Pour clôturer cette année 2012 très chargée et débuter celle de 2013 en fanfare, la Cinémathèque française propose une rétrospective de l’ensemble des œuvres du réalisateur japonais si méconnu, Somai Shinji. En guise de hors-d’œuvre, c’est le long métrage Moving (Ohikkoshi) qui a été sélectionné : choix judicieux tant par sa thématique intemporelle de la séparation et de la qualité d’interprétation des personnages. Par Julien Thialon.
Présenté au Festival de Cannes en 1993 dans la section Un Certain Regard, Moving dépeint la transformation psychologique d’une jeune fille de onze ans, Renko, à travers la séparation progressive de ses parents. À elle seule, la première scène du film est évocatrice du degré de malaise de la vie familiale. La scène est filmée à travers un long plan-séquence qui tourne autour de cette famille japonaise. Au sommet d’une table triangulaire siège Renko. Elle joue avec une sincérité amusante le rôle de maîtresse de maison lors du dîner, incitant son paresseux père à manger plus de légumes sous le regard presque indifférent de sa mère. Les deux parents s’évitent chacun du regard, chaque membre de la famille passant régulièrement hors du champ de la caméra. La séparation est proche et Renko, qui va vivre avec sa mère tandis que son père déménage à Kyoto, sent que ce changement n’est pas qu’un simple passage à vide. Elle usera de tous les artifices pour entrevoir une forme de réconciliation, n’acceptant pas les nouvelles règles dictatoriales proposées par l’autorité maternelle.
La thématique de la distance est ici abordée avec une grande authenticité sur tous les plans et une sobriété à la caméra. Sōmai utilise efficacement de manière répétitive la profondeur de champ entre ses personnages pour souligner l’inexorable éloignement de l’un envers l’autre. Il est difficile de ne pas faire le rapprochement avec Hirokazu Kore-eda (Distance, Still Walking, Nobody Knows), qui semble d’une certaine façon depuis les années 2000, poursuivre le travail de son prédécesseur depuis sa mort prématurée en 2001. Son dernier long métrage, I Wish, en est le parfait exemple. Le réalisateur y aborde comme dans Moving les thématiques du divorce, de l’imaginaire des enfants et leur (in)compréhension face aux problèmes des adultes qui tendent à éluder volontairement les sujets épineux pour protéger en vain leur progéniture. Renko n’obtient que rarement des réponses sincères de ses parents sur ses réelles interrogations, ce qui la frustre et l’incite à aller toujours plus loin dans sa quête.
Les deux réalisateurs ont tout deux cet art de tirer le meilleur de leurs (jeunes) acteurs, touchant le spectateur au plus profond de son âme, qu’elle soit inscrite ou non dans l’âge adulte. Dans Moving, c’est la jeune Tabata Tomoko qui illumine le devant de la scène par sa maturité et son insouciance à vouloir obstinément résoudre l’insoluble, n’hésitant pas à se dresser contre la société elle-même (les enfants de sa classe en étant la représentation). Celle-ci y voit une famille « différente », rejetant socialement Renko qui ne trouve que la violence puis la fuite comme formes de représailles. Le nom du film vient d’ailleurs des continuelles pérégrinations de Renko qui déménage constamment d’un parent à un autre, cherchant désespérement un nouveau point d’ancrage familial durable de rassemblement.
Cette jeune actrice au talent pur jouera par la suite avec les plus grands : Miike Takashi dans Sabu, Kitano Takeshi dans Blood and Bones, et étrange coïncidence dans Hana de… Hirokazu Kore-eda. Les deux parents, Nakai Kiichi (que l’on pouvait voir dans Railways à l’édition précédente de Kinotayo) et Sakurada Junko ne sont pas en reste, s’illustrant magistralement dans une scène dramatique mémorable en milieu de métrage, où les masques tomberont définitivement. Renko devient par la suite de plus en plus insociable, têtu et rêveuse. Moving bifurque alors de manière inattendue dans des profondeurs scénaristiques envoûtantes, entremêlant fatalisme mélancolique et nostalgie fantastique au final sublime et émouvant.
Julien Thialon.
Comme le mentionnait si bien en préambule de la projection Jean-François Rauger, directeur de programmation de la Cinémathèque, Somai Shinji est un cinéaste qui se sert de la forme pour en nourrir ses thématiques. Le réalisateur japonais exploite au maximum le talent de ses acteurs pour analyser en profondeur la psychologie de ses personnages, les rendant irrésistiblement humains et attachants. Vivement la suite !
Verdict :