parmi la sélection proposée, au moins deux soirées ont attiré notre attention. La nuit du 20 janvier sera rythmée au son du DJ The Dude et sa fièvre musicale du sud-est asiatique des années 60s et 70s. Le traditionnel ciné quizz se tiendra quant à lui dans la nuit du 25 janvier. Animée par Doctor K, la soirée promet d’être sous le signe d’une farouche compétition entre cinéphiles avisés connaissant sur le bout des doigts les musiques et répliques cultes de films.
On vous attend donc dès ce soir à Genève pour cette formidable orgie de films et dès maintenant sur le site officiel pour compléter toutes ces informations !
Julien Thialon.